PORTRAIT. Emina Mamaca, chimiste et porte-voix de l’Ifremer au sommet de l’État

11/12/2023

9 minutes

Pour tout le monde

portrait

« Femmes océanographes » (6/13). Elles ont fait de locéan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. Océans connectés part à leur rencontre à travers lHexagone.

Pour le nouvel épisode de cette série, nous rencontrons Emina Mamaca, spécialiste des pollutions marines accidentelles. La docteure en chimie marine est chargée de mission scientifique au sein de la direction des affaires européennes et internationales de l’Ifremer.

Par Marion Durand.

Un pied au ministère, l’autre à l’Ifremer. Entre les deux, l’océanographe foule le littoral de la Mer Noire. Emina Mamaca, chimiste marin de formation, a quitté la « paillasse » (plan de travail d’un laboratoire) au profit d’un poste plus politique mêlant management de projet, stratégie et représentation.

Depuis 2019, elle est chargée de mission scientifique au sein de la direction des affaires européennes et internationales de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). « Un poste à plusieurs casquettes », assure-t-elle. Sa voix porte les besoins de son institut auprès du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Elle défend les intérêts et accompagne les projets du département océanographie et dynamique des écosystèmes et ceux du département ressources biologiques et environnement (pour la partie contaminants/pollution). « Je participe à l’écriture du programme scientifique de l’écosystème européen de la recherche et facilite la création des consortiums. Je suis dans la co-construction du programme de travail de la commission européenne », décrit la quadragénaire.

UN PARTAGE DE CONNAISSANCES ENTRE PAYS EUROPÉENS

L’une des missions d’Emina Mamaca est aussi de faciliter la collaboration autour des activités de recherche de l’Ifremer menées avec les pays de l’Europe de l’Est, en particulier dans la mer Noire. Cette mer fermée, bordée par six pays (Turquie, Roumanie, Bulgarie, Géorgie, Moldavie, Ukraine et Russie) fait l’objet de plusieurs projets scientifiques européens.

Une dizaine de chercheurs et d’ingénieurs de l’Ifremer participent d’une part au projet BRIDGE, qui étudie la biodiversité présente dans la mer Noire mais aussi au projet DOORS dont l’objectif est une meilleure connaissance des gaz dissous dans cette zone. « Les financements européens nous permettent de fédérer autour d’un même projet des pays ayant des intérêts divergents, juge la docteure en chimie pour qui l’aspect collaboratif est essentiel. Ce sont des pays aux cultures bien différentes. Sur le plan scientifique, tout le monde n’a pas le même niveau et les mêmes moyens, il faut faire preuve de compréhension et de tolérance. »

L’océanographe Emina Mamaca, chimiste marin de formation, travaille à l’Ifremer depuis 20 ans. © Marion Durand

Emina Mamaca, 49 ans, parle couramment le turc (sa langue maternelle), le français et l’anglais. « Les grands projets de recherche sont de plus en plus européens, on observe une réelle volonté de fédérer une science européenne. Dans notre métier, l’anglais est indispensable et c’est un vrai atout de pouvoir dialoguer dans d’autres langues. »

En vingt ans de carrière à l’Ifremer, cette Bretonne d’adoption a occupé plusieurs postes aux missions variées, travaillant d’abord sur les pollutions marines accidentelles, puis dans le domaine de l’océanographie physique (responsable du bureau Euro-Argo) avant de coordonner un projet sur les microplastiques.

« Les sciences de la mer sont très diverses. Au sein de l’Ifremer il y a des thématiques différentes, on peut changer de sujet, mener des projets de recherche en laboratoire ou prendre une autre trajectoire comme je fais actuellement dans la stratégie scientifique. Il y a une certaine souplesse qui permet de ne jamais s’ennuyer », remarque Emina Mamaca, qui rêvait plus jeune d’intégrer l’Ifremer. « Le conseil que je donnerais aux étudiants c’est de vivre leur passion. Si on est passionné par la mer ou par locéanographie, il faut foncer et ne pas se mettre de limite ! »

 

« PETITE, JE VOULAIS COMPRENDRE POURQUOI L’EAU DE MER ÉTAIT SALÉE »

 Cette passion, Emina Mamaca la découvre à 8 ans. Née à Sarreguemines, dans l’Est de là France, la jeune fille passe ses vacances en famille en Turquie, pays d’origine de ses parents. « Un jour je suis tombée dans la mer Égée et depuis je nai jamais quitté la mer et l’océan », résume-t-elle avec fierté. Ce bain de mer, elle s’en souvient étrangement bien : « Le côté salé de l’eau m’a marquée. Je voulais comprendre pourquoi elle était salée, pourquoi il y avait des poissons et comment ils vivaient dans une eau pareille ! » Pour répondre à ces questions, l’apprentie chercheuse se documente pour comprendre les mécanismes du milieu marin. Cette curiosité a naturellement orienté ses études vers l’océanographie.

