[Les coulisses de l’océanographie (2/12)]. Chaque mois, Océans connectés part à la rencontre de celles et ceux qui font l’océanographie. Ils sont techniciens de laboratoire, topographes, ingénieurs, marins ou météorologues et sont tous essentiel au bon fonctionnement de la recherche marine.
Pour ce deuxième épisode, on plonge dans le quotidien entre mer et terre de Caroline Le Bihan, technicienne au service Technique des observations in-situ du Laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS) de l’Ifremer. Elle travaille notamment sur l’acquisition de données de salinité, de température, de pression et d’oxygène, et leur traitement, afin d’alimenter le travail des chercheurs.
par Maud Lénée-Corrèze
Photo de couverture : Caroline Le Bihan © M.Lénée-Corrèze
Des marteaux, des tournevis, des perceuses… on ne se croirait pas dans l’atelier d’un laboratoire d’océanographie. L’instrument de mesure posé sur le sol contre un mur et sur la carte du programme de recherche Ovide, en Atlantique Nord, nous fournissent quelques indices. Il s’agit bien de l’atelier du service Technique d’observations in-situ du Laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS, une unité mixte de recherche CNRS/IRD/Ifremer/UBO) où travaille Caroline Le Bihan, technicienne spécialisée dans les mesures de CTD (salinité, température, pression) et d’oxygène dissous.
Diplômée d’un DUT de mesures physiques à Lannion, Caroline Le Bihan est entrée au bassin d’essais de l’Ifremer en 2002, qui fait partie de l’unité Recherches et développements technologiques destinée à développer l’instrumentation pour les recherches en mer. Elle a ensuite été embauchée au laboratoire de métrologie, toujours au sein de cette unité, s’occupant principalement d’étalonnage, accumulant pendant quinze ans de l’expérience qui l’a ensuite conduite au LOPS en décembre 2019. Avant de repartir sur deux ans d’études en master, elle revient sur son métier de technicienne Mesures physiques et chimiques.
En quoi consiste ton métier concrètement ?
D’une façon générale, le technicien vient en aide au chercheur ou à l’ingénieur de recherche pour tout projet d’expérimentation, que ce soit à terre ou en mer, depuis le choix du matériel à utiliser ou de la manipulation à monter jusqu’à l’acquisition des données. Personnellement, je me suis formée pour les données de conductivité [salinité, ndla], de température, de profondeur [pression, ndla], soit ce qu’on appelle la CTD, et les données d’oxygène dissous. Avec l’ensemble de l’équipe du service technique d’observations in-situ, nous gérons un parc instrumental pour le LOPS, avec entre autres des capteurs de CTD, la rosette qu’on met à l’eau en campagne pour les échantillons, ainsi qu’un conteneur chimie. Ce dernier est un peu notre laboratoire mobile et nous permet de faire des mesures de référence de salinité et d’oxygène en mer et à terre, et d’être complètement autonomes de ce point de vue-là.
En mer, à terre, quel est ton quotidien ?
La majorité de mon travail se passe à terre – je suis en mer environ un mois par an –, car je m’occupe de la maintenance de notre conteneur, afin d’être sûre que tous les appareils de mesure fonctionnent bien. Là, récemment, j’ai fait changer la climatisation, par exemple. Une autre partie de mon quotidien, c’est aussi l’ajustage des données récupérées dans les missions précédentes avant de les transmettre aux chercheurs. J’en fais une partie en mer, mais je n’ai forcément pas le temps de regarder tout dans le détail. Et toujours dans cette optique de garantir la qualité des données, je participe tous les ans avec d’autres laboratoires [IRD, SHOM, IUEM, etc., ndla] à un prélèvement d’eau au môle Saint-Anne, juste en bas de l’Ifremer, pour en analyser l’oxygène dissous. Nous comparons nos résultats et cela nous permet de valider nos analyses d’oxygène pour toutes nos mesures l’année suivante.
Et en mer ?
Il s’agit de récupérer de la donnée et de la traiter déjà une première fois. Nous avons notre rosette, qu’on met à l’eau un certain nombre de fois dans une journée. Sur cette rosette, nous avons une sonde capable de faire un profil CTD et oxygène dissous en direct au cours de la descente en profondeur de la rosette. Nous vérifions les données des profils de salinité et d’oxygène par des prélèvements d’eau dans des bouteilles fixées sur la bathysonde, ouvertes à la descente et qu’on referme à la remontée à des profondeurs différentes en fonction de ce qu’on aura observé sur le profil de la sonde. Ces échantillons sont ensuite mis à température dans notre conteneur pour être analysés vingt-quatre heures après, en suivant un protocole bien défini. Ensuite, les bouteilles de prélèvement sont vidées puis « réarmées » pour la prochaine station. Pour la température et la pression, nous avons d’autres capteurs sur la rosette dont nous comparerons les données avec celles du profil de la sonde.
Mon rôle est de préparer en amont l’analyse des échantillons : je vérifie dans le conteneur que tous les appareils fonctionnent bien et sont bien calibrés, notamment le salinomètre. Comme nous utilisons la méthode Winkler pour mesurer l’oxygène dissous, je dois effectuer l’étalonnage du thiosulfate, manipulation nécessaire en préambule à cette analyse. Puis, pendant que les analystes viennent travailler sur les échantillons, je traite les données de la veille, je les ajuste une première fois avant de les transmettre aux chercheurs.
Quels sont les enjeux de ton métier ?
L’adaptation serait mon maître mot. Il faut savoir qu’en mer, rien ne se passe toujours comme prévu. Il faut aussi s’adapter à l’arrivée de nouveaux capteurs ou de nouveaux paramètres à mesurer. On voit notamment l’émergence depuis quelques temps de la robotique avec l’entrée sur le marché de l’océanographie de plus en plus de drones. C’est un vrai tournant pour nous qu’il faut prendre tout en gardant à l’esprit que ces drones, qu’ils soient de surface, aérien ou sous-marin, autonomes ou pilotés, doivent fournir des données exploitables et de qualité pour nos scientifiques. Ces nouvelles technologies sont une réelle opportunité de compléter ce qu’une campagne à la mer ou des analyses ponctuelles peuvent offrir.
Que penses-tu du développement de la science à la voile ?
Je sais qu’à l’Ifremer, c’est quelque chose qui se discute de plus en plus. Des lancers et des récupérations de flotteurs Argo ont été faits avec succès à la voile, un collègue travaille sur les voiliers comme navires d’opportunité pour des mesures de surface de salinité et de température, notamment certains bateaux de course, comme celui du skipper Fabrice Amedeo qui embarque un capteur pour mesurer ces deux paramètres mais aussi les microplastiques… C’est en développement mais pour l’instant, la voile ne me semble pas suffisante par exemple pour la mise à l’eau de matériels ou d’engins nécessitant de l’énergie et des moyens de levage importants. Les temps de mission seraient peut-être également plus longs, sachant qu’on embarque déjà plus d’un mois sur les navires hauturiers… Cela dit, je n’ai jamais encore testé la science à la voile, et je serais très partante.