L’océan, un puits de carbone plus puissant que ce que l’on croyait

03/04/2024

6 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

La capacité des océans à séquestrer le dioxyde de carbone joue un rôle crucial dans la régulation du climat mondial. Une étude récente du CNRS révèle que cette capacité serait bien plus grande que ce que l’on avait mesurer jusqu’ici, mettant en lumière le potentiel sous-estimé des océans à modérer le changement climatique. Cette découverte souligne l’importance vitale de préserver les écosystèmes marins face aux défis climatiques actuels, et peut-être même de s’appuyer sur des solutions fondées sur la nature pour emprunter le chemin de l’adaptation aux changements.

Par Laurie Henry

Un potentiel sous-évalué

Les océans, recouvrant plus des deux tiers de la surface de notre planète, constituent un élément central du système climatique terrestre. Leur rôle dans la régulation du climat dépasse largement leur fonction de thermostat de la planète. Ils agissent également comme de véritables puits de carbone, en particulier grâce au phytoplancton océanique qui est capable de capturer et stocker le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère. Ce processus naturel permet d’atténuer l’effet de serre et par extension, de modérer le changement climatique actuellement à l’œuvre par des excès de CO2 dans l’air.

Des études antérieures ont mis en lumière cette fonction essentielle, mais ont souvent sous-estimé l’ampleur de la capacité océanique à séquestrer le carbone, se concentrant principalement sur les échanges de surface sans plonger dans les profondeurs des mécanismes biogéochimiques complexes qui régissent ce phénomène.

Récemment, grâce à l’avènement de technologies avancées et à une compréhension accrue des processus biologiques marins, des scientifiques ont pu examiner plus en détail ces interactions complexes entre les océans et l’atmosphère. Les recherches, menées par une équipe du CNRS et la Xiamen University, Wei-Lei Wang et al., (2023) et publiées dans la revue Nature, révèlent que les océans pourraient stocker bien plus de CO2 qu’on ne le pensait auparavant. Cette réévaluation est le fruit d’une analyse plus fine des mécanismes de séquestration du carbone, notamment le rôle des micro-organismes marins dans la capture du CO2 et sa transformation en biomasse, puis son transfert vers les fonds marins où il peut être stocké pendant de longues périodes.

La neige marine, clé de voûte du stockage de carbone

Au cœur de cette capacité accrue de stockage se trouve la « neige marine ». Ce terme désigne un phénomène fascinant au sein des océans, la constitution de particules organiques, formées par l’agrégation de matière organique morte, de phytoplancton, et d’autres composants biologiques. Lorsque ces particules capturent le CO2 à la surface de l’eau, elles entament un voyage vers les abysses marins. En s’enfonçant, elles entraînent avec elles le CO2, loin de l’atmosphère, où il ne contribue plus à l’effet de serre. Ce processus, semblable à une chute de neige sous-marine, permet de séquestrer le carbone dans les fonds océaniques, où il peut rester emprisonné pendant des centaines, voire des milliers d’années. Cette séquestration profonde contribue à réduire la quantité de CO2 dans l’atmosphère, jouant ainsi un rôle essentiel dans la régulation du climat terrestre.

La neige marine © Virginie Riou

Les recherches de Wang et son équipe ont mis en lumière l’efficacité remarquable de ce processus, bien au-delà de ce que les estimations précédentes avaient suggéré. Les mesures nécessaires pour estimer la capacité de stockage des océans sont réalisées à l’aide d’une variété d’instruments scientifiques embarqués sur des navires de recherche, des bouées flottantes, des satellites et même des flotteurs automatisés comme ceux du programme Argo. Ces instruments sont capables de mesurer directement dans l’eau de mer des éléments tels que le carbone inorganique dissous (DIC), le carbone organique dissous (DOC), l’oxygène, le phosphore inorganique dissous (DIP), et l’alcalinité.

Une fois assemblées, les scientifiques appliquent des modèles mathématiques complexes à ces données. Le cœur de cette méthode repose sur un modèle qui considère l’océan comme un ensemble de couches superposées, chacune ayant des caractéristiques chimiques et biologiques spécifiques. En ajustant les paramètres de ce modèle pour qu’il corresponde le mieux possible aux observations réelles, les chercheurs peuvent mieux comprendre comment les océans captent le carbone de l’atmosphère et le stockent.

La nouvelle estimation de capacité de stockage qui en résulte s’élève à 15 gigatonnes par an, soit une augmentation d’environ 20% par rapport aux précédentes études rapportées par le GIEC dans son rapport de 2021 et qui donnaient une estimation de 11 gigatonnes par an.

Implications et perspectives

Cette efficacité accrue indique que les océans sont capables de jouer un rôle encore plus important dans la capture et le stockage du CO2 atmosphérique.

Cette réévaluation de la capacité océanique à séquestrer le carbone implique aujourd’hui de remettre à jour les modèles climatiques, pour notamment intégrer ces nouvelles données océaniques et revoir certaines hypothèses concernant les cycles du carbone et les interactions entre les différents composants du système climatique. Cela pourrait aboutir à des projections plus précises concernant la vitesse et l’ampleur du changement climatique, offrant ainsi une base plus solide pour l’élaboration de politiques de mitigation et d’adaptation plus efficaces.

Distribution globale du flux de carbone organique depuis la couche de surface de l’océan ouvert. © Wang et al., 2023

La compréhension approfondie de ce mécanisme ouvre également des perspectives prometteuses pour les stratégies de mitigation du changement climatique. Elle souligne l’importance cruciale de préserver les océans et de maintenir leur santé pour assurer la continuité de ce service écosystémique vital. De nouvelles stratégies de conservation et de protection deviennent aujourd’hui une partie des solutions à mettre en place pour lutter contre le changement climatique. Cela inclut la protection de zones marines critiques pour la séquestration du carbone, comme les mangroves, les herbiers marins, et les zones riches en phytoplancton, ainsi que la mise en œuvre de pratiques de gestion durable des ressources marines. En reconnaissant et en valorisant le rôle des océans dans la lutte contre le changement climatique, nous pouvons ouvrir la voie à des approches plus intégrées et efficaces pour préserver notre planète.

Source :  Wang, WL., Fu, W., Le Moigne, F.A.C. et al., Biological carbon pump estimate based on multidecadal hydrographic data. Nature 624, 579–585 (2023).

Voir la publication

ces événements pourraient vous intéresser... tout voir