Les plantes et les animaux côtiers ont trouvé un nouveau moyen de se reproduire en haute mer en colonisant les débris plastiques. Des radeaux résistants, créés par un amoncellement de détritus, permettent à de nombreux invertébrés marins côtiers de dériver à travers les océans. Ces déplacements pourraient représenter, à terme, un risque accru de prolifération des espèces invasives.
par Laurie Henry
La présence de plastique dans nos océans ne cesse d’augmenter. Elle est l’une des principales causes d’extinction des espèces marines et de destruction de nos écosystèmes. Elle est responsable de nombreux problèmes de santé pour les êtres humains comme pour les animaux. Néanmoins, les espèces côtières ont trouvé un moyen de se déplacer en haute mer en colonisant cette même pollution plastique.
Une étude menée par le Smithsonian Environmental Research Center (SERC) et l’Université d’Hawaii (UH) à Mānoa a démontré, non seulement que la haute mer a été colonisée par un nombre surprenant d’espèces d’invertébrés marins côtiers, mais qu’elles peuvent aussi y survivre et s’y reproduire. Et ce, grâce aux déchets plastiques.
Des scientifiques soupçonnaient déjà que les espèces côtières pouvaient utiliser du plastique pour survivre en haute mer pendant de longues périodes. Entre 2012 et 2017, des chercheurs ont découvert que près de 300 espèces avaient traversé le Pacifique sur des débris issus du séisme qui a frappé le Japon en 2011. Mais jusqu’à présent, les observations confirmées d’espèces côtières sur du plastique directement en pleine mer étaient rares.
70 % des débris colonisés par les espèces
Les chercheurs du SERC ont découvert des espèces côtières sur plus de 70 % des 105 échantillons de plastique collectés au Nord de l’océan Pacifique par The Ocean Cleanup lors de leurs expéditions de 2018 et 2019. Le nombre d’espèces côtières prélevé surpasse même celui des espèces de haute mer.
Les scientifiques ont pointé la facilité avec laquelle ces espèces vivant traditionnellement près des littoraux ont colonisé de nouveaux objets flottants, y compris leurs propres instruments – une observation qu’ils veulent approfondir par des recherches supplémentaires. Ces résultats pointent un nouvel impact d’origine humaine sur l’océan, documentant l’ampleur et les conséquences potentielles qui n’étaient pas comprises auparavant.
L’auteur principal Linsey Haram, associé de recherche au SERC explique dans un communiqué : « Cette découverte suggère que les anciennes frontières biogéographiques entre les écosystèmes marins – établies depuis des millions d’années – changent rapidement en raison de la pollution plastique flottante qui s’accumule dans les gyres subtropicaux ».
Des « plaques d’ordures » à travers les océans
Cet incroyable phénomène a été observé à des centaines de kilomètres au large dans le gyre subtropical du Pacifique Nord. Un gyre océanique est un vaste système de courants océaniques circulaires formés par le jeu des vents mondiaux et des forces créées par la rotation de la Terre. Ces gyres entourent de grandes étendues d’eau calme et stationnaire. Les débris dérivent dans ces zones et, en raison du manque de mouvement de la région, peuvent s’accumuler pendant des années formant ainsi des « plaques d’ordures ».
Le monde compte au moins cinq gyres infestés de plastique. Le gyre subtropical du Pacifique Nord, situé entre la Californie et Hawaï, est la plus grande accumulation de plastique océanique au monde. Il contient environ 79 000 tonnes métriques de plastique flottant pour une superficie estimée à 1,6 million de kilomètres carrés, soit deux fois la taille du Texas ou trois fois la taille de la France.
Une grande partie de cette pollution est constituée de microplastiques, trop petits pour être vus à l’œil nu. Des débris flottants comme des filets, des bouées et des bouteilles emportent avec eux des organismes vivant habituellement sur les côtes. Ces nouvelles communautés d’organismes sont appelées « néopélagiques ». « Néo » signifie nouveau et « pélagique » fait référence à l’océan ouvert, par opposition à la côte.
Radeaux de plastique : une nouvelle menace pour la biodiversité
Le rafting, ou l’association d’organismes avec des débris flottants, est un mode de dispersion des espèces marines connu depuis le XIXe siècle. Pourtant, les preuves empiriques du rôle des débris flottants dans le rafting transocéanique à long terme sont limitées.
L’importance de la dispersion des espèces côtières dépend des matériaux constituant ces radeaux de fortune. Ceux composés de végétation flottante ou de pierre ponce (la roche formée lors des éruptions volcaniques) ont une durée de vie plus courte. En quelques mois ou années, ils se gorgent d’eau, sont biodégradés ou consommés par les animaux marins. Les matériaux anthropiques agissent également comme des radeaux océaniques. Certains sont éphémères, tels que le bois, le verre et le métal. Le plastique est plus résistant, surtout les bouées et les flotteurs, construits pour résister dans des environnements marins difficiles. Ils permettent donc aux espèces côtières d’être transportées sur une plus longue distance et durant plus longtemps.
Nikolai Maximenko, co-auteur et chercheur principal à l’UH Mānoa explique : « Les îles hawaïennes sont voisines au nord-est par la plaque d’ordures du Pacifique Nord. Les débris qui se détachent de ce patch constituent la majorité des débris arrivant sur les plages et les récifs hawaïens ». Il ajoute : « Dans le passé, les écosystèmes marins fragiles des îles étaient protégés par les très longues distances des communautés côtières d’Asie et d’Amérique du Nord. La présence d’espèces côtières persistant dans le gyre subtropical du Pacifique Nord près d’Hawaï change la donne et indique que les îles courent un risque accru de colonisation par des espèces envahissantes ».
Cette étude souligne néanmoins un manque de connaissances et de compréhension des écosystèmes océaniques et de leur évolution extrêmement rapide. Il est crucial d’augmenter les systèmes d’observation de la haute mer, afin d’appréhender ce nouvel impact humain sur la nature.
Source : Haram, L.E., Carlton, J.T., Centurioni, L. et al. Extent and reproduction of coastal species on plastic debris in the North Pacific Subtropical Gyre. Nat Ecol Evol (2023).