Les pêcheries mexicaines face aux changements climatiques

12/06/2024

7 minutes

Pour tout le monde

océans et société

Comment les pêcheurs travaillant sur une petite échelle réagissent-ils aux chocs climatiques auxquels ils peuvent faire face ? Quels facteurs impactent leurs stratégies d’adaptation, et celles-ci sont-elles payantes sur le long terme ? C’est ce qu’étudie une publication dans la revue Global Environmental Change, en s’appuyant sur l’exemple des communautés de pêcheurs dans le nord-ouest du Mexique.

par Maud Lénée-Corrèze

La mer de Cortès, dans le golfe de Californie, sur la côte ouest du Mexique, est connue pour la richesse de son écosystème, favorisée par l’importante production primaire de ses eaux. Les communautés locales dépendent d’ailleurs de la pêche de nombreuses espèces, pélagiques, benthiques. De l’autre côté de la péninsule de Basse-Californie, où les forêts de kelp sont à la base de l’écosystème, l’activité de pêche y est aussi forte, mais centrée sur d’autres animaux. Quand des changements surviennent, l’équilibre est rompu et les communautés de pêcheurs changent leur pratique. Dans une étude publiée en février dernier dans la revue Global Environmental Change, des chercheurs étudient les différentes stratégies adoptées par les pêcheurs mexicains de petite échelle face à la hausse de la température de l’eau survenue entre 2012 et 2016, et constatent que, sur le long terme, les stratégies visant à diversifier leurs espèces ciblées seraient les plus payantes.

Au cours de cette période, un épisode El Niño associé des températures de l’eau plus élevées, combiné à une série de vagues de chaleur marine, a modifié les écosystèmes de part et d’autre de la péninsule de Basse-Californie. Quelques pêcheries, comme celle d’ormeaux dans certaines régions de la côte Pacifique, ont été complètement fermées.

« Ces événements ont modifié les écosystèmes : sur la côte Pacifique, la biomasse des forêts de kelp a considérablement réduit, se répercutant sur les espèces dépendantes de ces algues (comme les ormeaux), tandis qu’en mer de Cortès, la population de nombreuses espèces de poissons pélagiques et d’invertébrés (comme le calmar) a diminué », explique Timothy Frawley, un chercheur en systèmes socio-écologiques à l’université de Santa Cruz, auteur principal de l’étude.

Dans leur étude, les chercheurs se sont intéressés à la corrélation entre les stratégies adoptées pour répondre aux changements climatiques par les pêcheurs mexicains de petite échelle – travaillant sur des bateaux ouverts en fibre de verre de 5 à 7 mètres – et leur organisation sociale pour mener leur activité. Car, dans cette région du nord-ouest du Mexique, il existe une certaine diversité dans les formes de gouvernance des pêcheurs.

Cibler une espèce, une stratégie payante à court terme, mais dangereuse à long terme

Les pêcheurs peuvent ainsi se regrouper en coopératives, plus ou moins grandes, adoptant un fonctionnement démocratique, partageant ressources et revenus, décidant quand et où pêcher et comment commercialiser les prises. Reconnues par l’Etat, elles bénéficient de zones de pêche exclusives. Au sein de ces structures, ils parviennent à s’auto-gérer, menant des stratégies de pêche et de conservation efficaces, là où la régulation gouvernementale est faible. Ainsi, ils pêchent en priorité l’ormeau, le homard et la crevette, ces espèces ayant une forte valeur ajoutée. Ils s’appuient ensuite sur des espèces pélagiques pour compléter leurs revenus.

