Sakina-Dorothée Ayata : « le plancton nous aide pour lutter contre le changement climatique »

29/05/2024

9 minutes

portrait

« Femmes océanographes »(11/12). Elles ont fait de locéan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. Océans connectés part à leur rencontre à travers la France.

Sakina-Dorothée Ayata, écologue et maîtresse de conférences à Sorbonne Université étudie la biogéographie et la diversité fonctionnelle du plancton marin.

par Marion Durand

Photo de couverture : Sakina-Dorothée Ayata – Crédit :  Marion Durand

On rencontre Sakina-Dorothée Ayata un matin d’avril, près du Jardin des plantes, non loin de Sorbonne Université où est installé le Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN), qu’elle a rejoint en septembre 2021. Autour d’un thé, l’océanographe et écologue marin nous parle avec passion de son objet d’étude : le plancton. Animaux ou végétaux, ces organismes aux tailles très diverses, souvent microscopiques mais pouvant parfois atteindre plusieurs mètres, flottent au gré des courants et peuplent tous les recoins de l’océan. Le plancton est partout, même dans des grottes souterraines ou les lacs. Sakina-Dorothée Ayata s’intéresse au fonctionnement de ces écosystèmes planctoniques, à leur distribution mais aussi à leur devenir.

S’il attire tant les scientifiques, c’est parce que le plancton joue un rôle crucial dans la régulation du climat, les cycles biogéochimiques et la dynamique des réseaux trophiques marins. « Le plancton est essentiel dans le fonctionnement des réseaux trophiques marins parce qu’il en est la base. Presque tous les organismes marins s’en nourrissent et en dépendent pour vivre, détaille Sakina-Dorothée Ayata. Le plancton, grâce à la photosynthèse, fixe du carbone et occupe un rôle majeur dans la pompe à carbone biologique en contribuant à réduire la concentration de CO2 présent dans l’atmosphère à cause des activités humaines. Le plancton nous aide ainsi pour lutter contre le changement climatique ». En fixant du dioxyde de carbone, le phytoplancton libère aussi de l’oxygène qui permet à de nombreuses espèces marines de respirer.

Changement climatique et plancton

Le changement climatique, la hausse des températures marines, l’acidification des océans ou les modifications de courants sont autant de perturbateurs pour les écosystèmes planctoniques qui se développent là où les conditions lui sont favorables. En 2016, Sakina-Dorothée Ayata et Fabio Benedetti ont étudié l’impact du changement climatique sur la diversité fonctionnelle des copépodes, de petits crustacés dominant la biomasse du zooplancton en Méditerranée. « La Méditerranée figure parmi les mers les plus soumises au changement climatique parce qu’on sait qu’avec l’augmentation des températures et l’évaporation, l’eau devient beaucoup plus salée et les conditions dans ces eaux changeront beaucoup du fait d’une importante stratification en surface », précise la chercheuse.

Larve planctonique. Crédit : Sakina-Dorothée Ayata

L’étude, menée par son doctorant, révèle qu’à l’horizon 2100, le nombre de copépodes diminuerait fortement mais à l’échelle de la Méditerranée, du fait de l’abondance et de la diversité planctonique, les principales fonctions écologiques resteraient assurées. « C’est rassurant mais la Méditerranée est un cas particulier », ajoute l’océanographe qui travaille à présent sur la zone Arctique. « Là-bas, le zooplancton est caractérisé par une dominance de quelques espèces, qui sont vraiment adaptées aux conditions polaires puisqu’elles passent l’hiver en dormance dans les profondeurs de l’océan ». Au printemps, les copépodes remontent à la surface pour s’alimenter et se reproduire. Mais les chercheurs observent que ces espèces ont tendance à se déplacer vers le Nord pour suivre leur référendum thermique, c’est-à-dire la température qui leur correspond le mieux. Or, l’océan se réchauffe, même dans les pôles. « À un moment donné, même au pôle Nord, il n’y aura plus d’espaces suffisamment froids, c’est une première limite physique. Le deuxième problème, c’est qu’on ne sait pas comment ces espèces vont s’adapter à la nuit polaire. »

Les chercheurs observent aussi un décalage entre le bloom phytoplanctonique et le zooplancton. Ce décalage temporel entre la nourriture disponible et les organismes inquiète quant à la survie de certaines populations. Dans les années quatre-vingt, la variabilité naturelle du climat avait entraîné un décalage dans la période de ponte et de reproduction de petits crustacés zooplanctoniques. Ces derniers constituaient le régime alimentaire principal des morues. Une espèce plus petite et moins intéressante d’un point de vue nutritionnel l’avait remplacé ce qui avait entraîné la chute des stocks de morue et causé un impact important sur les pêcheries.

