[Les coulisses de l’océanographie (4/12)]. Andrea Garcia Juan, ingénieure de recherche en océanographie physique, est technicienne de mesure du bruit ambiant sous-marin au Shom (service national d’hydrographie et d’océanographie) à Brest. Elle a en charge le déploiement et la maintenance du réseau Mambo (Monitorage acoustique et mesure de bruit par opportunités) dans les eaux marines françaises (métropole) au service de la directive cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Les mesures collectées par des hydrophones immergés sont ensuite analysées par les ingénieurs en acoustique marine du Shom afin d’étudier les paysages sonores en différents points géographiques, côtiers et hauturiers. L’enjeu est d’observer les pollutions et les masquages sonores qui portent atteinte aux populations d’animaux marins.
Chaque mois, Océans connectés part à la rencontre de celles et ceux qui font l’océanographie. Ils ou elles sont techniciens de laboratoire, topographes, ingénieurs, marins ou météorologues et sont tous essentiels au bon fonctionnement de la recherche marine. Pour ce quatrième épisode, on plonge dans le quotidien entre mer et terre de Andrea Garcia Juan, technicienne en acoustique sous-marine.
par Marguerite Castel
Photo de couverture : Andrea Garcia Juan, découvre avec beaucoup d’intérêt l’observation acoustique marine au Shom, en réglant et en programmant les hydrophones déployés pour les captations. ©Marguerite Castel
La trentenaire d’origine espagnole semble jongler aisément entre son bureau, l’atelier du Shom à Brest, les micros, les enregistreurs, les dispositifs de mouillages et les zones où elle déploie des hydrophones. Début novembre, elle était dans les eaux normandes avec le groupe d’études des cétacés du Cotentin. Pourtant, elle débute dans l’observation acoustique marine.
Andrea souhaitait que ses études de sciences physiques soient utiles à la compréhension du monde. Elle qui était plutôt des terres, elle a découvert ce gigantesque champ d’observation qu’est l’océan. D’abord en observant des courants et en étudiant la modélisation des vagues puis en acquérant une riche expérience au sein du réseau Euro-Argo. Rencontre avec Andrea Garcia Juan.
Quel est votre parcours ?
Andrea Garcia Juan : J’ai obtenu une maîtrise en physique générale à l’université d’Oviedo en Espagne puis je suis venue en France pour étudier en master océanographie, météorologie et sciences du climat à Toulouse. En 2018, j’ai débuté ma carrière en tant qu’ingénieure de recherche chez Euro-Argo, à Brest. J’ai effectué des analyses sur le comportement des flotteurs Argo en mer, participé à des essais dans le bassin de l’Ifremer et assuré la surveillance des flotteurs en mer.
Ensuite, j’ai travaillé au LOPS (Laboratoire d’océanographie physique et spatiale) à l’Ifremer, où j’ai appliqué des algorithmes de machine learning aux données océanographiques, notamment celles des flotteurs Argo.
Quelle est votre mission actuellement ?
AGJ : En septembre 2024, j’ai rejoint le service de l’ingénierie des équipements scientifiques (systèmes océanographiques) au Shom en tant que technicienne de mesure du bruit sous-marin. Ma mission s’inscrit dans le cadre de la directive cadre stratégie pour le milieu marin qui vise à surveiller les niveaux de bruit ambiant sous-marin dans les eaux européennes. Le bruit océanique d’origine anthropique étant reconnu comme une menace potentielle pour de nombreuses espèces marines. Je suis en charge du déploiement et de la maintenance du réseau de douze mouillages acoustiques Mambo dans les eaux métropolitaines, dont l’objectif est de collecter des séries temporelles de données acoustiques de longue durée.
Concrètement, en quoi cela consiste-t-il ?
AGJ : C’est un travail opérationnel, je coordonne la mission en lien avec l’atelier mouillage et les scientifiques et d’autres acteurs différents (groupes d’études, douanes etc). Je prépare les mouillages acoustiques avant leur mise à l’eau, c’est à dire que je règle et programme les hydrophones avec précision selon la recherche. Les réglages varient selon la flottabilité, la profondeur et aussi la durée de l’enregistrement, la rotation des instruments. Je veille aussi à réduire le bruit du mouillage lui-même en plaçant différemment le micro et l’enregistreur. C’est un travail de grande précision car je dois assurer le bon fonctionnement des instruments et la fiabilité des séries temporelles pour optimiser l’expérience, obtenir la meilleure acquisition. L’objectif de Mambo est de mesurer les décibels sous l’eau autour de la France en 12 points géographiques précis, côtiers et hauturiers et d’identifier les bruits anthropiques. Le rayon d’écoute dépend de l’environnement, selon la proximité ou l’éloignement de la côte, la profondeur dans la colonne d’eau (de 20 mètres à 4783 mètres de fond) etc. Ce sont des enregistrements longs, échantillonnés à haute fréquence.
Ensuite ce n’est pas moi qui écoute, c’est le rôle des ingénieurs acousticiens après leur avoir transmis les données. Ils les comparent alors avec leurs modèles numériques, cela leur offre davantage de précision.
Quels sont les enjeux de l’observation acoustique marine ?
AGJ : C’est une discipline en pleine évolution grâce aux progrès et aux innovations sur les instruments. Avant c’était une expertise militaire qui s’est progressivement ouverte aux scientifiques. La croissance du trafic maritime a généré une forte pollution sonore dans l’océan. C’est devenu une préoccupation majeure en Europe et pour l’organisation maritime internationale (OMI).
Les bruits anthropiques perturbent la communication des animaux marins. Ils sont évalués selon des critères de répartition spatiale, d’étendue temporelle, de niveau, de durée, de sources de bruit continu ou de bruits impulsifs (2). Ils peuvent être peu nuisibles à nuisibles, indicateurs de surmortalité et de dérangement. Par exemple, on observe des phénomènes de masquage des communications -lorsque le bruit anthropique étouffe les sons naturels de l’écosystème- qui provoquent de la surmortalité accidentelle et des désertions de zone chez les animaux marins (poissons compris). Les cétacés en particulier qui dépendent du son pour leur apprentissage social et de l’environnement, leur quête de nourriture, leur reproduction.
C’est fascinant, je découvre avec beaucoup d’intérêt cette notion de paysage sonore. Le son illustre la vie de l’océan, il témoigne de sa santé. Pour moi c’est une bonne façon d’appliquer la physique à la compréhension du monde. »
(1) – Shom : Service national d’hydrographie et d’océanographie, le Shom est un établissement public à caractère administratif (EPA) depuis 2007, placé sous la tutelle du ministère des Armées et des Anciens combattants.
(2) – Bruit continu et bruits impulsifs : les sources de bruits impulsifs incluent les battages de pieux dans les constructions sous-marines ou côtières (aménagements portuaires, installations d’éoliennes), les études sismiques (en vue de repérer des gisements de pétrole ou de gaz), les explosions sous-marines (destructions de munitions effectuées sous l’eau à marée haute, exercices militaires), et les sonars notamment. Les sources continues proviennent essentiellement du trafic maritime, et comprennent aussi des cornes de brumes des bouées et d’installations industrielles permanentes (plateformes pétrolières…).