Après un DEA à lInstitut universitaire européen de la mer (IUEM) à Brest, Emina Mamaca soutient une thèse en chimie sur le comportement et les effets des polluants marins chimiques au Cedre (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux).

En 2004, elle rejoint l’Ifremer pour apporter son expertise sur cette thématique. Le sujet est alors au cœur des préoccupations après le naufrage, en 2002, du pétrolier le Prestige au large de la Galice (63 000 tonnes de fioul relâchées dans l’océan).

« À l’époque de ma thèse, on menait beaucoup de projets in situ dans la rade de Brest. On avait des cellules flottantes dans lesquelles on faisait des expérimentations pour connaître le comportement des produits chimiques déversés par le transport maritime ».

En juin 2010, Emina Mamaca cosigne avec Michel Girin (ancien directeur du Cedre) l’ouvrage Pollutions chimiques accidentelles du transport maritime, puis en 2011 le livre Mieux combattre les marées noires, aux éditions Quae.

Emina Mamaca lors d’une mission sur le navire océanographique « Pourquoi pas ? » de l’Ifremer.© Ifremer-Dugornay 

UNE POLLUTION INVISIBLE MAIS DESTRUCTRICE

Les pollutions chimiques fragilisent toujours les océans. Les polluants organiques persistants (pesticides, produits pour usages industriels…) sont charriés par les grands fleuves, les rivières ou les bassins-versants jusqu’à la mer. Toutes les trajectoires mènent inéluctablement aux océans. « Nous devons trouver des solutions pour que les industries rejettent moins de contaminants dans l’environnement, exhorte l’océanographe. Un environnement pollué n’est bon pour personne, ni pour les organismes qui y vivent ni pour les êtres humains car nous sommes le dernier maillon de la chaîne alimentaire. On finit par manger des poissons potentiellement contaminés par les polluants liés aux activités humaines… »

Invisible, cette pollution n’en est pas moins destructrice. Pour cette spécialiste, il est urgent de connaître « le niveau de contamination des océans » et que chacun s’engage, à son échelle, pour réduire les différentes sources de pollutions. « On ne peut pas laisser une planète si contaminée pour les générations futures ».

Si elle salue la récente décision de l’Union européenne de reconnaître dans son droit la notion de crime environnemental ou d’écocide, elle regrette le choix de la Commission européenne concernant le glyphosate : « C’est incompréhensible », dit-elle.

Présentation du projet « Microplastiques » par Emina Mamaca © Ifremer

À son niveau, Emina Mamaca a choisi de se battre en servant la recherche. Sur le plan personnel, elle préfère les produits issus de l’agriculture biologique et prend soin d’un petit potager dans le jardin familial. Grâce à cet écrin de verdure, la famille tend vers une autonomie alimentaire en légumes. « C’est certain, le changement viendra des citoyens. La prise de conscience doit aussi se faire individuellement. À nous de décider qu’il ne faut pas manger des pommes traitées 35 fois par récolte. »

Pour de nombreux scientifiques, il est parfois difficile d’être confronté aux lenteurs administratives ou à l’inaction politique lorsqu’on connaît si bien l’urgence climatique. « Ce n’est pas toujours évident », se contente de répondre la chimiste qui remarque « une prise de conscience globale » même si « les enjeux économiques prennent parfois le dessus ».

Pour elle, les océanographes doivent continuer de sensibiliser les citoyens. « On le voit souvent par le prisme des vacances ou dans les films, mais l’océan ce n’est pas que ça, il joue un rôle très important dans la régulation du climat», rappelle-t-elle avant de conclure : « Travailler dans la science du milieu marin c’est à la fois être acteur de la société, acteur de ce monde dans lequel on vit mais c’est aussi un plaisir intellectuel qui construit un imaginaire dans un monde mystérieux. »

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