Une équipe internationale de scientifiques a dévoilé les analyses faites sur la hausse des températures en Antarctique depuis 25 ans. Une étude qui sonne comme un coup de semonce.
Une série temporelle de 25 ans de mesures de température acquise dans l’océan Austral a mis en évidence les changements de température de cet océan encore mal connu. Sur le pourtour du continent antarctique, les eaux de surface ont tendance à légèrement refroidir, en cohérence avec une fonte accrue des glaciers. Mais ce léger refroidissement de surface cache un réchauffement en profondeur. Ce réchauffement, accompagné d’une remontée d’eaux chaudes vers la surface, représente une menace pour la calotte glaciaire antarctique.
L’océan est un élément majeur du système climatique terrestre, et un atout pour les écosystèmes et les sociétés humaines. Il régule le climat, en absorbant du carbone et de la chaleur de l’atmosphère, permettant d’atténuer les effets du changement climatique. L’océan Austral, qui encercle l’Antarctique, tient le rôle principal dans ce procédé, en captant 75 % de la chaleur et 50 % du carbone assimilés par les océans mondiaux. Pourtant, l’océan Austral est toujours l’océan le plus méconnu de la planète, souffrant d’un manque de mesures dû à ses conditions climatiques et à sa difficulté d’accès. Des changements rapides de ses propriétés ont été observés, mais en raison du manque de données sur de longues durées, il reste difficile de vérifier que les changements observés sont inhérents à la variabilité naturelle de l’océan Austral, ou s’ils marquent un réel changement de régime sur un plus long terme, dû au changement climatique causé par l’Homme.
Une fonte des glaciers de 25 mètres par décennie
En comparaison avec les changements subis par l’Arctique ces dernières décennies, on pensait l’Antarctique et l’océan Austral plus épargnés par le changement climatique et la fonte des glaces. En effet, seule une petite partie de l’Antarctique a montré une augmentation de la température en surface proche du continent. Et c’est seulement dans cette région, à l’ouest de la péninsule Antarctique, qu’une tendance à une forte fonte des glaces a pu être avérée ces dernières décennies. On estime que dans cette zone, les glaciers ont perdu jusqu’à 25 mètres d’épaisseur par décennie depuis 1992, en raison d’une augmentation de la température de l’océan d’environ 0,2 °C par décennie en surface. Pour le reste de la côte, aucune tendance de température robuste n’a été constatée pour certaines régions. Pour d’autres, c’est même un léger refroidissement de l’eau en surface qui a été observé.
Depuis plus de 25 ans, le brise-glace français L’Astrolabe permet aux scientifiques de réaliser des mesures de température lors des nombreux ravitaillements de Dumont-d’Urville, la base française en Antarctique. Lors des cinq allers-retours réalisés tous les étés entre la Tasmanie et l’Antarctique, des sondes sont larguées dans l’océan, et permettent de mesurer la température jusqu’à 800 mètres de profondeur. Depuis 1992, c’est plus de 10.000 sondes qui ont été déployées le long de la trajectoire du bateau, entre la Tasmanie et l’Antarctique. Ce projet, fruit d’une collaboration entre la France et l’Australie, a permis pour la première fois d’identifier clairement les changements de température de la couche supérieure de l’océan Austral, et de les faire ressortir par rapport à la variabilité interannuelle typique.
Les données ont d’abord permis de confirmer certains résultats connus. Au nord de l’océan Austral, en direction de l’équateur, une première zone se réchauffe fortement et uniformément sur les 800 premiers mètres de profondeur. C’est dans cette région que la majorité de la chaleur captée par l’océan Austral en surface est enfouie en profondeur par la circulation océanique. Ces eaux qui se réchauffent repartent ensuite vers le nord et sont redistribuées dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien. Au sud en direction de l’Antarctique, en surface, l’océan se refroidit. Ce refroidissement, qui avait été observé grâce aux mesures satellites en surface, serait dû au moins en partie à une fonte accrue des glaciers du continent.
Une inquiétante remontée des eaux chaudes
Ce qui était méconnu et que ces données mettent en valeur, c’est que ce refroidissement, contenu dans les 250 premiers mètres de l’océan, cache en réalité un réchauffement des eaux sous la surface, entre 250 et 450 mètres de profondeur. Ce réchauffement, s’il peut sembler faible (environ 0,04 °C par décennie), représente une déviation drastique des variations habituelles à cette profondeur. Dans cette zone, de faibles changements de température peuvent avoir de grandes conséquences sur les glaces continentales. Cela montre que l’océan est très sensible aux perturbations du climat causées par l’Homme, et ce jusqu’aux régions les plus reculées que l’on pourrait imaginer plus épargnées.
Il faut également souligner que ces eaux profondes, qui sont plus chaudes que les eaux en surface, ont remonté d’environ 100 mètres ces 25 dernières années. Cette remontée d’eaux chaudes fait craindre pour le futur de la calotte polaire de l’Antarctique. Bien que d’autres études aient déjà observé une telle remontée, la faible quantité de données n’avait pas permis de mettre le phénomène en évidence par rapport à la variabilité typique de la zone. De plus, ces études avaient sous-estimé la vitesse de remontée des eaux de 3 à 10 fois. Ce qui inquiète, c’est que la vitesse de la remontée d’eaux chaudes se rapproche de celle observée à l’ouest de la péninsule Antarctique, où les glaciers fondent à une vitesse alarmante. Si ces eaux chaudes finissaient par atteindre la surface dans les autres régions de l’Antarctique, la perte de masse de la calotte glaciaire du continent se retrouverait extrêmement accélérée, avec des conséquences importantes sur la circulation océanique, le niveau de la mer, et donc sur le climat et les sociétés humaines.