Alexis Rosenfeld, photographe et explorateur : « On a une vision encore très limitée de l’océan »

19/02/2024

9 minutes

Pour tout le monde

grand témoin

Photographe, explorateur et plongeur professionnel, Alexis Rosenfeld est à l’origine de la mission 1 OCEAN, un grand projet d’exploration des fonds marins, mené avec lUnesco. Après avoir photographié les coraux profonds en Polynésie, la migration des sardines en Afrique du Sud ou les volcans sous-marins de Sicile, le photographe met un coup de projecteur sur les forêts de gorgones rouges en Méditerranée.

Par Marion Durand

Si le photographe n’a pas l’étiquette de chercheur, son témoignage visuel est crucial pour la science. Véritable « échantillon scientifique », la photographie témoigne des bouleversements environnementaux, immortalise des phénomènes naturels rares, montre de l’incroyable biodiversité ou capture limpact de lHomme sur le milieu marin.

« La photographie complète le travail des chercheurs », considère le photographe Alexis Rosenfeld. Le plongeur français est à l’origine d’un grand programme d’exploration des fonds marins, 1 OCEAN, mené avec l’Unesco dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour lOcéan (2021-2030).

Depuis cinq ans, le photojournaliste a participé à de nombreuses expéditions marines autour du monde et pris des milliers de clichés pour dresser un état des lieux des océans et sensibiliser à la protection de la planète.

Sous l’égide de la Fondation CNRS, la Fondation 1 OCEAN s’est donné pour mission de produire du contenu de vulgarisation autour de la recherche scientifique sur les océans et les milieux marins. En juin 2022, la Fondation a lancé son premier programme scientifique L’arche de Noé des profondeurs, un avenir pour la biodiversité, pour étudier les forêts sous-marines et les gorgones rouges, animaux endémiques et emblématiques, de Méditerranée.

Marion Durand : Vous avez exploré presque toutes les mers du monde et pris des milliers de clichés pour dresser un état des lieux des océans. Dans quel état sont-ils aujourd’hui ? 

Alexis Rosenfeld : Je ne suis pas scientifique, je livre un témoignage visuel. De ce que j’observe, j’ai le sentiment que les intentions sont catastrophiques et la prise de conscience assez limitée. Mais je pense aussi que certaines solutions que nous avons testées, comme les aires marines protégées, fonctionnent très bien pour protéger les écosystèmes. En Nouvelle-Calédonie ou dans le bassin méditerranéen, ces zones de réserves intégrales, où s’appliquent des règles strictes, prouvent quil y a des possibilités pour avoir un océan sain. Dans ces aires protégées, au fur et à mesure que les organismes grandissent et se multiplient, la disponibilité de l’espace et des ressources pousse les poissons et autres espèces à sortir de la zone. Ce processus de « débordement » est un système très fonctionnel et permet aux pêcheurs de travailler en dehors de ces aires.

Le cantonnement de pêche du Cap Roux est une zone marine protégée de 450 hectares créée par les pêcheurs de Saint-Raphaël en 2003. © Alexis Rosenfeld / 1 OCEAN

Avez-vous observé des zones en très mauvais état ?

Bien sûr, les plongées aux Maldives m’ont beaucoup marqué. Une année, j’ai découvert un jardin de corail extraordinaire et plusieurs années après, j’ai plongé au même endroit et c’était un désert, un terrain de guerre après un bombardement. Il n’y avait plus rien. La disparition de cet écosystème était liée à la construction d’un aéroport pas loin. Plusieurs vagues de chaleur et des épisodes de blanchiment ont tué le reste des coraux. C’était assez angoissant, pas seulement pour l’explorateur et le photographe que je suis mais aussi en tant qu’humain et papa.

Pourquoi ?

Je ne suis pas un photographe de guerre, je ne souhaite pas l’être. Mon intention est d’embarquer les gens dans des histoires magnifiques, pas dans ces drames que l’on commence à vivre. En Méditerranée c’était pareil, lorsqu’il y a eu ce réchauffement de la zone 0 à 30 mètres, avec une mortalité importante des forêts de gorgones, c’était triste de voir ces écosystèmes décimés, alors que c’étaient les plus beaux jardins du monde qu’aurait pu dessiner Monnet.

Vous êtes plongeur et photographe mais votre travail est étroitement lié à la science…

Mon outil photographique est un merveilleux moyen de compléter le travail des scientifiques. Avec la Fondation 1 OCEAN, je peux être à l’origine de missions scientifiques ou prendre part à des missions organisées par les laboratoires. La photographie a une date, une heure, une position, c’est un échantillon de science au même titre que ceux qui sont prélevés dans les milieux par les chercheurs.

Avez-vous observé le changement climatique au fil des plongées ? 

