Élodie Martinez, biogéochimiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) étudie la variabilité de la biomasse du phytoplancton. Premier maillon de la chaîne alimentaire aquatique, ces micro-organismes génèrent une grande partie de l’oxygène terrestre et absorbent un tiers du dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère.
« Femmes océanographes »(7/12). Elles ont fait de l’océan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. océans connectés part à leur rencontre à travers la France.
Par Marion Durand.
Photo de couverture © Marion Durand
Le phytoplancton, composé de millions d’espèces de végétaux microscopiques, absorbe le CO2 dissous dans l’eau grâce à la photosynthèse. Lorsque le plancton végétal meurt (ou les organismes l’ayant consommé), il emporte avec lui ce gaz à effet de serre, transformé en matière organique constituée de carbone. Ces petites particules, appelées « neiges marines », se déposent au fond des océans et vont séquestrer le carbone. « Le rôle du phytoplancton dans la pompe biologique et dans le cycle du carbone est extrêmement important », insiste l’océanographe de l’IRD (Institut de recherche pour le développement).
Véritable régulateur du climat, le phytoplancton est donc essentiel à notre survie. Mais ces organismes planctoniques sont très sensibles. Leur quantité et leur disponibilité varient selon les régions et dans le temps. Élodie Martinez analyse les mécanismes physiques et biogéochimiques à l’origine de la variabilité du phytoplancton. Pour cela, l’océanographe fait appel à la télédétection spatiale pour analyser l’évolution de la biomasse, c’est-à-dire la quantité de matière disponible. La chercheuse travaille depuis une quinzaine d’années sur les « effets d’îles ». « Aux abords des îles, notamment dans le Pacifique sud, on observe d’importantes efflorescences algales, des augmentations de la concentration d’une ou de plusieurs espèces d’algues », observe Élodie Martinez.
Ces phénomènes, aussi appelés bloom phytoplanctonique, sont des indicateurs de la biomasse en plancton végétal et sont observables depuis l’espace grâce à la couleur de l’eau. L’océanographe brestoise tente de comprendre pourquoi ces espèces végétales sont abondantes aux abords de certaines îles car leur présence attire de nombreuses espèces qui s’en nourrissent. Premier maillon de la chaîne alimentaire, le phytoplancton est consommé par le zooplancton, qui est lui-même ingéré par des petits pélagiques et de plus gros prédateurs comme les raies manta ou les baleines.
« Le Pacifique compte des dizaines de milliers d’îles. Ces efflorescences peuvent avoir un impact considérable sur les réseaux trophiques et notamment sur les grands pélagiques comme les thons. La présence de phytoplancton a donc un impact indirect sur les pêches », décrit-elle.
Des oasis de nutriments près des îles
Dans les eaux du Pacifique tropical, les îles sont des sources de nutriments pour les algues microscopiques. Mais quelle est l’origine de ces oasis de nourriture ? C’est la question que se pose Élodie Martinez, qui travaille spécifiquement sur les îles Marquises, en Polynésie française. Les nutriments sont-ils liés aux phénomènes d’upwelling, ces remontées d’eaux froides profondes vers la surface ? Proviennent-ils des tourbillons océaniques ? Est-ce la pluie qui draine les terres des montagnes et emporte les nutriments vers l’océan ? « Un des processus en cause pourrait être le déferlement d’ondes internes : il y a des ondes, notamment de marée, qui se propagent dans les différentes couches profondes de l’océan et lorsqu’elles arrivent sur l’île, elles déferlent et injectent du sel nutritif vers la surface, en l’occurrence du fer dans le cas des îles Marquises. »
Pour observer ce phénomène, la chercheuse s’appuie sur les observations satellites, les campagnes en mer, la modélisation numérique. « On a plusieurs approches avec des outils différents. Pour obtenir des réponses, on fait à la fois de la physique, de la biologie ou de l’écologie marine. Le côté interdisciplinaire est ce qui me plaît vraiment dans la recherche. »
Au sein du Laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS), une unité de recherche conjointe affiliée à quatre établissements français de recherche et d’enseignement supérieur, Élodie Martinez étudie aussi la variabilité de la biomasse du phytoplancton dans le temps, à l’échelle décennale. De plus en plus utilisée par les scientifiques, l’intelligence artificielle permet d’améliorer les calculs, d’affiner les prévisions ou de fournir d’autres hypothèses pour connaître l’évolution de ces micro-organismes sur des dizaines d’années.
