Mesurer la vulnérabilité des écosystèmes profonds face à l’exploitation potentielle des ressources minérales

05/10/2023

7 minutes

Pour tout le monde

PPR océan & climat

Au-dessous des 200 mètres, l’océan profond représente le plus vaste habitat disponible pour le monde vivant, et un énorme gisement de ressources minérales. A l’heure de tensions de plus en plus fortes sur les ressources de notre planète, mieux comprendre scientifiquement ces grands fonds marins et leurs écosystèmes est une étape-clé pour l’avenir. Le projet LIFEDEEPER, financé par le Programme Prioritaire de Recherche « Océan & Climat », doit développer de nouveaux outils pour éclairer le fonctionnement naturel géologique, géochimique et biologique de ces écosystèmes profonds.

 

LES GRANDS FONDS MARINS, UN ENJEU POUR L’AVENIR

Le plancher océanique, composé de chaînes montagneuses, de plateaux, de pics volcaniques, de canyons et de vastes plaines abyssales, contient la plupart des ressources minérales marines. Manganèse, fer, cuivre, nickel, cobalt, plomb, zinc, molybdène, lithium, titane, niobium, argent, or…la liste est longue. Et si leur existence dans les plus grandes profondeurs de l’océan est connue depuis longtemps, leur exploitation a été longtemps freinée par le manque de moyens technologiques et les difficultés d’accès à ces zones éloignées.

Aujourd’hui, les avancées technologiques de l’extraction et du traitement des ressources marines, associées à des pressions croissantes sur les gisements minéraux terrestres en réponse aux besoins d’une population mondiale en constante augmentation, positionnent ces ressources minérales marines profondes comme une nouvelle source d’approvisionnement possible, offrant des possibilités d’exploitation commerciale de la part du secteur privé comme de certains gouvernements.

Protéger les grands fonds marins, plus grand biome de la planète, est donc un enjeu majeur pour les générations futures.  Alors que les scientifiques n’ont cartographié précisément que 25% des grands fonds marins et identifié à peine 10% des espèces composant la biodiversité marine, il est urgent d’augmenter les connaissances scientifiques de ces grands fonds marins et de leurs écosystèmes afin d’assurer au mieux leur suivi, leur protection et une gestion durable de leurs ressources.

LES SOURCES HYDROTHERMALES, HAUTS LIEUX DE VIE ET DE RESSOURCES MINÉRALES

Financé par le PPR « Océan & Climat » pour la période 2022-2028, le projet LIFEDEEPER (LIving together in the Future: vulnErability of DEEP sea Ecosystems facing potential mineral Resources exploitation)  vise à proposer une stratégie de préservation des ressources à proximité de sources hydrothermales, dans un contexte d’un intérêt minier.

En effet, localisées le long des dorsales océaniques et de certains volcans sous-marins, les sources hydrothermales sont de véritables geysers sous-marins.  La croûte océanique y est si fine que l’eau de mer pénètre en profondeur pour se transformer au contact de la chambre magmatique. Réchauffé et chargé en composés réduits (comme le méthane, l’hydrogène ou le sulfure) et en métaux lourds, le fluide hydrothermal dépourvu d’oxygène ainsi généré remonte en surface pour former des fumeurs noirs où le fluide expulsé peut atteindre des températures de 400 °C.

Longtemps considérées comme dépourvues de vie, ces sources hydrothermales ont permis de révéler l’existence d’une biodiversité encore inconnue, et de mettre en évidence un nouveau processus biologique différent de la photosynthèse et encore inconnu, celui de la chimiosynthèse.

Image de cheminées hydrothermales dans les grands fonds marins captés par le robot Victor 6000 ©Ifremer

Le projet LIFEDEEPER doit donc permettre de fournir des paramètres et des connaissances clés pour comprendre le fonctionnement des environnements hydrothermaux profonds, d’un point de vue géologique et biologique, à l’échelle d’un champ hydrothermal.

UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE ET INTÉGRÉE 

Les équipes impliquées dans LIFEDEEPER sont pluridisciplinaires et complémentaires. Après une série de cinq campagnes océanographiques menées entre 2014 et 2023 dans la Zone du contrat français pour l’exploration des ressources minérales en Atlantique définie par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), les scientifiques ont mis en évidence par 3600 mètres de fond, un champ hydrothermal baptisé « TAG » abritant des dépôts sulfurés d’âges contrastés, et un champ hydrothermal baptisé « Snake Pit » situé à l’aplomb d’une ride néo-volcanique.

Distants de 300 km et séparés par une faille transformante majeure décalant l’axe de la dorsale médio-atlantique de 150 km, ces champs présentent des similarités biologiques, ce qui pose la question de leur connectivité et des échanges possibles. Ces travaux ont également permis d’établir une reconnaissance des habitats sur ces deux champs actifs et de débuter des observations sur les zones périphériques. De nombreux dépôts inactifs ont été identifiés, et les campagnes d’exploration ont relevé des anomalies géochimiques dans la colonne d’eau indiquant la présence de champs hydrothermaux actifs non répertoriés, constituant de potentiels relais de dispersion des espèces.

Cartographie de la ride médio-Atlantique et du champ hydrothermal TAG © Ifremer

Pour aller plus loin, LIFEDEEPER propose de développer de nouvelles approches et études intégrées, in situ, in vivo, expérimentales, de modélisation et de recherche qualitative en sciences sociales, afin de comprendre le fonctionnement naturel géologique, géochimique et biologique des écosystèmes de la ride médio Atlantique à proximité de ces deux zones TAG et Snake Pit.

Les travaux doivent se concentrer sur l’exploration et la description des écosystèmes associés aux dépôts de sulfures massifs inactifs et actifs, sur une étude intégrée en trois dimensions (couplant l’hydrodynamique, la distribution des métaux traces et la modélisation numérique) permettant d’évaluer l’impact biogéochimique du panache hydrothermal dans l’océan profond, sur l’évaluation de la connectivité, des cycles de vie et de la capacité d’adaptation et d’acclimatation permettant la résilience des communautés habitant ces écosystèmes profonds, et enfin sur une analyse juridique, politique et  sociologique relative à une exploitation potentielle des ressources minérales des grands fonds marins.

Essaims de crevettes (spots blancs) observés sur le site TAG © Ifremer

Financé pour six ans sur la période 2022-2028, le projet LIFEDEEPER répond ainsi au quatrième défi du PPR « Océan & Climat » visant à exploiter durablement les ressources de l’océan en s’appuyant sur la science de la durabilité. En toile de fond, il répond également au septième défi du programme visant à sensibiliser le public en ciblant les scolaires, étudiants, citoyens et les parties prenantes, au travers d’actions éducatives, de sciences participatives et de projets artistiques.

Le projet est coordonné par Marie-Anne Cambon, chercheure en écologie microbienne et symbioses spécialisée dans les grands fonds à l’Institut Français pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer). Au total, LIFEDEEPER implique 11 unités mixtes de recherche financées par 6 établissements partenaires dont l’Ifremer, le Centre National de la  Recherche Scientifique (CNRS), l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), Sorbonne Université, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN)

Voir le site du projet

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