Céline Liret : retour sur le 2ème colloque national de la Décennie pour les Sciences Océaniques

08/04/2024

7 minutes

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Interview de Céline Liret : « Pour écrire un futur désirable de l’océan, nous devons partager un récit maritime commun qui s’appuie sur des connaissances scientifiques et des savoirs »

La deuxième édition du colloque national de la Décennie de l’Océan a réuni une soixantaine d’acteurs français des sciences océaniques à Brest, avant la conférence mondiale qui débutera, à Barcelone, le 10 avril. Docteure en océanologie biologique et directrice scientifique d’Océanopolis à Brest (France), Céline Liret a accueilli ce colloque les 12-13 mars 2024. Elle reprend les points principaux exprimés par la communauté scientifique autour de ces quatre thèmes :  l’observation, les enjeux des environnements extrêmes, l’océan nourricier, l’océan et nous. 

Propos recueillis par Marguerite Castel

Photo de couverture : Céline Liret, directrice scientifique d’Océanopolis @Benjamin Deroche

En conclusion du colloque que vous avez organisé à Océanopolis, à Brest, avec le ministère de la Transition écologique, vous avez souligné que la Décennie de l’océan est un accélérateur de transformations, lesquelles ?

La Décennie appelle un mouvement du monde de la recherche vers la transdisciplinarité. La communauté scientifique a besoin de casser ses silos, de monter des projets qui associent la physique, la chimie, la biologie et aussi les sciences humaines et sociales. Chacun doit aller au-delà de la connaissance pointue de sa discipline, adapter ainsi sa méthodologie, son langage. C’est aussi intégrer davantage l’ingénierie et la technologie en amont d’un projet.

Ces échanges ont montré aussi un besoin d’ouverture sur le monde, de collaborations à l’échelle européenne et internationale. En particulier dans la donnée : pour comparer, on a besoin des mêmes méthodes de mesure de l’océan ; lui n’a pas de frontière !

C’est en progrès : le laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiale LEGOS met au point une base de données mondiale sur l’oxygène océanique et un atlas GO2Dat qui sera en libre accès. Le réseau européen EMO BON va coordonner une observation à long terme de la biodiversité marine, avec 16 stations de l’Arctique à la Mer Rouge.

La recherche exprime aussi le besoin de redonner du sens, de progresser de façon transversale en lien avec la société, d’intégrer ses différents acteurs (entreprises, associations, collectivités) pour comprendre leurs attentes.

Elle a besoin d’accélérer aussi vers des solutions simples, concrètes, parfois low cost, déclinables à des petites échelles maitrisables, voire locales.

Quels projets par exemple, parmi ceux présentés au colloque, incarnent ces transformations ?

En labellisant des projets, la Décennie leur apporte de la visibilité. Durant nos échanges, à Brest, nous les en avons mis en lumière autour de quatre thèmes : l’observation, les enjeux des environnements extrêmes, l’océan nourricier et l’océan et nous.

Parmi eux, la recherche sur les grands fonds illustre bien cette ouverture à d’autres parties prenantes comme les entreprises et le public, et à d’autres disciplines permettant une approche globale.  La connaissance des profondeurs est un enjeu majeur.

Deep Rest, présenté par Jozée Sarrazin, écologue au laboratoire d’étude des grands fonds à l’Ifremer, pose ces défis. Afin de prévenir une possible exploitation minière des grands fonds marins, les chercheurs étudient deux écosystèmes remarquables : les sources hydrothermales et les champs de nodules polymétalliques. Les entreprises qui souhaitent en exploiter les ressources minérales sont intégrées au projet. Comment extraire et protéger, atténuer les impacts ?

Life Deeper, coordonné par Marie-Anne Cambon (labo grands fonds Ifremer), propose aussi une approche multidisciplinaire, impliquant 11 unités de recherche. Son ambition : démêler le fonctionnement naturel géologique, géochimique et biologique des écosystèmes océaniques profonds, pour éclairer les prises de décisions vers une économie mondiale décarbonée.

Autre exemple intéressant, cette fois sur l’enjeu crucial de l’océan nourricier, Patricia Ricard (institut océanographique Paul-Ricard) plaide pour une économie circulaire de l’alimentation. Son projet de ferme urbaine perma-aquacole  relève le défi avec des solutions concrètes.

Les grands fonds marins sont un enjeu pour la recherche : comment explorer, protéger et réduire l’impact des possibles extractions minières ?

Qu’attendent les chercheurs de la Décennie, au-delà de ce cadre commun, pour un océan durable ?

Ils réclament des moyens pour financer davantage de recherche (postes, équipement), ce n’est pas nouveau. Les besoins sont spécifiques à chaque projet. La recherche est principalement financée par l’argent public ; un apport de fonds privés serait à développer. La recherche est aussi une économie, elle alimente une filière technologique.

Les chercheurs ont aussi besoin d’appréhender les aspects juridiques, on le voit pour les grands fonds et les milieux polaires. Les activités humaines s’y intensifient, notamment le tourisme, avec des impacts certains, alors que le milieu est déjà fragilisé.  La chaire enjeux polaires du laboratoire Amure souligne l’importance d’associer le droit et l’économie à la recherche océanique.

J’ajouterais que la communauté a besoin de montrer comment la science se construit pour lui redonner du sens ; sentir la société à son diapason et inversement. La connaissance scientifique doit entrer davantage dans les manuels scolaires et les instances politiques.

Comment mieux placer la science au cœur des décisions politiques ?

Pour prendre des décisions éclairées, les politiques ont besoin d’être formés, d’acquérir davantage de connaissances scientifiques pour comprendre tous les enjeux. En France, des ateliers scientifiques sont proposés aux députés par exemple, certaines régions se dotent d’outils de consultation composés d’experts. La Région Bretagne a mis en place le Haut conseil breton pour le Climat par exemple.

L’Institut universitaire européen de la mer, à Brest, propose des formations aux collectivités territoriales et d’autres plus spécifiques dédiées aux journalistes et aux acteurs de l’économie bleue.

Les prochaines étapes de la coopération internationale approchent, quelles priorités se dégagent ?

Dès le 10 avril, la conférence mondiale débutera à Barcelone. Elle va définir les priorités d’actions pour la période 2021-2030, notamment ces défis du Livre Blanc  : comprendre et combattre la pollution marine (1) ; protéger et restaurer les écosystèmes et la biodiversité (2) ; déverrouiller les solutions océaniques au changement climatique(5).

En d’autres termes, comment rendre un océan propre, en bonne santé et durable ? Des tas de questions se posent : comment limiter les pollutions venant des terres vers la mer ? Comment prédire ce qu’il se passerait en 2100 si la température monte de 2 degrés ?

L’enjeu de cette conférence est de définir une feuille de route à mi-parcours. L’étape suivante sera le sommet mondial de l’Océan, à Nice, en juin 2025 (UNOC 3). Et que les décisions des Etats se transforment en actions !

Le récit d’un futur océanique possible et désirable est-il en train de s’écrire ?

Pour écrire un futur désirable de l’océan, nous devons partager un récit maritime commun qui s’appuie sur des connaissances scientifiques et des savoirs. Une acculturation de l’ensemble de la société est souhaitée pour comprendre que l’océan est au cœur de la vie sur terre, hier, aujourd’hui et demain.

Paticipants au colloque  national de la Décennie pour les Sciences Océaniques 2024 © Océanopolis

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