Innovation en écologie marine : l’ADN décode la biodiversité cachée de nos océans

22/04/2024

7 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

L’étude de la biodiversité des forêts de varech en Afrique du Sud révèle un monde sous-marin d’une complexité et d’une richesse insoupçonnées. Ces écosystèmes, essentiels, mais menacés, sont au cœur des efforts récents de recherche, par l’Université de Stellenbosch et du Sea Change Project, grâce au « metabarcoding » de l’ADN environnemental (eDNA). Ces forêts de varech jouent un rôle majeur dans la séquestration du carbone, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique, et protègent les littoraux contre l’érosion, tout en soutenant les économies locales. Les travaux de l’équipe mettent en lumière non seulement la richesse spécifique de ces écosystèmes, mais également les défis posés par les pressions environnementales et anthropiques.

par Laurie Henry

 

Une collaboration essentielle pour un écosystème vital

L’Université de Stellenbosch, en association avec le Sea Change Project, une organisation à but non lucratif basée au Cap, a entrepris des études avant-gardistes sur ce qu’ils nomment la « Grande Forêt de Mer Africaine ». Ce terme désigne les forêts de varech couvrant environ 1 000 km de côtes sud-africaines. Elles sont très riches en biodiversité, mais la recherche sur la biodiversité et l’écologie a diminué depuis les années 1970.

Le but ici est donc de pallier ces lacunes. Un récent protocole d’accord a officialisé une relation de travail de deux ans qui soutiendra plusieurs projets de recherche d’étudiants axés sur ces écosystèmes marins.

La présente étude se concentre particulièrement sur les structures de base du varech. Elles agissent comme des racines, fixant fermement les algues aux rochers sous-marins. Elles créent un habitat complexe qui offre protection et nourriture à une multitude d’organismes marins, des petits crustacés, comme les amphipodes et les isopodes, jusqu’aux éponges et divers types de vers marins.

Une approche innovante pour l’étude des forêts de varech

Dans le cadre de leur recherche publiée dans la revue Nature, E. I. Rossouw et son équipe ont adopté une approche innovante en utilisant le « metabarcoding » de l’ADN environnemental (eDNA). Cette technique consiste à collecter des échantillons d’eau ou de substrat et à en extraire l’ADN libre, c’est-à-dire l’ADN que les organismes laissent dans leur environnement par des cellules mortes, des écailles, des excréments ou des sécrétions. Une fois cet ADN collecté, il est ensuite analysé en laboratoire pour identifier les séquences génétiques spécifiques des espèces présentes dans l’échantillon. Cela permet aux chercheurs de dresser un inventaire des espèces sans avoir besoin de les observer directement ou de les capturer, offrant ainsi une méthode non invasive et extrêmement sensible pour étudier la biodiversité.

Aperçu de l’échantillonnage d’ADNe aquatique dans une forêt de varech sud-africaine. © E. I. Rossouw et al., 2024

Le metabarcoding ADN environnemental est particulièrement révolutionnaire, car il permet de détecter même de très faibles traces d’ADN et de reconnaître des espèces qui pourraient autrement passer inaperçues. Pour ce faire, les chercheurs utilisent des amorces spécifiques qui ciblent des régions du génome bien conservées parmi les espèces, mais suffisamment distinctes pour permettre une identification précise. Ces amorces permettent d’amplifier ces régions lors de réactions en chaîne par polymérase (PCR), et les séquences obtenues sont ensuite comparées à des bases de données génétiques pour déterminer les espèces présentes.

Cette méthode est particulièrement utile dans des environnements comme les forêts de varech, où la biodiversité est grande et les espèces souvent cachées ou difficiles à atteindre. En fournissant une image claire et complète de la biodiversité présente, le metabarcoding eDNA aide les chercheurs à comprendre non seulement qui vit dans ces écosystèmes, mais aussi comment ces espèces interagissent et répondent aux pressions environnementales.

Apport de la metabarcoding de l’ADN environnemental

Les résultats de l’équipe ont dépassé leur espérance : plus de 800 organismes différents dans seulement 12 litres d’eau de mer échantillonnés. Toutes les 4h pendant 24h, un litre d’eau à 1m et un autre à 8m étaient prélevés.

Dendrogramme illustrant l’assemblage communautaire au niveau familial et l’abondance relative. © E. I. Rossouw et al., 2024

L’étude a mis en lumière la présence de certaines espèces marines peu observées par les plongeurs, telles que la raie électrique Onefin, la raie à nez pointu, et le rare requin tigre Halaelurus natalensis, démontrant ainsi les capacités remarquables du metabarcoding de l’ADN environnemental. Cependant, la majorité des organismes identifiés étaient des invertébrés, souvent de petites tailles et difficiles à repérer. Cette recherche confirme que le metabarcoding de l’ADN environnemental peut significativement élargir notre connaissance des espèces présentes dans un écosystème, en révélant une biodiversité cachée et abondante.

Néanmoins, l’une des principales limitations de l’étude réside dans l’insuffisance des bibliothèques de référence génétiques. Pour identifier précisément un fragment d’ADN d’une espèce marine inconnue, il est indispensable de disposer d’un enregistrement de séquence existant avec une attribution correcte du nom de l’espèce. En l’absence de telles références de « codes-barres génétiques », il devient impossible de comparer et d’identifier les séquences inconnues. Dans ce cas précis, sur les 880 organismes différents, seulement 19, soit à peine 3%, ont pu être formellement identifiés au niveau de l’espèce. Cette situation souligne combien la biodiversité des forêts de varech reste sous-étudiée et mal documentée, notamment en ce qui concerne la résolution taxonomique des espèces, y compris celles des poissons.

Les défis de la conservation

Comme de nombreux écosystèmes côtiers à l’échelle mondiale, les forêts de varech sont soumises à des pressions anthropiques telles que le changement climatique qui modifie la répartition du varech avec des impacts sociaux et écologiques majeurs.

En effet, ces forêts jouent un rôle crucial dans les écosystèmes marins, en termes de biodiversité, mais également dans leur capacité à réguler le climat et à protéger les littoraux. Ces algues géantes agissent comme de véritables puits de carbone. De plus, elles diminuent l’énergie des vagues avant qu’elles n’atteignent les côtes, réduisant ainsi l’érosion et protégeant les habitats côtiers.

L’augmentation de la température de l’eau peut alors provoquer le déplacement des forêts de varech vers des eaux plus froides, perturbant les habitats et menaçant les espèces qui en dépendent. La pollution, l’urbanisation côtière et les pratiques de pêche destructrices endommagent également physiquement ces habitats. Ces menaces, combinées à l’acidification des océans qui affecte la croissance et la survie des algues, rendent la conservation de ces forêts de varech plus urgente que jamais. Les actions de conservation doivent inclure la protection des zones existantes, la restauration des forêts endommagées et la gestion durable des ressources.

Source : Rossouw, E.I., Landschoff, J., Ndhlovu, A. et al., “Detecting kelp-forest associated metazoan biodiversity with eDNA metabarcoding”, npj biodivers 3, 4 (2024)

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