A l’heure de l’anthropocène, l’impact de nos activités sur la Terre a atteint un point critique. Elle ne pourra pas continuer à soutenir la vie telle que nous la connaissons. Il faut reconsidérer notre interaction avec elle. En effet, un groupe de chercheurs international a établi que six des neuf frontières essentielles à la vie sur Terre ont été franchies. En termes simples, le bilan médical planétaire est mauvais. Cela expose la planète à des risques de changements irréversibles, mettant en péril notre avenir.
Par Laurie Henry
Les limites de la Terre, du point de vue humain
Afin d’appréhender au mieux ce premier « bilan de santé » complet de notre planète, il faut d’abord définir ce que sont les frontières planétaires. Ce concept a été introduit pour la première fois en 2009, puis développé et affiné deux fois, une en 2015 et une en 2023. Cette dernière fait l’objet d’une publication par une équipe de chercheurs dirigée par Katherine Richardson de l’Université de Copenhague.
Les limites visent à définir un « espace d’exploitation sûr » pour l’humanité en identifiant et en quantifiant neuf processus et systèmes terrestres essentiels. Elles sont conçues pour maintenir la stabilité et la résilience du système terrestre. La stabilité représente la capacité de la Terre à rester dans un état équilibré, malgré les perturbations. La résilience, quant à elle, représente sa capacité à se rétablir après une perturbation.
Un cadre aux simulations robustes
Afin d’établir le cadre des limites planétaires et leur évolution, les chercheurs se sont appuyés sur plus de 2 000 études. Ils y ont associé des modèles informatiques et des simulations complexes issus de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique (PIK).
Elles ont été calculées sur plusieurs centaines d’années. Cela inclut les processus qui réagissent relativement rapidement au changement, tout en associant des processus beaucoup plus lents du système terrestre déterminant l’issue des changements environnementaux actuels.
Une planète en péril
Et le constat de ces chercheurs est alarmant. Six de ces neuf frontières ont déjà été franchies. L’activité humaine, par la pollution, la déforestation, ou d’autres actions, a déjà causé des dommages importants à notre planète. Nous sommes donc, selon eux, dans une « zone de danger », où les conditions environnementales et les systèmes qui permettent la vie sur Terre sont menacés.
Johan Rockström déclare dans un communiqué : « Cette mise à jour sur les limites planétaires dépeint clairement un patient malade, alors que la pression sur la planète augmente et que les limites vitales sont transgressées. Nous ne savons pas combien de temps nous pourrons continuer à franchir ces frontières clés avant que les pressions combinées ne conduisent à des changements et à des dommages irréversibles ».
Quelles sont les frontières transgressées concrètement ?
Le changement climatique est en première place. Il fait référence aux modifications à long terme des températures et des conditions météorologiques, principalement dues à l’activité humaine.
La deuxième frontière est l’intégrité de la biosphère. Elle repose sur la diversité génétique et la production primaire nette (PPN). La diversité biologique est donc en déclin, avec des espèces en voie de disparition et des écosystèmes dégradés. Le co-auteur Wolfgang Lucht, chef du département d’analyse du système terrestre du PIK, souligne : « Après le changement climatique, l’intégrité de la biosphère est le deuxième pilier de la stabilité de notre planète. Nous déstabilisons actuellement ce pilier en éliminant trop de biomasse, en détruisant trop d’habitats, en déforestant trop de terres, etc. ».
La troisième frontière repose sur les cycles biogéochimiques. Ce sont les cycles naturels des éléments chimiques essentiels à la vie, comme le carbone et l’azote, entre les organismes vivants et leur environnement. Les flux d’azote et de phosphore dans l’environnement sont vitaux pour la vie, mais l’utilisation excessive d’engrais signifie que de nombreuses eaux sont fortement polluées par ces nutriments, ce qui peut entraîner une prolifération d’algues et des zones océaniques mortes.
La limite concernant la modification des écosystèmes terrestres est également dépassée. Elle se réfère à la transformation des terres, souvent pour l’agriculture ou l’urbanisation, qui détruit les habitats naturels et affecte la biodiversité.
Une frontière cruciale est celle de l’eau. L’utilisation de l’eau douce au-delà des limites durables affecte sa disponibilité pour les êtres humains et les écosystèmes, tandis que la perturbation de la circulation atmosphérique peut modifier les modèles climatiques et météorologiques.
Enfin, le chargement en aérosols, qui dépasse régionalement la frontière, concerne les particules en suspension dans l’air, souvent dues à la pollution, qui peuvent affecter la santé humaine et le climat.
Une frontière s’approche de la transgression, l’acidification des océans. Elle est due à l’absorption par les océans du dioxyde de carbone atmosphérique, rendant les océans plus acides et affectant la vie marine. D’ailleurs, la récente publication des bandes d’acidification révèle de manière criante cette menace.
Un appel à agir plus pressant que jamais
Même si une transgression des frontières n’équivaut pas à des changements drastiques survenant du jour au lendemain, elle marque un seuil critique d’augmentation du risque. L’auteur principal Katherine Richardson de l’Université de Copenhague explique plus en détail : « Nous pouvons considérer la Terre comme un corps humain et les limites planétaires comme la tension artérielle. Un taux supérieur à 120/80 n’indique pas une crise cardiaque, mais cela augmente le risque et, par conséquent, nous travaillons à réduire la tension artérielle ».
Les scientifiques soulignent la nécessité d’acquérir plus de données pour mieux comprendre la situation environnementale critique actuelle et pour étudier plus en profondeur les interactions entre les différentes frontières planétaires. Il est urgent de prendre des mesures substantielles pour réduire notre impact et protéger notre planète pour les générations futures.