Mangroves et marais salants au cœur de la lutte contre le changement climatique

12/02/2024

7 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

Alors que le changement climatique représente un défi majeur pour notre planète, les écosystèmes côtiers comme les mangroves et les marais salants dévoilent un potentiel inattendu. Une récente étude de l’Université de Gothenburg met en lumière leur rôle crucial dans la séquestration du carbone. Cette découverte réévalue l’importance de ces paysages de marée, non seulement pour leur biodiversité, mais aussi comme alliés stratégiques dans la réduction des gaz à effet de serre, soulignant l’urgence de leur conservation.

Par Laurie Henry

 

LES PAYSAGES DE MARÉES, QUI SONT-ILS ?

Un paysage de marée désigne une zone côtière influencée par le mouvement des marées, où l’eau de mer monte et descend régulièrement. Ces zones sont caractérisées par leur environnement unique, qui oscille entre milieux aquatiques et terrestres selon les cycles de marée. Les paysages de marée incluent des écosystèmes variés tels que les mangroves, les marais salants, et les herbiers marins.

Ces zones, riches en biodiversité, sont essentiels pour la survie de diverses espèces, fournissant un habitat, de la nourriture et des lieux de reproduction. Ils servent également de barrières naturelles puisqu’ils protègent les littoraux de l’érosion, filtrent les polluants de l’eau et contribuent ainsi à la santé des écosystèmes marins et terrestres environnants. Ils jouent enfin un rôle dans la séquestration du carbone, contribuant en cela à la lutte contre le changement climatique et à la santé globale de notre planète. Mais sur ce dernier volet, les chercheurs n’imaginaient pas à quel point…

UNE CAPACITÉ DE SÉQUESTRATION SOUS-ESTIMÉE

Les paysages de marée bénéficient d’un environnement unique où l’eau de mer et l’eau douce se rencontrent, créant des conditions idéales pour une biodiversité riche et une productivité biologique élevée. Ces zones sont alimentées par une abondance de nutriments, provenant à la fois des écosystèmes terrestres environnants et des apports marins, ce qui favorise la croissance d’une vaste gamme de plantes et d’algues. Ces organismes photosynthétiques jouent un rôle clé dans le cycle du carbone en absorbant activement le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère pour la photosynthèse, processus par lequel ils convertissent le CO2 et l’eau en glucose et en oxygène, stockant ainsi le carbone dans leur biomasse.

Ce processus de séquestration du carbone ne s’arrête pas à la biomasse vivante puisqu’une fois que ces plantes et algues meurent, elles se décomposent. Une partie de leur matière organique est enfouie dans les sédiments sous-jacents des paysages de marée. Ces sédiments agissent comme des pièges à carbone, l’emprisonnant sur de longues périodes.

Les recherches récentes, publiées par G. M. S. Reithmaieret al., 2023 dans la revue Nature Communications ont mis en évidence l’efficacité exceptionnelle de ces écosystèmes dans le stockage du carbone, surpassant largement celle des forêts tropicales réputées pour leur rôle de puits de carbone.

Gloria Reithmaier et ses collègues ont fait appel à des scientifiques de 12 pays différents pour analyser le transport intertidal (entre la marée haute et la marée basse) du carbone dans 45 mangroves et 16 marais salants à travers le monde. Lorsqu’ils tiennent compte des exportations de bicarbonate des écosystèmes vers l’océan, la taille du piège à carbone dans ces écosystèmes a doublé.

Rappelons que les bicarbonates proviennent de la réaction chimique entre le CO2 dissous dans l’eau et le carbonate, formant ainsi l’ion bicarbonate. Cette réaction est fondamentale dans les processus naturels de régulation du pH dans l’eau.

Localisation des mangroves et marais salants étudiés. © G. M. S. Reithmaieret al., 2023

Cette capacité supérieure est principalement due à la croissance rapide et à la productivité élevée des végétaux présents dans ces paysages de marée, qui permettent une accumulation rapide de la biomasse et, par conséquent, un stockage efficace du carbone dans les sédiments.

