Le potentiel transformateur des microalgues : purification de l’eau et biocarburants

19/05/2024

8 minutes

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océans et technologies

Les microalgues, en particulier Chlorella vulgaris, s’imposent comme des acteurs clés dans les secteurs de l’énergie renouvelable et de la gestion environnementale. Des recherches menées par des scientifiques du CNRS et de l’Université de Lorraine démontrent comment les propriétés de surface de ces organismes affectent leur capacité à agglomérer et à éliminer les polluants. Ce savoir est essentiel pour optimiser leur utilisation dans la production de biocarburants et pour dégrader ou neutraliser les polluants environnementaux.

par Laurie Henry

Chlorella vulgaris, un enjeu pour un futur plus vert

Les recherches approfondies menées par Nicolas Lesniewska, Jérôme Duval et leurs collègues de l’Université de Lorraine et du Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC – OTELO), publiées dans la revue Nanoscale (N. Lesniewska et al., 2024) ont exploré les nuances des interactions de surface de Chlorella vulgaris. Il s’agit d’une espèce de microalgue verte, qui est largement étudiée en raison de ses multiples applications industrielles et environnementales. Cette algue unicellulaire se distingue par sa capacité à croître rapidement sous diverses conditions environnementales et à accumuler une grande quantité de lipides, ce qui en fait une candidate idéale pour la production de biocarburants.

En outre, Chlorella vulgaris possède une paroi cellulaire unique composée de couches de polysaccharides qui peuvent se lier efficacement aux métaux lourds et autres polluants, facilitant ainsi leur élimination des milieux aquatiques. Ces caractéristiques rendent l’algue particulièrement précieuse pour les recherches visant à développer des méthodes de bioremédiation efficaces et économiques, tout en explorant son potentiel dans le secteur en croissance des énergies renouvelables. Sa robustesse et sa polyvalence sous différentes conditions de pH et de salinité en font un sujet d’étude privilégié pour comprendre et optimiser ces processus biotechnologiques.

Propriétés de surface et stabilité colloïdale

Les études montrent que les propriétés électrostatiques et hydrophobes de cette microalgue sont essentielles pour comprendre sa stabilité colloïdale, qui désigne la capacité des particules en suspension dans un fluide à rester uniformément dispersées sans sédimentation ni agglomération, influencée par les forces électrostatiques et hydrophobes entre les particules.

Concrètement, la stabilité colloïdale chez les algues assure qu’elles restent bien dispersées dans l’eau, facilitant ainsi leur accès à la lumière et aux nutriments essentiels pour leur croissance. Cette dispersion est également cruciale pour une récolte efficace et pour maximiser leur efficacité en bioremédiation, car des algues en suspension peuvent mieux interagir avec les polluants dans l’eau.

Les auteurs ont démontré que la surface de Chlorella vulgaris est caractérisée par une charge négative prédominante, résultat de la présence de groupes fonctionnels tels que carboxyles et hydroxyles sur sa paroi cellulaire. Cette charge influence de manière significative la façon dont les algues interagissent avec leur environnement aqueux. Les auteurs ont découvert que le pH de l’environnement aqueux modifie l’état de charge de ces groupes fonctionnels, permettant ainsi de manipuler les propriétés d’agrégation de la microalgue.

L’étude souligne également que la manipulation du pH peut être utilisée pour optimiser la récolte des microalgues. En effet, lorsque le pH de l’eau est abaissé de 7 à 4, la répulsion électrostatique entre les cellules diminue en raison de l’augmentation de la protonation (ajout d’un proton) des groupes fonctionnels à la surface des algues. Cela conduit à une augmentation notable de l’agrégation cellulaire. Les données indiquent que le potentiel zêta, qui mesure le degré de charge et donc de répulsion entre les particules, peut passer de -30 mV à -10 mV dans ces conditions de pH modifiées, réduisant ainsi la répulsion et favorisant l’agrégation. Ces modifications facilitent la collecte des algues, car des masses plus grandes peuvent être plus facilement séparées de l’eau par des méthodes de filtration ou de centrifugation.