Mais alors que les populations d’ormeaux s’effondrent sur la côte Pacifique lors des épisodes de vagues de chaleur marine entre 2012 et 2016, les coopératives choisissent de se spécialiser encore plus, afin de maintenir les revenus : côté Pacifique, elles se concentrent sur le homard, très lucratif, qui réalise désormais « plus de 80 pour cent de leurs chiffres d’affaires », ajoute Timothy Frawley. Côté mer de Cortès, face à la baisse du calmar et du thazard sierra (poisson de la famille des maquereaux), les grandes coopératives se reportent plus fortement sur la crevette. « Globalement, ces structures se sont resserrées sur une espèce, précise Timothy Frawley. Cela s’est certes traduit par un maintien des revenus à court terme, mais sur le long terme, cela les fragilise potentiellement si les changements deviennent plus prononcés et plus persistants, ce qui est une tendance. Si les pêcheurs regroupés en coopératives qui ont choisi cette stratégie perdent encore une espèce, cela pourrait devenir dangereux économiquement pour eux. »

Entre 2012 et 2016, des vagues de chaleur ont frappé les côtes de la péninsule californienne, se répercutant sur la pêche locale. © Timothy Frawley et al.

Des pêcheurs diversifiés résisteront plus aux chocs à venir

Quand ils ne sont pas regroupés en coopératives, les pêcheurs peuvent être employés par une sorte d’armateur, qui détient un permis de pêche, des bateaux, des équipements. « Ce sont des sortes de petits chefs d’entreprise, qui n’ont parfois aucune expérience dans la pêche, ajoute Timothy Frawley. Ces patrons décident pour leurs pêcheurs ce qu’ils doivent pêcher et quand. » Ceux-ci ciblent un panel d’espèces plus varié que les pêcheurs des coopératives : oursins, palourdes, requins, calmars et autres poissons pélagiques. Entre 2012 et 2016, les chercheurs ont constaté qu’ils se sont encore plus diversifiés, n’ayant pas accès, comme les coopératives, à de grandes zones de pêche. Ils ont donc dû cibler de nouvelles espèces, comme la Seriola dorsalis, dont le marché est encore peu développé. Ce qui a généré des pertes de revenus. Mais, selon le chercheur, cette stratégie de la diversification devrait s’avérer payante dans le futur : « même s’ils ont perdu de l’argent au cours de la période étudiée, ils se sont ouverts à d’autres pêcheries, acquérant de nouvelles compétences, et ont formé de nouveaux partenariats commerciaux, commente le chercheur. Ils sont ainsi mieux positionnés pour négocier les variations environnementales et climatiques à l’avenir. Il faudrait désormais que les marchés des espèces moins connues, comme la Seriola dorsalis se développent. » Et les chercheurs de conclure dans leur étude que les réponses aux chocs et stress climatiques, amenés à être plus nombreux à l’avenir, nécessiteraient de faire des compromis entre court terme et long terme, pour parvenir à maintenir les moyens de subsistance de la pêche artisanale et les structures sociales diverses qui les soutiennent. Un message adressé à la fois aux pêcheurs, mais aussi aux décideurs politiques, au Mexique où la politique des pêches se dégrade, mais aussi plus globalement.

Un pêcheur mexicain de petite échelle récupère une Seriola dorsalis, au large de l’île Tortuga dans le sud du golfe de Californie. © Timothy Frawley

Une approche holistique des pêcheries

En effet, leur publication se veut une étude de cas pour montrer qu’une approche plus holistique des pêcheries, qui s’intéressent aux systèmes socio-écologiques [qui étudie les interactions et rétroactions mutuelles entre les humains et les environnements et écosystèmes dans lesquels ils sont intégrés, NDLA], pourrait permettre d’envisager des politiques des pêches différentes. C’est-à-dire « moins centrées sur les quotas et les limites de pêche, moins axées uniquement sur un seuil de conservation biologique, vision à mon sens très économique, estime Timothy Frawley, mais plus en lien avec les communautés locales de pêcheurs. Très souvent, ces politiques de quotas conduisent à une concentration aux mains de quelques acteurs, un avenir qui ne me semble pas enviable. Si on postule que les coopératives de pêcheurs côtiers ont un fonctionnement plus démocratique et sont d’une manière générale plus éthiques, alors il pourrait être intéressant de s’intéresser à leurs forces et faiblesses pour concevoir des politiques qui les aideraient. »

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