De pilote de ligne à océanographe
Installée depuis six ans à Brest, en Bretagne, Élodie Martinez a longtemps travaillé en Polynésie, au sein de l’UMR Ecosystèmes Insulaires Océaniens. Elle a réalisé son premier stage de fin d’études à Tahiti et mené une thèse en 2006 sur la variabilité saisonnière et interannuelle des eaux de thermocline en Polynésie française.
Après un rapide passage par Hawaï, l’ingénieur de formation a rejoint le laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer au sein de l’équipe d’optique marine, spécialisé dans la télédétection spatiale et la couleur de l’océan. « Ces cinq années de postdoc m’ont permis d’affiner mon projet et de savoir ce que je voulais développer comme thématique de recherche», décrit l’océanographe, dont la carrière était loin d’être tracée. Un père steward, une mère hôtesse de l’air, elle se rêvait dans les airs : « Depuis toute petite, je voulais être pilote de ligne mais un problème de santé m’a empêché de poursuivre dans cette voie, se souvient-elle sans regret. La vie est bien faite finalement, je ne suis pas certaine que j’aurais été aussi comblé ».
« Être océanographe, c’est un métier que j’adore, ajoute-t-elle en abordant un large sourire. Ce qui m’éclate, c’est la recherche. C’est génial de pouvoir se lever un matin, lire un article scientifique et de se lancer dans un nouveau projet de recherche pour répondre aux questions laissées en suspens ! C’est sans fin, on n’est jamais dans sa zone de confort, on peut rebondir d’une thématique à l’autre.»
Ce qui la passionne aussi, c’est de transmettre. Tous les ans, elle participe à l’initiative « Elles bougent » pour promouvoir les métiers techniques et scientifiques auprès des jeunes filles en classe de 3e. « Moi j’ai eu une chance incroyable d’avoir des parents qui n’avaient pas leur bac mais qui nous ont toujours poussées, ma sœur et moi, à faire ce qu’on voulait en nous répétant qu’il n’y avait aucune limite. Je veux transmettre ça aux jeunes filles ! » Les adolescentes qu’elle rencontre ont parfois une vision utopique du métier d’océanographe, imaginant seulement leur interlocutrice en voyage ou en campagne en mer. « Ce qui rassure les étudiants, c’est de voir qu’il n’y a pas seulement des parcours ancrés dès le départ. On peut partir dans une voie et finalement changer de spécialité ».
En 2021, elle a créé avec des amies chercheuses un jeu de cartes à destination des petits polynésiens pour les sensibiliser à l’importance du plancton végétal. « Avec ce jeu de 7 familles, on voulait montrer aux enfants que le phytoplancton est tout petit, invisible mais que sa présence est essentielle », décrit l’océanographe de 45 ans.
Dans un collège prioritaire de Tahiti, Élodie Martinez a aussi mis en place le programme Adopt a float, initié par l’Institut de la mer de Villefranche, qui permet d’« adopter » un robot sous-marin pour le suivre dans ses déplacements afin de sensibiliser les élèves à l’importance de l’observation océanographique. « C’est fantastique de voir à quel point les jeunes sont intéressés et ce n’est pas les premiers de la classe ! Peut-être que ça leur offre de nouvelles perspectives mais nous voulons surtout créer un intérêt, les sensibiliser, car c’est leur environnement et ils doivent y faire attention à tout prix. »