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Records des températures de surface des océans, un amer constat pour la planète

Par Laurie Henry

En ce début du mois d’avril, la température mondiale à la surface de l’océan a atteint 21,1°C, la température de surface de l’océan la plus élevée jamais enregistrée depuis 1980 et le début des mesures par satellite. Ce triste record est le résultat de l’accumulation de chaleur dans les océans provoquée par le changement climatique. Les scientifiques mettent en garde contre davantage de vagues de chaleur marines et des événement climatiques extrêmes.

Pourquoi une hausse si importante des températures ?

À mesure que les gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère, océans et continents se réchauffent. Depuis l’ère industrielle, plus de 90% de la chaleur supplémentaire injectée dans notre système Terre issue directement de nos émissions gaz à effet a déjà été absorbée par l’océan.

Mais les tendances oscillent notamment en fonction des cycles de La Niña et El Niño présents dans l’océan Pacifique, entre l’Indonésie à l’Ouest où les eaux dépassent les 30°C, et le Pérou où les eaux de surface tournent autour des 23-24°C. Cette différence de température entraine une différence de pression dans l’atmosphère qui engendre des alizés (des vents venant de l’Est). Dans des conditions dites normales, ces alizés emportent une très grande quantité d’eau chaude de l’Amérique du Sud vers l’Asie au travers d’un courant océanique puissant baptisé le « jet stream » du Pacifique. Pour ré-équilibrer la colonne d’eau à l’est, de l’eau froide remonte des profondeurs le long des côtes américaines (grâce à un processus appelé upwelling). Cette interaction océan-atmosphère rend les eaux du Pacifique ouest plus chaudes et les eaux d’Amérique du Sud encore plus froides,  et permet d’entretenir naturellement le système.

El Niño et La Niña sont deux régimes climatiques opposés qui rompent ces conditions normales et impactent fortement les conditions océaniques et météorologiques, modifiant la position du jet stream du Pacifique :

  • Pendant les années La Niña, les alizés du Pacifique soufflant d’est en ouest sont beaucoup plus forts. Ils poussent ainsi les eaux de surface chaudes encore plus vers l’ouest et provoquent une remontée importante d’eaux profondes et fraîches à l’est.
  • A l’inverse, pendant les années El Niño, une anomalie de vent d’ouest entraine une diminution des alizés, provoquant un mouvement des eaux chaudes de surface de l’ouest vers l’est. Ce qui va réduire la différence de températures entre l’Est et l’Ouest, réduire encore plus les alizées et faire en sorte que d’autant plus d’eau chaude se déplace et remonte. Or, en se déplaçant, ces eaux chaudes vont gagner la surface de l’océan, et par effet d’entraînement, y augmenter la température de l’air, jusqu’à parfois 3 ou 4 degrés.

Pour ce mois d’avril 2023, des données préliminaires de la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa) ont montré une température moyenne mensuelle à la surface de l’océan de 21,1°C , ce qui est bien au-delà du précédent record de 21°C établi en 2016. Les deux relevés sont également supérieurs de plus d’un degré à la moyenne mondiale établie entre 1982 et 2011, établie autour de 20,4°C au début du printemps selon les données du réanalyseur climatique de l’Université du Maine.

Cette augmentation de température s’explique à la fois par un affaiblissement d’un régime « La Niña » installé depuis trois ans dans le Pacifique tropical, qui avait jusqu’ici fortement contribué à réduire les températures de surface océaniques et à modérer l’absorption de chaleur de l’atmosphère vers l’océan.

Malgré tout, avec un excès de chaleur complémentaire dû au réchauffement climatique, l’océan a absorbé suffisamment de chaleur à l’ouest en sub-surface (autour de 300 mètres) pour installer les conditions de décelenchement d’un futur El Niño. D’ici le prochain hiver 2023, si une anomalie de vent d’ouest apparait, les scientifiques prévoient le passage à un régime « El Niño » qui s’accompagnera d’une augmentation des températures de surface océaniques mondiales, et par conséquence des températures atmosphériques. Comme le souligne Dr Mike McPhaden, chercheur principal à NOAA, dans un article du Guardian : « Maintenant que c’est fini [La Niña], nous voyons probablement le signal du changement climatique arriver haut et fort ».

Quels risques pour les océans et les Hommes ?

Une étude datant de 2022 avait déjà conclu à des records de chaleur enregistrés ponctuellement dans les océans en 2021.

Des températures de surface océaniques plus chaudes signifient davantage de vagues de chaleur marines, ce qui est le cas actuellement et de manière simultanée à travers le monde. Les conditions conduisant au réchauffement des océans entraînent également une augmentation catastrophique des températures sur les continents, qui se réchauffent bien plus que les océans.

Le professeur Adam Scaife, responsable des prévisions à long terme au Met Office britannique expliquait en début d’année au Guardian : « Nous savons qu’avec le changement climatique, les impacts des événements El Niño vont s’intensifier, et vous devez ajouter cela aux effets du changement climatique lui-même, qui ne cesse de croître. Vous mettez ces deux choses ensemble, et nous verrons probablement des vagues de chaleur sans précédent lors du prochain El Niño ».

La hausse des températures et l’augmentation des vagues de chaleur marines et terrestres ont de multiples conséquences : fonte des glaces continentales, augmentation du niveau de la mer, perturbation du cycle hydrologique s’accompagnant d’évènements extrêmes (tempêtes plus violentes et plus longues, sécheresses intenses et durables), ou encore menaces pour la vie marine. Et comme une boucle de rétroaction, l’évaporation et l’assèchement des sols fait augmenter à son tour le risque de vagues de chaleur et d’incendies de forêt.

La surveillance des océans toujours plus chauds

Mais si l’océan se réchauffe fortement en surface, il se réchauffe également en profondeur : des mesures ont montré un réchauffement de +0.3°C en moyenne globale entre 0 et 700 mètres de profondeur, sur la période 1875-2010 (Rhein et al., IPCC 2013). La conséquence directe est celle d’un océan devenant plus stratifié, ce qui inhibe le mélange entre les couches océaniques de surface et les couches les plus profondes et rend moins efficace l’absorption de CO2 et d’oxygène.

Cette lente pénétration de la chaleur vers les grandes profondeurs océaniques implique un réchauffement climatique gardé en mémoire dans l’océan pendant de longues décennies, d’augmenter et dont les conséquences pour le milieu marin seront encore visibles bien longtemps, même après la stabilisation des gaz à effet de serre.

Il est donc impératif de poursuivre et de renforcer les observations océaniques pour comprendre et appréhender l’avenir climatique, en particulier à l’aide des flotteurs Argo. La nouvelle génération de flotteurs actuellement en préparation devrait pouvoir plonger plus profond, jusqu’à 6000 mètres de profondeur au lieu des 2000 mètres actuellement.

L’objectif est de disposer des moyens technologiques suffisants pour suivre ce signal climatique de la surface jusqu’aux plus grandes profondeurs sur le long-terme et sur l’ensemble de la planète. Ces données sont également un nécessité pour les modèles numériques météorologiques et océaniques, qui ont également besoin d’affiner leurs prévisions à l’aide de données collectées en mer.