PORTRAIT. Carole Saout-Grit, l’océanographe indépendante en première ligne d’une révolution scientifique

09/06/2023

7 minutes

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« Femmes océanographes » (1/13). Elles ont fait de l’océan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. Océans connectés part à leur rencontre à travers l’Hexagone.

Pour le premier épisode de cette série iodée et féminine, Carole Saout-Grit, fondatrice d’océans connectés, revient sur sa carrière de physicienne, de l’Ifremer à son cabinet d’études glazeO. L’océanographe se bat pour placer les sciences de la mer à portée de tous et attirer vers une filière délaissée par la jeunesse.

Par Marion Durand.

Si elle avait un mantra, la transmission serait le sien. Ce jeudi 8 juin, journée mondiale des océans, l’océanographe Carole Saout-Grit était partout : dans les colonnes du quotidien régional Presse Océan, sur le plateau de France 3 Pays de la Loire, ou sur les réseaux sociaux. Tous les canaux sont bons pour replacer les sciences de la mer au cœur des préoccupations. Depuis plusieurs années, la physicienne s’est engagée dans une bataille aussi nécessaire qu’urgente : diffuser les connaissances scientifiques et attirer les jeunes vers l’océanographie.

Les prémices de ce grand défi tiennent en deux mots : océans connectés, un média en ligne dédié aux sciences de la mer. Lancée en avril 2021, Carole Saout-Grit développe cette plateforme depuis 2016. « Il fallait créer des vocations, dit-elle. D’où la naissance d’océans connectés, pour partager les enjeux scientifiques, diffuser les événements, les formations ou les offres d’emploi dans le domaine ».

Même si l’environnement s’est hissé au sommet des préoccupations des 25-34 ans — selon un sondage CFA pour le Journal du Dimanche — les sciences de la mer peinent à attirer les jeunes. Pourtant, en plus d’offrir de nombreuses opportunités professionnelles, il y a urgence ! « Les scientifiques que j’ai côtoyés durant toute ma carrière partent à la retraite, nous allons être confrontés à un gros problème de ressources humaines », alerte cette mère de trois enfants, qui craint de voir les savoir-faire s’éteindre au départ des chercheurs et des nombreux métiers qui vont avec. « C’est notre rôle d’éclairer et d’apporter des solutions pour l’avenir, les océanographes et la science ouvrent le chemin des possibles ».

Attirer les femmes, un enjeu crucial

Ce désamour des jeunes générations s’explique, selon elle, par une méconnaissance des formations et des professions : « plusieurs disciplines constituent l’océanographie, on peut être biologiste, physicien, géologue ou chimiste ». Le métier souffre aussi d’un manque de visibilité. Les personnalités, en particulier les femmes, qui composent la grande famille de l’océanographie font rarement la Une des journaux. Pour Carole Saout-Grit, « mettre en lumière ces femmes qui font les sciences de la mer est un enjeu crucial pour notre avenir ». « Les filles se dirigent peu vers ces métiers scientifiques, pourtant, elles ont toutes les qualités requises pour exceller. Je veux dire à toutes les étudiantes, quelles sont les bienvenues dans ces carrières », interpelle la chercheuse qui veut montrer l’exemple.

En 25 ans dexpérience, Carole Saout-Grit a contribué à lavancée des connaissances sur le milieu marin. En 2001, alors âgée de 27 ans, elle intègre lInstitut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). L’organisme lance alors son ambitieux programme Argo, dont lobjectif est d’étudier la variabilité de locéan grâce à des balises disséminées à travers le monde.

C’est un peu par hasard que la Bretonne d’origine se retrouve projetée au cœur d’un programme qui révolutionnera les sciences de la mer. Elle assiste à l’élaboration du premier prototype de flotteur et aux nombreux essais en piscine. Elle se souvient des « instruments qui ne donnaient plus signe de vie » et « des questionnements liés à la localisation ou à l’archivage des données ».

Carole Saout-Grit © M.Durand

Témoin dune révolution majeure

 La scientifique n’est pas seulement aux premières loges d’une révolution majeure, elle en est l’un des acteurs principaux. C’est elle qui analyse les données récoltées en mer par ces robots autonomes. « En vingt ans, nous avons collecté plus deux millions de profils et 4 000 flotteurs nous permettent de prendre quotidiennement et en continu le pouls de l’océan ». Ces balises envoient en temps réel de précieuses informations sur la température et la salinité des mers. Elles permettent de surveiller la variabilité de l’océan ou de comprendre son rôle dans le climat. « Tout ce que lon sait aujourdhui à propos du réchauffement des océans, des vagues de chaleur marine, de l’élévation du niveau des mers, des événements climatiques extrêmes, etc… nous le connaissons en grande partie grâce à ce grand réseau de flotteurs et aux données in situ que les scientifiques récoltent lors des campagnes, assure l’océanographe physicienne. Sans Argo et sans les efforts incessants de la communauté scientifique internationale, on serait allé bien moins vite dans la connaissance des océans. »

Carole Saout-Grit figure parmi les rares scientifiques présentes depuis le lancement de ce programme international. Alors, en 2007, lorsqu’elle quitte le siège brestois de l’Ifremer pour s’installer à Nantes en famille, l’établissement public accepte de maintenir cette collaboration à distance. À l’époque, le télétravail est loin d’être la norme mais l’Ifremer ne peut se passer de son expertise. En 2008, elle crée glazeO, un cabinet d’études indépendant spécialisé en océanographie physique. « J’ai acheté un ordinateur, souscris une connexion internet et installé un petit bureau dans le salon », se souvient-elle. « C’était inédit à l’époque, et il me fallait faire mes preuves ! ».

Déploiement d’un flotteur Argo dans l’océan Austral © CSIRO

Ouvrir la voie à l’indépendance

Contre toute attente, la physicienne s’est fait une place. Elle a ouvert la voie aux travailleurs indépendants dans un domaine où, encore aujourd’hui, l’entrepreneuriat est peu commun, surtout quand il est conjugué au féminin. En quinze ans, son carnet d’adresses s’est étoffé et la physicienne manque de temps plus que de clients. De son bureau nantais, elle étudie le fonctionnement dynamique et physique des océans, analyse des données in situ collectées en mer et apporte un soutien précieux à la recherche océanographique.

Carole Saout-Grit est la preuve que les plus belles carrières ne sont pas toujours celles qui étaient prédestinées. Petite, elle grandit au bord de l’eau, dans la petite commune littorale de Séné (Morbihan), mais se passionne davantage pour le basket que pour le grand large.

A l’école, son appétence pour les sciences la pousse vers des études de physique générale. « J’ai découvert la mécanique des fluides lors de ma licence à Rennes, et c’est de là qu’est née l’envie de me tourner vers l’océanographie ». Elle obtient ensuite un diplôme d’études approfondies (l’équivalent du master) en océanographie, météorologie et physique de l’environnement à Brest. Lorsqu’elle intègre le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), à 24 ans, on lui confie la modélisation du golfe de Gascogne. Pour la première fois, son avenir se dessine réellement : « J’avais enfin trouvé ce qui me plaisait et je me suis dit ‘c’est mon domaine, ‘je serai océanographe physicienne’ ».

Celle qui n’a jamais pris part à une expédition en mer n’exclut pas de rejoindre une campagne dans quelques années. Elle rêve d’une mission au soleil autant que de découvrir le Grand Nord. Qu’importe, tant qu’elle peut « faire des prélèvements, mettre les mains dans les données, utiliser des outils », s’enthousiasme-t-elle. C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.

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