Alizé Bouriat identifie les espèces des grands fonds marins

26/05/2025

7 minutes

Métiers de la recherche

Les coulisses de l’océanographie (5/12). Alizé Bouriat est technicienne en biologie au laboratoire des Environnements profonds à l’Ifremer. Elle observe à la loupe des échantillons de sédiments prélevés dans les abysses pour en extraire et identifier les espèces de la macrofaune et méiofaune benthique profonde. Un travail de petite fourmi précieux et rigoureux qui permet un inventaire fiable de la biodiversité au service de la recherche.

Propos recueillis par Marguerite Castel – Photo de couverture :  Alizé Bouriat © M. Castel, 2025.

Océans connectés part à la rencontre de celles et ceux qui font l’océanographie. Ils ou elles sont techniciens de laboratoire, topographes, ingénieurs, marins ou météorologues et sont tous essentiels au bon fonctionnement de la recherche marine. Pour cette cinquième rencontre, plongez dans l’océan profond avec Alizé Bouriat, technicienne en biologie marine. 

Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressée à la biologie marine, quel est votre parcours ?

J’ai regardé sous l’eau très tôt dans l’enfance car mes parents étaient moniteurs de plongée. Je passais des heures à observer la vie sous-marine juste avec un masque, c’était merveilleux de voir les petites bêtes qui se cachent. Après mon Bac S, j’ai intégré l’école Intechmer à Cherbourg qui forme des techniciens supérieurs polyvalents dans les domaines de la surveillance et de la protection du milieu marin : contrôle de la qualité des eaux, études d’impacts des activités humaines sur l’environnement marin, protection et aménagement du littoral, préservation des écosystèmes marins, lutte anti-pollution. C’était concret, diversifié et complémentaire. Mes premières expériences professionnelles sont variées ensuite.

J’ai observé l’impact de l’acidification de l’océan sur les coraux en Australie, puis je suis venue en Bretagne pour mener un suivi écologique des herbiers marins, des bancs de sable et de maërl en milieu côtier. Je travaillais pour l’IUEM, en tant que technicienne je faisais des prélèvements d’espèces sur l’estran et jusqu’à près de 100 mètres de profondeur en bateau. Et puis durant six mois au labo Environnement profond, à l’Ifremer, je me suis consacrée à l’identification des espèces sur images.

J’ai choisi ensuite de faire un volontariat de recherche en biologie pour caractériser la faune des monts sous-marins de la réserve marine des Galapagos.

Vous travaillez depuis six ans sur l’environnement profond, est-ce par choix ?

J’ai intégré le laboratoire Environnement profond de L’Ifremer après des expériences dans des milieux marins différents, du côtier au profond, de la Méditerranée au Pacifique, en passant par le Golfe de Gascogne et la mer d’Iroise.

En choisissant l’océan profond, je suis allée au cœur du sujet : c’est un milieu riche de biodiversité, où il y a encore tant à découvrir et à comprendre. Je souhaitais m’impliquer dans cette observation des grands fonds, à la description de ses espèces.  C’est fascinant !

 L’observatoire EMSO-Açores est un terrain de travail très intéressant, il propose une approche pluridisciplinaire de l’observation d’un écosystème sur le long terme et à haute fréquence.

IFREMER (2002). Poisson (Pachycara Saldanhai) au sommet d’une cheminée hydrothermale. Ifremer. https://image.ifremer.fr/data/00544/65574/

Quelles sont les qualités principales requises pour ce métier ? En laboratoire, en mer ?

Il faut être polyvalent, avoir des compétences dans plusieurs petits domaines. Ce métier requiert de la précision et de la rigueur, le travail de tri peut être fastidieux donc il faut aussi être persévérant. On manipule différents matériels, cela suppose de savoir s’adapter.

Préparer une campagne en mer c’est beaucoup d’organisation, de logistique et surtout de l’anticipation, car il faut se projeter à bord, prévoir le matériel adapté pour travailler dans un petit labo embarqué. Une campagne c’est une expérience exceptionnelle, c’est stimulant, on s’adapte aux conditions de vie en mer. Les interactions sont fortes dans l’équipe, on veille à une bonne compréhension pour être efficace car le temps de campagne est compté. Cela crée des liens pour mieux travailler à terre ensemble ensuite.

Au laboratoire de l’institut, on est concentré sur une paillasse avec une loupe binoculaire ou un microscope. C’est aussi un travail précieux pour soutenir les chercheurs dans leurs expériences qui permet de déboucher sur des publications. Je gère aussi l’entretien des collections des échantillons, ce sont des archives de valeur pour lesquelles il faut être méthodique et rigoureux.

J’aime autant ces deux parties de mon travail car c’est varié et stimulant.

Sur les dix campagnes d’exploration auxquelles vous avez participé, lesquelles vous ont le plus marqué. En quoi ?

En 2021, après le Covid, j’ai embarqué sur la campagne IP 21 du projet  Mining Impact dans la zone de fracture Clarion Clipperton (CCZ) dans le Pacifique nord. C’était au sein d’un consortium européen qui rassemble 32 partenaires de 10 pays différents. Il effectue une surveillance scientifique indépendante de la collecte de nodules de manganèse dans cette zone test d’exploitation.

De notre bateau, on envoyait un ROV (Remotely Operated Vehicule) et deux carottiers à 4500 mètres de profondeur pour prélever des sédiments, de la mégafaune, de l’eau et effectuer tout un panel de mesures physico-chimiques avant, pendant et après l’exploitation. Je préparais l’échantillonnage à bord, je devais trier la macrofaune dans un petit labo, placer chaque individu dans un tube et le conserver dans l’éthanol. Il y avait également un AUV (drone sous-marin) pour cartographier les fonds. Toutes ces opérations demandaient une logistique matérielle importante et beaucoup de temps.

Un bateau de Greenpeace était sur la zone pour dénoncer l’exploitation minière. Leur présence met en lumière l’importance de nos travaux scientifiques pour la société !

Dugornay Olivier (2009). ROV Victor 6000. Ifremer. https://image.ifremer.fr/data/00572/68406/

Quels sont les enjeux de votre mission d’inventaire de la biodiversité dans un contexte de pression de l’exploitation des ressources minières justement ? Peut-on accélérer l’acquisition du savoir ? Quelles techniques le permettent ?

Dans cette chaîne de compétences, ma mission consiste à fournir des données fiables pour que les chercheurs en tirent ensuite des conclusions pertinentes. L’enjeu est d’assurer une observation de qualité pour bien identifier les espèces. Or cela prend du temps et c’est coûteux. C’est beaucoup de temps humain, ce n’est pas évident d’accélérer nos tâches. Lorsque la moitié de l’effectif du labo part en campagne, ça ralentit forcément d’un côté.

Depuis peu, nous nous sommes dotés d’une nouvelle machine, la COPAS, qui permet de mesurer, de trier et de photographier chaque individu. Elle peut faire en quinze minutes ce qui nous prend une journée, le gain de temps est important.  Mais elle est complexe et capricieuse. L’intelligence artificielle est aussi prometteuse pour l’analyse d’image, mais c’est encore précoce car il faut alimenter en données et entraîner les modèles informatiques.

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