Images détaillées de microalgues observées à deux niveaux d’acidité différents. Les images (a) et (b) montrent les microalgues à un pH de 6,2 et 4,5, respectivement, auxquelles on applique une pointe. Le panneau (c) illustre comment cette pointe touche la surface des microalgues et mesure la force nécessaire pour s’approcher et se retirer de la surface. Sur cette image, la courbe bleue montre l’approche de la pointe et la courbe rouge son retrait. L’interaction est plus forte dans des conditions acides par rapport aux conditions neutres. © N. Lesniewska et al., 2024

Les chercheurs ont utilisé des techniques avancées comme l’électrophorèse et la microscopie de force atomique pour cartographier ces interactions à l’échelle moléculaire. Les résultats obtenus par l’équipe offrent une compréhension plus fine des mécanismes de stabilisation des suspensions de microalgues et ouvrent des perspectives pour le développement de nouvelles méthodes de gestion et d’exploitation des cultures de microalgues.

Interactions microalgues-contaminants

La capacité de Chlorella vulgaris à jouer un rôle crucial dans la bioremédiation repose sur ses interactions complexes avec les polluants environnementaux. Les études menées par l’équipe démontrent que la surface de ces microalgues peut efficacement capturer et accumuler des métaux lourds et d’autres toxines grâce à ses propriétés de surface.

Ainsi Chlorella vulgaris peut adsorber des ions métalliques tels que le cadmium et le plomb, réduisant leur concentration dans des solutions aqueuses jusqu’à 88% sous conditions optimales de pH et de salinité. De fait, les modifications du pH influencent directement la densité de charge de la surface cellulaire, optimisant l’adsorption des polluants en fonction de leur charge. À pH élevé, la microalgue présente une densité de charges négatives accrue, favorisant l’adsorption de cations métalliques par des interactions électrostatiques.

Ces interactions sont également modulées par la salinité de l’environnement, qui peut influencer la force des liaisons entre les polluants et la surface de l’algue. Des études complémentaires ont utilisé la microscopie de force atomique pour quantifier l’adhérence des polluants à la surface cellulaire, révélant que des modifications dans la concentration en ions dans la solution peuvent altérer la conformation des groupes fonctionnels exposés sur la paroi cellulaire. Ainsi, une augmentation de la salinité peut diminuer l’efficacité de l’adsorption des polluants en masquant les sites d’adsorption actifs sur les microalgues.

Applications biotechnologiques et environnementales

L’optimisation des propriétés de surface des microalgues comme Chlorella vulgaris a des retombées importantes pour des secteurs tels que la production de biocarburants et la gestion des écosystèmes aquatiques. Comme le soulignent les auteurs dans leurs recherches, en modifiant les conditions de pH et de salinité, il est possible d’ajuster la capacité des microalgues à agglomérer et à sécréter des lipides, essentiels à la production de biocarburants. Cette modulation permet de maximiser la production d’huiles algales, réduisant ainsi la dépendance aux combustibles fossiles et favorisant une source d’énergie renouvelable plus propre. En outre, la capacité de ces microalgues à se développer rapidement et à s’adapter à divers environnements les rend particulièrement utiles pour des applications industrielles à grande échelle.

Cette illustration représente comment les propriétés interfaciales de la microalgue verte Chlorella vulgaris ont été révélées, depuis l’échelle de la solution jusqu’au niveau moléculaire. © N. Lesniewska, J.F.L. Duval, A. Beaussart et P. Bondia

Par ailleurs, les capacités d’adsorption des microalgues ouvrent des voies innovantes pour le traitement des eaux usées et la réhabilitation de sites contaminés. Elles peuvent être utilisées pour retirer efficacement des métaux lourds et autres substances toxiques des eaux, réduisant ainsi les niveaux de pollution et améliorant la qualité de l’eau dans les écosystèmes naturels. Jérôme Duval mentionne que « l’ajustement des conditions environnementales peut rendre les microalgues extrêmement efficaces pour cibler et éliminer des contaminants spécifiques ». Cette stratégie pourrait révolutionner les méthodes de dépollution, offrant une solution économique et écologique pour la gestion des déchets industriels et la restauration des habitats naturels, crucial pour la biodiversité et la santé humaine.

Source : Lesniewska, N. et al., “Physicochemical surface properties of Chlorella vulgaris : a multiscale assessment, from electrokinetic and proton uptake descriptors to intermolecular adhesion forces”, Nanoscale 2024.

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