Bien sûr, ce qu’on observe sur les récifs coralliens est imputable au réchauffement climatique. Mais j’ai aussi été témoin de la révolution technologique des dernières années. Lorsqu’on plonge à 80 ou 100 mètres, et qu’on découvre des coraux alors qu’on n’imaginait pas qu’ils pouvaient survivre en profondeur, c’est incroyable. Cest une preuve quil y a une grande méconnaissance et que nous avons beaucoup de choses à apprendre. On ne sait parler que de ce que lon voit, on a une vision encore très limitée de locéan.

Les gorgones rouges sont de proches parents des coraux de récifs mais à leur différence, elles peuvent vivre à de grandes profondeurs. © Alexis Rosenfeld / 1 OCEAN

Vous avez lancé, il y a un an, un nouveau programme d’exploration des gorgones rouges en Méditerranée. Pourquoi s’intéresser à ces organismes ?

Le projet « L’arche de Noé des profondeurs, un avenir pour la biodiversité ? » est un programme qui est mené avec le CNRS et l’unité de recherche LECOB de lObservatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer. Je travaille avec le chercheur Lorenzo Bramanti, spécialiste des forêts animales. Nous essayons de comprendre comment les gorgones résistent en profondeur car au-delà de la zone des 30-40 mètres, ces animaux sont moins touchés par les changements de températures. Après les canicules marines de ces dernières années, qui ont tué des forêts entières de gorgones, leur survie en profondeur est un motif d’espoir.

Vous avez plongé aux quatre coins de la planète. Quelle mission vous a le plus marqué ?

Je crois que ce qui m’a le plus bluffé, ce sont les volcans sous-marins. Nous avons mené ce projet dans larchipel des îles éoliennes, au nord des côtes siciliennes. Les volcans sous-marins c’est beau, c’est rare. C’est impressionnant car c’est à la fois l’origine de la vie mais ils ont aussi un grand pouvoir de destruction.

En Polynésie française, vous avez photographié la Vallée aux Milles Roses, un des plus grands récifs de coraux au monde. Quelle a été votre réaction face à un tel paysage ?

Ce site est une découverte scientifique majeure par rapport à la taille impressionnante de ce récif profond. Les plongeurs locaux le connaissaient mais n’ont jamais pu aller si loin car la profondeur maximale est limitée pour les plongées amateur en Polynésie. Nous avons découvert qu’en bas, à plus de 100 mètres, un autre écosystème commençait avec des gorgones et de nombreuses espèces nouvelles. La mission s’est arrêtée mais les limites de ce récif restent encore à découvrir.

Au large de Tahiti, le photographe Alexis Rosenfeld et la chercheuse Laetitia Hédouin ont exploré un des plus grands récifs coralliens du monde. © Alexis Rosenfeld / 1 OCEAN

Vous menez aussi un projet sur la plus grande migration animale du monde, celle des sardines…

Ce projet, « La grande migration du vivant », est un projet associant la recherche et l’image. On retourne en Afrique du Sud, sur la côte sauvage, en 2024 pour le terminer. On a filmé le plus impressionnant phénomène du monde : le sardine run, la grande migration des sardines. Cette migration attire des dizaines de milliers de spécimens : des baleines, des dauphins, des requins, des poissons, toutes sortes d’oiseaux… C’est l’ensemble de cette vie sous-marine qui se met en route pour se nourrir et se reproduire. Ce projet fera l’objet d’une exposition et d’un documentaire diffusé sur Arte à la fin de l’année.

Afrique du Sud, juillet 2023. Au cours du tournage pour la chaine ARTE sur la plus grande migration du monde. Le plongeur cameraman Steven Surina se  retrouve entre les plongeons des fous du Cap en quête de sardines.

Après tant d’années, êtes-vous encore surpris par ce que vous observez ?

Tous les jours ! Je m’éclate quand je suis dans l’eau, pas dans un bureau. Je suis fasciné, enivré parce qu’à chaque fois c’est une découverte. Souvent je ne vois pas ce qui se passe donc tout est une surprise. La photo sous-marine, c’est un cadeau de la nature, on ne décide pas toujours ce qu’on photographie. Mais travailler sous l’eau peut être frustrant car on est limité par la décompression ou par la quantité de gaz que l’on peut emporter. Par rapport à mes confrères sur terre, qui photographie durant 8 ou 10 heures, pour moi au bout d’un moment ce n’est physiquement plus supportable.

Quels sont vos futurs projets ?

On commence cette année un grand travail sur les forêts sous-marines, « Forêts sous-marines : un enjeu pour l’humanité ». À travers ce projet, on veut montrer l’importance de ces incroyables jungles sous-marines qui abritent des écosystèmes variés et une très grande biodiversité. Elles sont une source incroyable d’équilibre des océans et jouent un rôle essentiel dans la production de loxygène que nous respirons ou dans l’absorption des excédents de carbone rejetés dans latmosphère.

 

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Voir le site de la Fondation 1Ocean

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