Depuis plus de 25 ans, le réseau international PIRATA surveille l’océan tropical de manière opérationnelle, collectant sans interruption des données atmosphériques et océaniques de qualité. Pour assurer la maintenance de ce réseau et le garder fonctionnel, la 33ème campagne PIRATA s’est élancé le 05 mars 2023 de Mindelo au Cap Vert pour un périple de 38 jours à bord du navire océanographique THALASSA de la Flotte Océanographique Française. Voici quelques nouvelles nous provenant du bord, après 15 jours de mer.
Pour cette 33ème campagne PIRATA comme pour les précédentes, ce sont les ingénieurs des laboratoires de Brest de l’UAR IMAGO qui assurent l’essentiel de la mise en œuvre de ces campagnes annuelles françaises : préparation, logistique, et réalisation des opérations.
Maintenance des bouées et des mouillages, mesures hydrologiques, mesures courantométriques ou chimiques, analyses, traitement et validation de données… conserver un réseau de surveillance en mer opérationnel impose du matériel en parfait état de marche et le respect de procédures bien définies pour obtenir des données qualifiées et exploitables scientifiquement.
Les scientifiques présents à bord travaillent en équipe, et certains (6 en permanence) se relaient par quart (2 par quart). Ils mettent en commun leurs compétences pour permettre la collecte d’une grande variété de données et assurer le bon déroulement d’une campagne océanographique en plein océan Atlantique tropical, parfois hors de certaines zones du Golfe de Guinée où la piraterie sévit depuis quelques années.
Les premiers instants à bord cruciaux pour souder l’équipe
Le début de mission est toujours un moment convivial. Chaque membre de l’équipage, qu’il soit scientifique, technique ou logistique, fait connaissance avec le matériel et avec ses collègues. Un planning très serré est présenté à tous, avec le détail des objectifs à remplir durant l’expédition. Le rythme plus lent des premiers jours de la campagne permet également de mettre au courant et de former les nouveaux venus aux quarts et aux techniques utilisées pour la maintenance des bouées et le recueil des données en particulier.
Après ces quelques jours de mise en place, certains instruments sont déployés bien avant d’arriver sur le premier site des bouées. Deux biogéochimistes du LOV de Villefranche-sur-mer ont par exemple réussi à déployer deux BGC-ARGO et à visualiser les premiers profils réalisés par ces flotteurs autonomes. Les paramètres mesurés par ces flotteurs permettent de déduire les concentrations des principaux groupes de phytoplancton.
Les activités scientifiques très intenses laissent néanmoins la place à des moments de partage et de détente, comme des soirées jeux vidéo par exemple. Etre solidaires et soudés lors d’une expédition en mer fait une réelle différence pour chaque membre de l’équipage, autant que pour la réussite des objectifs de la mission.
Avant d’arriver réellement sur site d’une bouée pour la remplacer, certains moments sont dédiés à pêcher pour se distraire et nourrir l’équipage, car les bouées jouent le rôle de concentrateur de poissons !
En quelques jours, la mécanique est bien rôdée. Quart, loisir, repos…chacun connait très rapidement son rôle à bord, et l’entraide entre les membres est de mise à tout moment. C’est pour tous un sentiment de confiance partagée qui domine à chaque de campagne.
Démarrage des activités de maintenance et de recueils de données
Le rythme de la première semaine est soutenu afin de pouvoir s’occuper des quatre bouées situées à 10°W de longitude et réaliser tous les relevés. Le remplacement d’une bouée prend à peu près une journée. Elle ne peut pas juste etre remontée sur le bateau puis nettoyée et enfin remise à flot. Il faut dans un premier temps ôter les capteurs atmosphériques, avant d’envisager son remorquage sur le bateau.
Pendant que l’ancienne bouée est nettoyée, une CTD est réalisée jusqu’à 2000m de profondeur pour faire un profil sur le site. Un profil CTD permet la collecte d’un profil de conductivité (capacité de l’eau à permettre le passage de l’électricité entre deux électrodes, permettant d’en déduire la salinité), de température et de profondeur (Conductivity Temperature Depth) de l’eau entre la surface et le fond. Un tel profil, jusqu’à 200m de profondeur, sera répété toutes les 3 heures pendant 48h à proximité de la première bouée (10°W-0°N) dans le cadre d’une étude sur l’évolution de la composition des eaux menée par les scientifiques du LEGOS.
En fin de soirée, le déploiement de la nouvelle bouée et des quelques 5000 mètres de câbles commence. Cette manœuvre peut être aussi l’occasion pour l’équipage de croiser le chemin d’un groupe de globicéphales, d’un requin marteau ou encore de dorades coryphènes curieuses.
Des recueils de données pour d’autres missions et estimer l’état de santé des océans
Les campagnes PIRATA contribuent aussi au système global d’observation des océans et permettent à des unités de recherches d’avoir accès à un certain nombre de données in situ. L’équipage se met donc à la disposition des objectifs de trois grands autres programmes :
- Pour le LEGOS, en complément de profils CTD, des capteurs sont installés dans les 50 premiers mètres sur 2 bouées équatoriales ;
- Pour le LOV, 10 profils hydrologiques CTD spécifiques avec des prélèvements pour des analyses biogéochimiques sont réalisés, en complément du déploiement des deux profileurs BGC-ARGO en début de mission ;
- Enfin pour le LOCEAN, des mesures en continu de paramètres de pCO2 (pression partielle de CO2) et du pH sont effectuées, ainsi que le remplacement de 2 capteurs CO2 de surface sur les bouées situées à 10°W-0°N et 10°W-6°S.
La pression partielle de CO2 est importante à connaitre pour estimer la capacité de l’océan à stocker le carbone. De manière simple, l’atmosphère échange du CO2 avec la surface des océans, afin d’équilibrer leur pression partielle. Plus cette pression est importante, plus la quantité de CO2 dans l’atmosphère est élevée, et plus l’absorption de ce gaz sera importante dans l’eau de surface, impactant la vie sous-marine.
Enfin, des prélèvements de Sargasses*, de crustacés présents sur les bouées seront réalisés ainsi que, des morceaux de thons (si péchés) pour analyser leur teneur en mercure et suivre l’évolution la pollution de nos océans.
* Sargasses : algues brunes qui prolifèrent en Atlantique tropical depuis plus de 10 ans, risquant de se décomposer sur nos côtes, produisant de l’hydrogène sulfuré néfaste pour la santé, comme cela est observé dans les Antilles avec de forts impacts économiques et sociaux.