Les courants océaniques modélisés depuis l’espace grâce à un arsenal puissant

24/04/2023

6 minutes

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Par Laurie Henry

Les satellites sont des outils incroyables pour observer la Terre et notamment l’océan qui couvre plus de 70% de notre planète. Depuis leurs orbites, ils nous fournissent beaucoup plus d’informations qu’il serait possible d’obtenir uniquement à partir de la surface. En décembre 2022, le plus puissant satellite dédié à l’observation topographique terre et mer SWOT (Surface Water and Ocean Topography) a été lancé avec succès grâce à la collaboration entre la NASA américaine et le Centre National d’Études Spatiales (CNES) français. SWOT a ainsi rejoint un arsenal spatial permettant la modélisation des courants océaniques, outil capital pour la compréhension des océans et de ses interactions avec l’atmosphère, la biosphère ou encore les continents.

Les océans sont un réservoir majeur de chaleur, d’eau douce, de sel, de nutriments et de carbone dans le système terrestre. La circulation océanique joue un rôle crucial dans la régulation du climat en transportant la chaleur des basses vers les hautes latitudes dans les eaux de surface (comme le Gulf Stream du golfe du Mexique vers l’Europe), tandis que les courants refroidis aux hautes latitudes s’écoulent dans les eaux plus profondes vers l’équateur.

Néanmoins, la connaissance du rôle joué par les océans dans le système terrestre est actuellement insuffisante pour pouvoir faire des prévisions précises de leur état. C’est pourquoi les chercheurs ont recours aux satellites. Les informations recueillies peuvent les renseigner sur la bathymétrie des océans, la température de surface de la mer, la production (nutriments, oxygène, etc.) des océans, les récifs coralliens, la glace des mers etc.

Un article récent publié par Morrow et al., 2023 explique la manière dont nos réseaux d’observations mondiales multi-satellites et in situ sont combinés et assimilés pour caractériser la circulation océanique en 4D, indispensables aux prévisions climatiques et météorologiques.

Données de surface et modélisation profonde

Pour recueillir les données océanographiques, les satellites de télédétection munis d’altimètres envoient un signal, une onde électromagnétique comme un radar, à une vitesse donnée vers la surface. Le temps que met l’onde à revenir permet de déduire sa distance à la surface.

Toutes ces observations satellitaires mesurent « uniquement » la topographie (ou hauteur) de la surface de la mer. Néanmoins, cette dernière reflète bien les variations de densité et de pression plus en profondeur dans l’océan, car elle est influencée à la fois par la gravité et la circulation océanique, mais aussi par la température.

Effectivement, l’eau chaude a pour particularité de se dilater, tandis que l’eau froide se contracte, ce qui modifie la hauteur de la surface de l’eau. Les scientifiques peuvent en déduire des schémas de circulation océanique comme les lieux d’upwelling (ou remontée d’eaux froides) ou les courants d’eau chaude, comme le Gulf Stream.

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Arsenal des satellites pour l’étude des océans. © NASA

Complémentarité des données in situ et satellitaires

L’article de Morrow et al. (2023) souligne la très grande complémentarité des données satellitaires et des données in situ, notamment depuis le développement du programme international Argo.

En effet, depuis le début des années 2000, Argo a permis le déploiement de plus de 4 000 flotteurs sur tous les océans du monde. Chaque flotteur échantillonne la température et la salinité de l’océan dans les deux premiers kilomètres de la colonne d’eau. Cette mesure in-situ globale est complémentaire des observations collectées à bord des navires, des données d’amarrage ou encore des observations collectées à partir des dériveurs de surface.

Les informations satellitaires sont alors recoupées avec ces données in-situ, et projetées sur des cartes par les logiciels de système d’information géographique (SIG) pour permettre une visualisation 4D des courants océaniques. Cette visualisation des différentes masses d’eaux aux caractéristiques physiques différentes et de leurs circulations les unes par rapport aux autres aident à mieux comprendre pour mieux prévoir les effets de l’évolution des océans sur la machine climatique. Des évènements climatiques extrêmes et récurrents comme El Niño ou La Niña ont par exemple déjà été observés grâce à ces cartographies dans le Pacifique en 1997 ou 2015.

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Anomalies altimétriques du niveau de la mer lors des événements El Nino de 1997 (à gauche) et de 2015 (à droite) dans l’est du Pacifique. © CNES / EU Copernicus Marine Service

Evolution technologique, SWOT et le futur

La télédétection a vu ses performations s’accroitre avec l’utilisation des modes d’interférométrie des radars à synthèse d’ouverture ou Synthetic Aperture Radar (SAR) à large fauchée. Derrière ce nom se cache un outil qui, de manière simple, fonctionne comme l’écholocalisation de certains mammifères marins pour naviguer.  Sauf qu’à la place d’ondes électromagnétiques, le satellite envoie des impulsions micro-ondes lui permettant de « voir » à travers l’obscurité, les nuages ​​et la pluie. On parle également de large fauchée car le SAR peut étudier une zone de 50km, contre 5 à 10km pour les modèles traditionnels. L’impulsion revient au satellite et le capteur crée une image à partir des échos renvoyés.

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Configuration de SWOT et de la télédétection croisée. © K. Wiedman / NASA-JPL

C’est cet outil, en plus d’un altimètre conventionnel, que le satellite SWOT a embarqué en décembre 2022 en double exemplaire, chacun à l’extrémité d’une antenne de part et d’autre du satellite. Cette configuration permet d’obtenir des données croisées plus robustes. La résolution spatiale des mesures océaniques SWOT est au final 10 fois supérieure au composite des données de hauteur de la surface de la mer recueillies sur la même zone par sept autres satellites : Sentinel-6 Michael Freilich, Jason-3, Sentinel-3A et 3B, Cryosat-2, Altika, et Hai Yang 2B.

En janvier, les premières images provenant de SWOT montrent des courants océaniques comme le Gulf Stream dans des détails sans précédent. Mais il reste encore beaucoup de défis à relever, principalement la synchronisation de tout cet arsenal spatial à disposition mais aussi la capacité à observer la circulation océanique à des latitudes plus élevées comme dans les zones polaires où la présence de glace de mer empêche encore l’observation de la surface de l’océan.

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