Les transitions climatiques abruptes sont des phénomènes critiques pour comprendre les dynamiques du système terrestre. D’autant qu’ils sont souvent associés à des conséquences profondes pour l’environnement et les sociétés humaines. En se fondant sur l’analyse des teneurs en oxygène de stalagmites chinoises, des chercheurs ont exploré ces transitions sur une période étendue de 640 000 ans. Ils ont alors établi un historique détaillé des changements climatiques. Ils proposent des références pour améliorer les modèles climatiques, augmentant ainsi notre capacité à anticiper les futures variations climatiques.
par Laurie Henry
Photo de couverture © NOAA
La compréhension des transitions climatiques abruptes est essentielle pour évaluer la résilience de notre planète face aux changements environnementaux rapides. Ces phénomènes, qui marquent des modifications soudaines et profondes dans les conditions climatiques, offrent des aperçus cruciaux sur la manière dont le système climatique terrestre peut basculer d’un état à un autre.
Contextualisation des variations climatiques : Une chronologie de 640 000 ans
En étudiant ces transitions à travers les époques, notamment en explorant des périodes bien au-delà de la portée habituelle des études climatiques, les chercheurs peuvent mieux préparer les modèles climatiques actuels à anticiper les effets à long terme des activités humaines sur le climat.
Dans le cadre du projet européen Tipping Points in the Earth Sysem (TiPES), une équipe de scientifiques, menée par David-Denis Rousseau de l’Université de Montpellier, a publié dans Scientific reports, une analyse de ces transitions climatiques abruptes sur 640 000 ans. Ils se sont appuyés sur des mesures de l’isotope 18 de l’oxygène (δ18O) provenant de stalagmites.
Les stalagmites, pour rappel, sont des types spécifiques de concrétions karstiques qui se forment sur le sol des grottes. Elles sont le résultat de la précipitation de minéraux à partir de l’eau qui goutte du plafond de la grotte. Lorsque l’eau riche en carbonate de calcium s’écoule à travers les parois et le plafond de la grotte, elle dépose progressivement le carbonate de calcium lorsqu’elle entre en contact avec l’air de la grotte, moins saturé en CO2.
Cette eau, en gouttant sur le sol, laisse derrière elle des dépôts minéraux qui s’accumulent au fil du temps. Chaque goutte contribue à la croissance verticale de la stalagmite, construisant lentement une structure qui peut varier en forme et en taille, allant de petites bosses à d’immenses colonnes.
Ces structures renferment l’isotope d’oxygène, δ18O. Il s’y incorpore à des ratios qui varient selon les conditions climatiques au moment de leur dépôt. Durant les périodes plus chaudes, les précipitations contiennent une proportion plus élevée de l’isotope léger de l’oxygène (O-16), laissant les eaux de ruissellement et par extension les stalagmites avec une concentration plus élevée d’O-18. Grâce à leur analyse, les auteurs ont établi un nouveau référentiel pour les transitions climatiques, permettant de calibrer et de valider les modèles du système terrestre.
Méthodologies innovantes pour l’analyse des transitions climatiques
Leur méthode principale utilise le test de Kolmogorov-Smirnov, une technique statistique qui compare les distributions cumulatives de δ18O pour identifier les moments précis où des changements climatiques significatifs ont eu lieu. Ils ajustent également la taille des fenêtres temporelles analysées pour assurer l’exactitude de leurs résultats. Cela leur permet de distinguer les variations climatiques importantes des simples fluctuations naturelles, et d’identifier les transitions rapides aussi bien que les changements plus progressifs. Ils capturent ainsi des transitions sur des périodes variées, allant de décennies à plusieurs millénaires.
Ils ont procédé à l’analyse des stalagmites sur 640 000 ans comme mentionné précédemment, ce qui couvre 7 cycles climatiques complets. Ces cycles incluent des périodes interglaciaires et glaciaires successives, chacune marquée par des transitions et des fluctuations climatiques spécifiques.
Les données proviennent de stalagmites de quatre grottes différentes en Chine, augmentant la fiabilité des résultats grâce à la diversité des sources. Chaque échantillon est daté avec une grande précision par des méthodes radiométriques. Cette précision est cruciale pour corréler les événements climatiques enregistrés en Chine avec ceux d’autres régions, comme le Groenland, et pour valider les modèles climatiques actuels.
Ensemble, ces techniques fournissent une méthode robuste pour tracer l’histoire climatique à travers des époques étendues, offrant ainsi une perspective plus détaillée et quantifiée des dynamiques climatiques passées.
Révélations et impacts sur les modèles futurs
Plus précisément, Rousseau et ses collègues ont identifié 196 transitions climatiques abruptes sur les 640 000 ans. Ils ont notamment identifié des variations significatives de la valeur de δ18O, correspondant à des changements dans l’intensité des moussons en Asie de l’Est liées aux variations climatiques globales.
Les résultats obtenus ont été comparés avec les données des carottes de glace du Groenland, notamment les enregistrements de δ18O provenant des projets NGRIP (North Greenland Ice Core Project) et EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica). Ces comparaisons ont permis de mettre en évidence des corrélations temporelles entre les variations climatiques enregistrées en Asie et celles observées dans les régions de l’Atlantique Nord, démontrant ainsi une synchronicité des phénomènes climatiques à une échelle quasi globale.
En utilisant ces données, les chercheurs ont pu apporter des contributions significatives à la compréhension des mécanismes des transitions climatiques et à la validation des modèles climatiques actuels. Les périodes identifiées par une augmentation rapide du δ18O indiquent des renforcements abrupts de la mousson, qui sont directement liées aux augmentations de température globale et aux changements dans les circulations océaniques et atmosphériques. Ces résultats permettent d’améliorer les modèles climatiques en intégrant des données empiriques précises sur les variations climatiques passées. Ils renforcent ainsi la précision des prévisions des modèles concernant les réponses du climat à des forçages anthropiques.
En effet, comprendre comment les climats passés ont réagi à des changements naturels peut offrir des indices cruciaux sur la manière dont le climat actuel pourrait répondre à des perturbations similaires causées par l’homme.
Source : Rousseau, DD., Bagniewski, W. & Cheng, H., “A reliable benchmark of the last 640,000 years millennial climate variability”. Sci Rep 13, 22851 (2023)