En Nouvelle-Calédonie, des super-coraux résistent à des conditions extrêmes

20/06/2023

6 minutes

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océans et climat

Dans l’île du Pacifique, soixante espèces de coraux survivent dans un environnement défavorable : une eau plus chaude, très acide et moins oxygénée. Alors qu’on croyait jusque-là que les coraux ne résisteraient pas à un milieu si hostile, ils ont su s’adapter. Selon les résultats d’une première étude menée sur place, la calcification est le paramètre principal en cause dans cette acclimatation.

Par Marion Durand

Le site de Bouraké, en Nouvelle-Calédonie, concentre aujourd’hui les principales menaces qui pèsent sur les océans à l’heure du réchauffement climatique : l’augmentation de la température de 2 ou 3 degrés, des taux d’acidité bien plus importants et une eau sous-oxygénée. Pourtant, dans cette partie du lagon, à 90 kilomètres de Nouméa (la capitale), des supers-coraux résistent et se développent dans ce milieu hostile.

Cette découverte est celle de Riccardo Rodolfo-Metalpa, chargé de recherches à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et membre du laboratoire d’écologie marine tropicale des océans Pacifique et Indien (ENTROPIE) en Nouvelle-Calédonie. « Ce que j’ai découvert à Bouraké, je ne l’avais jamais vu, les coraux survivent à des conditions encore plus extrêmes que ce que j’ai découvert auparavant en Papouasie Nouvelle-Guinée lorsque je travaillais sur des résurgences volcaniques de CO2 », explique-t-il.

Riccardo Rodolfo-Metalpa © J-M Boré / IRD

Ce site, unique au monde, est situé dans la mangrove, une forêt composée principalement de palétuviers, vivant entre terre et mer, que l’on trouve le long des côtes et des estuaires. Leau du lagon rentre dans la mangrove lors de la marée montante, circule à lintérieur du système puis ressort à marée descendante. Ce phénomène entraîne une variation de la profondeur du site d’un mètre environ.

« À marée basse, leau de mer devient plus acide et appauvrie en oxygène car le système commence à se vidanger, décrit le scientifique italien. À chaque marée haute, de leau du lagon entre par le chenal dans le large bassin interne à lintérieur de la mangrove. Pendant ce trajet, cette eau se mélange avec de leau de mer plus acide, chaude et désoxygénée. Ainsi même à marée haute, leau dans le système ne retourne jamais à des valeurs normales ».

 

Une calcification plus importante

Les chercheurs ont effectué des mesures de variations du pH sur le site calédonien. Plus le taux est bas, plus l’eau est acide. Les valeurs maximales enregistrées à Bouraké se situent autour de 7,9. À marée basse, le pH atteint même la valeur extrême de 7,3 à proximité des coraux. Des chiffres bien en dessous de ceux relevés actuellement : le pH normal de locéan est de 8,05. Il est prévu qu’il diminue jusquà 7,7 en 2100. « Ces taux montrent que ces organismes se sont adaptés pour survivre dans des eaux très acides ».

Le site de Bouraké en Nouvelle-Calédonie © Riccardo Rodolfo-Metalpa / IRD

Le chercheur a relevé une faible concentration en oxygène, jusqu’à 2 mg/L, alors que la concentration normale le long des côtes est de 4 à 6 mg/L.

Pour comprendre ce phénomène surréaliste Riccardo Rodolfo-Metalpa et Clément Tanvet, doctorant en écologie marine à l’Université de Brest, ont comparé les coraux du lagon semi-fermé de Bouraké à des coraux adaptés à un pH d’eau de mer plus stable. Ils ont examiné la réponse physiologique et la diversité génétique des Symbiodiniaceae (microalgues unicellulaires) associées aux coraux.

Les résultats, publiés dans la revue Ecologie and Evolution, montre que la calcification (formation du squelette calcaire) est le paramètre principal en cause dans cette adaptation. « Les trois espèces de coraux de Bouraké ont constamment affiché des taux de croissance plus élevés que ceux vivant dans l’environnement à pH stable. Ils semblent donc avoir une meilleure capacité à se calcifier à pH réduit. Cette performance supérieure a coïncidé avec des communautés d’algues plus homogènes pour les coraux de Bouraké ».

 

« Les coraux n’auront pas le temps de s’adapter »

Cette étude offre de nouvelles perspectives et contredit une partie de la littérature scientifique existante : « On pensait que l’acidification des océans réduirait la calcification des coraux ». Sans y être insensible, les coraux calédoniens ont, au contraire, développé des mécanismes pour y faire face. Mais le temps reste l’élément central de cette adaptation. Ces super-coraux sont exposés depuis très longtemps à ces conditions extrêmes. Les mêmes espèces prélevées à lextérieur du bras de mer nont pas eu le temps de changer leur métabolisme pour s’acclimater lorsqu’elles ont été confrontées à cet environnement défavorable.

Plongée au coeur du site de Bouraké © Riccardo Rodolfo-Metalpa

Une question reste en suspens : combien de temps a-t-il fallu aux coraux vivant dans la mangrove calédonienne pour s’adapter ? « Ont-ils acquis des mécanismes de défense pendant des centaines d’années, des dizaines ou plus rapidement ? », interroge Riccardo Rodolfo-Metalpa. Derrière cette question restée sans réponse, c’est l’avenir des récifs coralliens qui se dessine. « Si cette adaptation est rapide et qu’une modification physiologique permet au corail de résister, il y a un espoir ». Mais le chercheur est moins optimiste, il rappelle que plusieurs cycles reproductifs sont nécessaires pour modifier la résilience des coraux, alors qu’une larve à besoin de cinq à sept ans pour devenir adulte. « Le réchauffement climatique va à une telle vitesse que les coraux n’auront pas le temps de s’adapter, les récifs coralliens tels qu’on les connaît aujourd’hui seront décimés. »

Le site de Bouraké, découvert en 2016, est un laboratoire naturel exceptionnel puisque ces récifs coralliens sont déjà exposés aux conditions environnementales prévues dici la fin du siècle.

Le site de Bouraké, Nouvelle-Calédonie © Riccardo Rodolfo-Metalpa

Des scientifiques du monde entier se déplacent dans l’île du Pacifique pour observer ce phénomène. « Les gens tombent amoureux de cet écosystème riche, où cohabitent des coraux, des poissons, de la matière organique ou des sédiments dans un environnement hostile ».

Riccardo Rodolfo-Metalpa poursuit l’étude de ces super-coraux. Même si les financements sont peu nombreux, il espère réaliser des analyses génétiques sur les différentes espèces et étudier l’ensemble des micro-organismes vivant dans cet environnement particulier.

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