Entre satellite et intelligence artificielle, une nouvelle méthode de surveillance de la qualité des eaux côtières voit le jour

30/01/2024

7 minutes

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océans et technologies

Face à l’urgence écologique, la surveillance des écosystèmes côtiers devient cruciale. L’étude menée par l’Institut des Sciences Marines (ISMAR) et publiée dans Sensors apporte une innovation majeure. Utilisant des images satellitaires et l’apprentissage automatique, elle évalue la qualité écologique des eaux côtières italiennes à travers l’indice TRIX, indicateur clé de l’état trophique des eaux. Cette approche promet d’améliorer significativement la gestion et la préservation des écosystèmes marins. On vous explique tout.

Par Laurie Henry

POURQUOI SURVEILLER LES ÉCOSYSTÈMES CÔTIERS ?

La surveillance des écosystèmes côtiers est essentielle pour plusieurs raisons. D’abord, ces écosystèmes jouent un rôle crucial dans la régulation du climat mondial et constituent des habitats vitaux pour une biodiversité marine riche. Ils fournissent des services écosystémiques inestimables, tels que la protection contre l’érosion, la purification de l’eau et la séquestration du carbone. Ces écosystèmes côtiers soutiennent également des activités économiques importantes, notamment la pêche, le tourisme et le transport maritime.

Cependant, ils sont particulièrement vulnérables aux impacts des activités humaines comme la pollution, l’urbanisation et l’exploitation des ressources, ainsi qu’aux effets du changement climatique. Une surveillance efficace permet de détecter et de répondre rapidement à ces menaces, assurant ainsi la conservation et la gestion durable de ces zones cruciales pour l’équilibre écologique et le bien-être humain.

La qualité écologique de l’eau, un indicateur crucial de la santé des écosystèmes aquatiques, est influencée par divers facteurs tels que la biodiversité, le cycle des nutriments et la dynamique trophique. L’étude de Chiara Lapucci (Chiara Lapucci et al., 2023), se concentre sur l’évaluation de la qualité écologique des eaux côtières en utilisant des techniques avancées d’observation de la Terre (EO) et d’apprentissage automatique, offrant une nouvelle perspective sur la surveillance environnementale.

UNE APPROCHE INNOVANTE 

Les chercheurs ont développé des modèles prédictifs pour l’indice TRIX, un indicateur crucial de la qualité de l’eau. L’indice TRIX mesure les niveaux d’oxygène dissous, de chlorophylle, de transparence de l’eau et de nutriments. Ces modèles prédictifs ont été élaborés en utilisant des techniques d’apprentissage automatique, notamment la régression Random Forest, appliquée sur les données recueillies par le satellite Sentinel-3 OLCI. Les résultats ont permis de mieux comprendre la dynamique des zones eutrophiques, ces zones avec une forte concentration de nutriments, souvent liée à la pollution.

Le satellite Sentinel-3, équipé de l’instrument OLCI (Ocean and Land Colour Instrument), capture des images détaillées de la surface de la Terre, y compris des eaux côtières. Ces images fournissent des informations précieuses sur divers paramètres écologiques, comme la couleur de l’eau, qui est un indicateur de sa qualité. L’OLCI permet ainsi de détecter les changements dans la composition de l’eau, comme l’augmentation des algues ou de la pollution.

Les stations de surveillance ISPRA EU-MSFD dans la zone d’étude (points rouges) sont superposées à la carte OLCI FR Chl-a (10-17 février 2017, moyenne des images quotidiennes). © Chiara Lapucci et al., 2023

L’apprentissage automatique, et en particulier la méthode de régression Random Forest, est utilisé pour analyser ces données. Cette technique implique la construction de nombreux modèles de décision qui « votent » pour la meilleure prédiction. Elle est particulièrement efficace pour traiter de grandes quantités de données, comme celles fournies par le satellite, et pour identifier des tendances complexes.

UNE EUTROPHISATION PROBLÉMATIQUE VALIDE LA MÉTHODE

En combinant ces deux approches, les chercheurs ont démontré la capacité de leur approche à évaluer de manière précise et globale la qualité des eaux côtières. Ils ont entrainé l’IA à reconnaitre les zones d’intérêt.

Organigramme du traitement des données satellitaire par la nouvelle méthode. L’image dans le coin inférieur droit montre un exemple de carte TRIX obtenue. © Chiara Lapucci et al., 2023

Concrètement, l’IA, en analysant les données satellitaires, a identifié des zones eutrophiques.  Il s’agit de régions où l’eau est très riche en nutriments, souvent près des estuaires. Cela peut entraîner une surcroissance d’algues et affecter la qualité de l’eau. En effet, en se décomposant, les algues consomment beaucoup d’oxygène, réduisant ainsi la quantité disponible pour d’autres formes de vie aquatiques.

L’IA a également reconnu d’autres zones, loin des estuaires, où l’eau est caractérisée comme oligotrophe, ce qui signifie qu’elle est relativement pauvre en nutriments. Ces eaux sont généralement plus claires et peuvent avoir une qualité d’eau plus élevée, ce qui est bénéfique pour certaines espèces aquatiques et pour les activités humaines. Ces écosystèmes oligotrophes jouent un rôle essentiel dans l’équilibre global des environnements aquatiques.

Cette distinction entre les eaux eutrophiques et oligotrophes est essentielle pour comprendre la santé des écosystèmes marins et pour prendre des mesures de conservation adaptées. Les auteurs produisent ainsi des cartes TRIX révélant la qualité des eaux côtières. Plus le score TRIX est faible, plus les eaux sont oligotrophes.

Zoom sur la carte TRIX précédente obtenue pour la zone côtière du Latium et l’estuaire du Tibre, au centre. Plus la couleur est proche du rouge, plus les eaux sont de mauvaise qualité avec une eutrophisation en cours. © Chiara Lapucci et al., 2023

IMPLICATIONS CONCRÈTES POUR L’AVENIR ET LE CADRE EUROPÉEN

Les découvertes de cette étude ont des implications significatives pour la surveillance environnementale et la gestion des écosystèmes marins. Premièrement, elles démontrent l’efficacité des techniques de télédétection, comme l’imagerie satellite, et de l’apprentissage automatique dans la compréhension de l’état des écosystèmes aquatiques. Ces technologies permettent une évaluation rapide, précise et à grande échelle de la qualité de l’eau, ce qui est essentiel pour identifier les zones à risque et pour surveiller l’impact des activités humaines et du changement climatique sur les milieux marins.

De plus, ces avancées offrent de nouvelles possibilités pour améliorer la gestion et la préservation des écosystèmes marins. En fournissant des données détaillées et fiables sur l’état de l’eau, les décideurs peuvent élaborer des stratégies plus ciblées pour protéger les habitats marins. Cela peut inclure des mesures pour réduire la pollution, contrôler l’eutrophisation et maintenir la biodiversité.

Enfin, rappelons que ces écosystèmes sont protégés par des réglementations de l’Union européenne, comme la directive-cadre sur l’eau (DCE) et la directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Ces directives visent à garantir la santé et la durabilité des écosystèmes aquatiques. L’étude, en utilisant des méthodes d’évaluation de la qualité de l’eau telles que l’indice TRIX, contribue directement à ces objectifs réglementaires. Elle propose une approche innovante pour la surveillance écologique, combinant la télédétection et des outils analytiques avancés, permettant ainsi une meilleure conformité aux normes environnementales de l’UE.

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