Le satellite SWOT, lancé en 2022, a engendré un flux massif de données essentielles à l’étude des courants et leur influence sur le climat. Face à l’ampleur de ces informations, l’intelligence artificielle devient un outil indispensable, affinant l’analyse des mouvements océaniques. Cette innovation est déterminante pour la surveillance environnementale. Elle promet d’améliorer notre capacité à prévoir les tendances météorologiques et à anticiper les conséquences du changement climatique.
Par Laurie Henry
SWOT, une mission satellitaire dédiée aux océans
Le satellite SWOT (Surface Water and Ocean Topography) est une mission conjointe de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) et du CNES (Centre National d’Études Spatiales français) conçue pour réaliser une cartographie fine de la topographie des surfaces en eau de la Terre. Lancé fin 2022, SWOT utilise une technologie radar innovante pour mesurer la hauteur de la surface de la mer avec une précision et une résolution spatiale sans précédent.
Ces mesures permettent aux scientifiques d’observer les variations de la hauteur de l’eau des océans, des lacs et des rivières, fournissant des données essentielles pour l’étude des courants marins, la gestion des ressources en eau douce et la compréhension des processus climatiques globaux. Ce sont comme des instantanés de l’océan, révélant les collines et les vallées de l’eau causées par les courants et les ondes.
Comprendre les courants océaniques : un défi de taille
La surface de notre planète bleue est en mouvement constant, un ballet complexe de courants océaniques qui jouent un rôle déterminant dans le climat global. Pour les scientifiques, cartographier ces courants à partir des données de hauteur de la surface de la mer (SSH) capturées par le satellite SWOT est un défi majeur.
À une petite échelle que l’on appelle « submésoéchelle » (quelques dizaines de kilomètres), les méthodes traditionnelles pour calculer la vitesse des courants à partir de ces hauteurs ne sont pas assez précises. La raison en est que les forces qui équilibrent les mouvements de l’eau à cette échelle ne suivent pas les règles simples de la balance dite géostrophique, qui suppose que la force de Coriolis (due à la rotation de la Terre) et la force de pression de l’eau s’équilibrent. De plus, à cette échelle, les ondes de gravité inertielle, sortes de vagues sous-marines créées par la rotation de la Terre et les mouvements de l’eau, ajoutent un niveau de complexité supplémentaire. Ces ondes peuvent masquer ou déformer les signaux que nous essayons de mesurer.
L’intelligence artificielle, des yeux pour voir sous la surface
C’est ici que l’intelligence artificielle entre en jeu. Face aux défis posés par les données complexes de la surface marine, une équipe de Qiyu Xiao de l’Université de New York et ses collègues ont choisi d’utiliser un type spécial d’intelligence artificielle appelé réseau de neurones convolutionnels (CNN). Les CNN sont souvent utilisés pour traiter des images, car ils permettent de reconnaître des motifs et des structures. Ce type d’IA traite les données de manière similaire à notre cerveau lorsqu’il interprète des images.
Pour comprendre leur fonctionnement, imaginez que vous avez un tas de photos de chats et de chiens. Au début, vous ne savez pas les différencier, mais en regardant suffisamment d’exemples, vous commencez à remarquer des caractéristiques spécifiques à chaque animal. Les CNN fonctionnent de la même manière : ils permettent de scanner de nombreux exemples et d’en apprendre certains motifs.
L’équipe de Xiao a donc créé des simulations de mouvements océaniques qui imitent la réalité le plus fidèlement possible. Ces simulations sont comme des jeux de données d’entrainement. Le CNN est exposé à ces données et apprend progressivement à identifier les caractéristiques des courants.
La précision diagnostique des CNN
Une fois entraîné, le CNN peut être appliqué à de nouvelles données SSH réelles collectées par le satellite SWOT. Il utilise ce qu’il a appris pour estimer les caractéristiques des courants océaniques. Le CNN regarde les « ombres » sur l’océan et déduit ce qui les cause – les courants sous-jacents. Les CNN développent une sorte « d’intuition numérique », ils filtrent le « bruit » – les interférences indésirables comme les ondes de gravité inertielle – pour révéler les véritables mouvements de l’eau. Cette méthode est donc particulièrement utile, car elle permet d’obtenir des estimations précises des flux de courants, même lorsque les données sont perturbées par des phénomènes complexes.
Les CNN, une fois formés, offrent aux scientifiques une vision claire des courants, comme si ces derniers utilisaient des lunettes de réalité augmentée pour transformer une image océanique floue en une carte détaillée des flux marins.
Vers une meilleure prévision climatique
Les observations satellitaires de haute précision comme SWOT permettent d’affiner les modèles climatiques. Ces derniers sont essentiels pour prédire la trajectoire d’évolution du climat de la Terre face aux pressions anthropiques et naturelles. Une meilleure compréhension du transport océanique de chaleur et de carbone permet notamment de faire des projections plus précises sur le réchauffement global et ses conséquences potentielles, telles que l’élévation du niveau de la mer, les changements dans le cycle hydrologique ou encore les événements météorologiques extrêmes.
En intégrant ces observations dans des projections régionales, les chercheurs peuvent évaluer les trajectoires à court terme de l’élévation du niveau de la mer et les comparer aux projections basées sur des modèles. C’est un maillon essentiel qui doit aider les décideurs à préparer les infrastructures énergétiques et économiques côtières à faire face aux défis du changement climatique, et pour soutenir les initiatives internationales visant à renforcer la résilience des communautés côtières.
Source : Xiao, Q., Balwada, D., Jones, C. S., Herrero-González, M., Smith, K. S., & Abernathey, R. (2023). Reconstruction of surface kinematics from sea surface height using neural networks. Journal of Advances in Modeling Earth Systems, 15, e2023MS003709. https://doi.org/10.1029/2023MS003709