Un puits de CO2 insoupçonné dans le Pacifique Sud

26/06/2023

5 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

Une découverte majeure vient d’être faite dans le Pacifique Sud. Une équipe internationale de 25 chercheurs, dirigée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) via l’Institut méditerranéen d’océanographie (MIO) et le CNRS vient de découvrir que cette région, autrefois considérée comme un désert biologique, est en réalité une vraie oasis de vie marine, jouant un rôle capital dans la capture de dioxyde de carbone et dans l’équilibre climatique de notre planète.

Par Laurie Henry

Une fertilisation naturelle en plein désert et une oasis de vie

Le désert marin du Pacifique Sud, une vaste étendue d’eau qui s’étend de l’Australie à l’Amérique du Sud, est l’une des régions les moins explorées de l’océan mondial. En raison de sa faible productivité biologique, elle a longtemps été négligée par les scientifiques. Mais une nouvelle étude révèle que cette zone joue en réalité un rôle crucial dans l’absorption du CO2 atmosphérique.

La mission scientifique « TONGA » a été menée en 2019 par deux chercheuses françaises, Sophie Bonnet (océanographe à l’IRD) et Cécile Guieu (océanographe au CNRS). A bord du navire de recherche l’Atalante affrété par la Flotte Océanographique Française, la campagne océanographique a permis d’explorer les volcans sous-marins peu profonds dans la région des Tonga, dans le Pacifique.

Navire océanographique l’Atalante voguant sur le Pacifique en direction des sites de recherche dans le cadre de la campagne océanographique TONGA.

 

En déployant de nombreux moyens d’observations et de mesures physiques, acoustiques, chimiques et biologiques, les auteurs ont révélé que ces volcans émettent des fluides hydrothermaux riches éléments traces, des minéraux présents en très petites quantités comme le fer.

Présent en quantités souvent limitées dans l’océan, le fer est pourtant un nutriment essentiel à la vie et au phytoplancton. Alors quand ces volcans sous-marins émettent des quantités importantes de fer, qui lui-même atteint la couche éclairée de l’océan, l’activité biologique devient fortement stimulée, ce qui explique cette oasis de vie au milieu du ‘désert’ du Pacifique Sud. En particulier, les micro-organismes marins appelés « diazotrophes » sont nourris naturellement par ce fer et par photosynthèse, fixent le CO2 en grande quantité.

S’en suit alors une vaste efflorescence ou floraison, c’est-à-dire une croissance rapide et abondante de ces micro-organismes sur une surface évaluée à 400 000 km2 environ. Une véritable oasis de vie se développe dans cette région, jouant un rôle clé dans une séquestration accrue du CO2 alimentant le puits de carbone océanique.

Efflorescence phytoplanctonique de la cyanobactérie fixatrice d’azote Trichodesmium dans le Pacifique sud-ouest.© Tonga Project / G. Roudaut et S. Bonnet

Observée par microscopie, elle utilise l’azote sous sa forme moléculaire grâce aux grandes quantités de fer disponible dans le milieu. © Tonga Project / G. Roudaut et S. Bonnet

 

Un puits de CO2 gigantesque en plein désert questionné par les conséquences du changement climatique

Malgré ces résultats encourageants, les chercheurs mettent en garde contre une interprétation trop optimiste. Bien que le désert marin du Pacifique Sud soit un puits de CO2 important, il ne pourra en aucun cas compenser à lui seul les émissions de CO2 d’origine humaine. Surtout, le réchauffement climatique lui-même pourrait venir perturber le fonctionnement de ce puits de carbone, en modifiant notamment les courants océaniques et la distribution spatiale et temporelle des nutriments.

Dans le cadre de la campagne océanographique TONGA, des échantillons sont prélevés au coeur du container minicosmes. Ce container, dit « propre », baigne dans un environnement bactériologique maîtrisé, à l’abri de la chaleur et de la lumière naturelle, dans lequel se trouvent 8 grands minicosmes, aquariums de 300l. Dans ces réacteurs, de l’eau de mer pompée à proximité des sources hydrothermales a été mélangée dans différentes proportions à de l’eau de surface. L’objectif de cette expérience est d’étudier l’impact des sources hydrothermales sur la composition et le fonctionnement des communautés planctoniques de surface. C’est à dire, observer comment les fluides volcaniques vont agir sur leur croissance, leur métabolisme, et donc quantifier leur impact sur les flux de carbone.

 

Même si ces résultats sont une avancée majeure dans notre compréhension du cycle du carbone, ils soulignent aussi l’importance de poursuivre nos efforts pour réduire les émissions de CO2 et lutter contre le changement climatique. Car si l’océan absorbe une partie du CO2 que nous émettons, il ne pourra sans doute pas le faire indéfiniment, et surtout pas sans conséquence pour sa propre santé.

Source : Sophie Bonnet et al., Natural iron fertilization by shallow hydrothermal sources fuels diazotroph blooms in the ocean. Science 380,812-817(2023). DOI:10.1126/science.abq4654 – https://www.science.org/doi/10.1126/science.abq4654

Regarder le film de l'expédition TONGA

ces événements pourraient vous intéresser... tout voir