Gloria Reithmaier précise, dans un communiqué : « Nos nouvelles découvertes montrent qu’une grande partie du carbone est exportée vers l’océan sous forme de bicarbonate à mesure que la marée se retire et reste dissoute dans l’océan pendant des milliers d’années. Le bicarbonate stabilise le pH et peut réduire l’acidification des océans. Cette contribution a été négligée auparavant ».

LE RÔLE DU CARBONE BLEU

Face à ce nouvel allié, certains gouvernements instaurent des marchés de « carbone bleu ». Ce terme fait référence au carbone capturé et stocké par ces écosystèmes côtiers et marins spécifiques, tels que les mangroves, les marais salants, les herbiers marins et les forêts d’algues. Cette appellation met en lumière le rôle crucial de ces habitats dans la réduction des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, un facteur clé dans la lutte contre le changement climatique.

Contrairement au carbone stocké dans les forêts terrestres, qui peut être rapidement relâché dans l’atmosphère par des incendies ou la déforestation, le carbone bleu est souvent emprisonné dans les sédiments sous-marins ou côtiers pour des périodes beaucoup plus longues, allant de quelques siècles à plusieurs millénaires.

Cette capacité de stockage à long terme fait des écosystèmes de carbone bleu des puits de carbone particulièrement efficaces et durables, essentiels pour atténuer les effets du réchauffement global.

Proportion de carbone organique dissous (DOC), carbone organique particulaire (POC), carbone inorganique dissous (DIC) dans les mangroves et marais salants. © G. M. S. Reithmaieret al., 2023

Gloria Reithmaier ajoute : « Nos résultats ont montré que les exportations de bicarbonate étaient égales, voire supérieures, à la quantité de carbone stockée dans le sol. Par conséquent, les estimations précédentes de ces sources de carbone bleu ont sous-estimé le potentiel des mangroves et des marais salants pour atténuer le changement climatique ».

En plus de leur rôle dans la séquestration du carbone, ces écosystèmes offrent une multitude d’autres services écosystémiques bénéfiques. Ils agissent comme des barrières naturelles qui protègent les lignes côtières des tempêtes et de l’érosion, réduisant ainsi les risques de catastrophes naturelles et les dommages aux infrastructures humaines. La richesse de la biodiversité qu’ils abritent soutient la pêche et l’aquaculture, contribuant à la sécurité alimentaire et aux moyens de subsistance des communautés locales.

Enjeu de conservation et de restauration des paysages de marées

La prise de conscience de l’importance vitale des paysages de marée pour la capture et le stockage du carbone a conduit à une mobilisation croissante pour leur protection et leur réhabilitation. En effet, la conservation des mangroves, marais salants et autres écosystèmes côtiers existants, ainsi que la restauration de ceux qui ont été dégradés, sont essentielles pour maximiser leur capacité à séquestrer le carbone. Ces actions contribuent également à maintenir les fonctions écologiques qu’ils fournissent. Pour atteindre ces objectifs, des initiatives sont mises en place à l’échelle mondiale pour créer des aires protégées dédiées, promouvoir des méthodes de gestion respectueuses de l’environnement et éduquer le public ainsi que les décideurs sur l’importance de ces habitats naturels.

Comme mentionné précédemment, certains pays ont commencé à intégrer le concept de carbone bleu dans leurs politiques et stratégies climatiques nationales. Ils développent des engagements concrets avec des propriétaires fonciers. Des projets de reforestation de mangroves et de réhabilitation de marais salants sont encouragés et financés. Ces démarches reflètent une évolution dans la gestion des ressources naturelles, où la valeur des écosystèmes est reconnue non seulement pour les services écologiques immédiats qu’ils fournissent, mais aussi pour leur contribution à long terme à la santé globale de notre planète.

 

Source : Reithmaier, G.M.S., Cabral, A., Akhand, A. et al., “Carbonate chemistry and carbon sequestration driven by inorganic carbon outwelling from mangroves and saltmarshes”, Nat Commun 14, 8196 (2023)

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