Ce qui intéresse Sakina-Dorothée Ayata c’est avant tout de mieux comprendre le lien entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes pélagiques à plusieurs échelles spatiotemporelles. Pour répondre à ces questions, l’océanographe utilise des outils numériques (statistique, apprentissage automatique, modèle dynamique) et analyse de grands jeux de données (occurrence, imagerie quantitative, génomique).

Sakina-Dorothée Ayata © Marion Durand

« Je ne prends plus l’avion »

Que faire pour sauver le plancton ?, l’interroge-t-on. « La meilleure manière d’agir est de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. On sait depuis longtemps que ces émissions ont un impact sur les écosystèmes planctoniques mais aussi sur nos vies, répond Sakina-Dorothée Ayata. Ca nécessite des choix de société importants. Il faut réfléchir non pas à l’échelle de cinq ans ou dix ans, mais à l’échelle de 25 ans ou 50 ans. »

Si la société est de plus en plus consciente de l’impact du changement climatique sur les écosystèmes, pour Sakina-Dorothée Ayata, « le message peine à passer l’étape des décideurs politiques ».

« On est tous concernés par cette question de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Moi à titre personnel, je ne prends plus l’avion ! Il y a des questions que je ne me posais pas auparavant, j’allais en conférence, je voyageais beaucoup en Europe, aux États-Unis », confie-t-elle. À présent, elle opte pour des réunions en visioconférence ou se déplace en train quand la destination le permet. « Ma réflexion individuelle s’inscrit dans une prise de conscience plus globale. Tous les scientifiques ne l’ont pas, loin de là, mais certains font des choix forts, de ne plus prendre l’avion ou de réorienter leur recherche pour traiter des questions plus urgentes liées au changement climatique ».

Son laboratoire figure parmi les premiers à sinterroger sur lempreinte carbone de la recherche. Cet engagement s’inscrit dans linitiative nationale portée par le collectif Labos1point5 qui vise à mieux comprendre et réduire l’impact des activités de la recherche scientifique sur l’environnement, en particulier sur le climat.

Sakina lors d’un atelier de médiation au Centre Hospitalier Universitaire de Brest. Crédit : Sakina-Dorothée Ayata

Un podcast sur une webradio

En 2023, Sakina-Dorothée Ayata a obtenu une chaire de médiation scientifique à l’Institut Universitaire de France pour le projet ZOOTRAIT, sur la diversité du mésozooplancton marin.

Ces nombreux projets ont aussi été possibles car elle a bénéficié de plusieurs allégements de son temps de service d’enseignement en tant qu’enseignante-chercheuse. Mais elle a continué d’assurer quelques cours à Sorbonne Université. « J’ai voulu être enseignante chercheuse avant même de choisir ma spécialité », se souvient l’océanographe, très engagée dans la médiation scientifique.

Depuis trois ans, elle anime le podcast Plonger dans les océans, sur la webradio EU radio. Les épisodes, très divers, abordent aussi bien sa vie de chercheuse que des problématiques telles que l’extraction des minerais sous-marins ou la surpêche.

Sakina-Dorothée Ayata intervient aussi dans de nombreux établissements, de la maternelle au lycée, pour sensibiliser les plus jeunes à la protection des océans et à la beauté de la vie marine. « On apprend aux tout-petits les animaux de la ferme ou du cirque. Pourquoi ne pas parler de l’océan ? », dit-elle. Dès la rentrée prochaine, l’écologue interviendra dans des classes de maternelle en région parisienne autour d’ateliers sur le plancton. « Je veux montrer à ces enfants qu’il y a autre chose que leur quotidien, les faire rêver et encourager leur curiosité, leur imaginaire. »

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