Sophie Cravatte a d’abord travaillé sur la dynamique de l’océan équatorial en lien avec les phénomènes climatiques El Niño et La Niña avant de s’intéresser à l’océan Pacifique tropical et aux canicules marines.
« Femmes océanographes » (4/12). Elles ont fait de l’océan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. océans connectés part à leur rencontre à travers l’Hexagone. »
Par Marion Durand.
Photo de couverture © Marion Durand
Son domaine de recherche l’a mené à 17 000 kilomètres de chez elle. L’océanographe Sophie Cravatte a posé ses valises en Nouvelle-Calédonie, il y a plus d’un an, après y avoir déjà séjourné une longue période de 2011 à 2016.
La physicienne travaille, depuis 2004, à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), au sein du LEGOS (Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales) de Toulouse. Elle a donc quitté l’Occitanie pour se rapprocher de l’Océan Pacifique, qu’elle étudie depuis sa thèse, en 1999. « J’ai suivi des études en maths et en physique et je peinais à trouver une application de recherche qui me plaisait dans mon domaine. En 1997, j’ai découvert El Niño et La Niña, ces phénomènes naturels à l’origine de cyclones, sécheresses et précipitations dans l’océan Pacifique, lors d’un stage de master. Je ne savais pas qu’en tant que physicienne, on pouvait étudier l’océan. J’ai alors décidé d’y consacrer mes recherches. » Pour ces travaux à propos de ces phénomènes climatiques intenses, elle a remporté en 2012 le prix Christian Le Provost, l’un des 40 grands prix de l’Académie des sciences.
À terre, dans les locaux de l’IRD, ou en mer, lors d’expéditions au large de Nouméa, Sophie Cravatte se concentre à présent sur la zone Pacifique tropicale, englobant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, pour étudier ce qui impacte les écosystèmes des lagons océaniens.
Elle s’intéresse notamment à la variabilité des océans, « à ce qui crée des échanges entre l’océan de surface et les profondeurs », vulgarise-t-elle. Outre les vents, le soleil, la rotation de la Terre ou les grands phénomènes climatiques qui participent à la circulation océanique, d’autres phénomènes méconnus contribuent à faire varier les courants. C’est le cas des monts sous-marins, ces petits sommets au fond des océans. Sophie Cravatte s’intéresse aux mouvements imprévisibles induits par ces montagnes immergées. « Lorsqu’ils rencontrent des obstacles, comme des monts sous-marins, les courants de marée génèrent des oscillations à l’intérieur de l’océan, on parle alors d’ondes de marée interne », décrit l’océanographe. Ce phénomène entraîne alors un mélange des masses d’eau qui pourrait expliquer la présence de nutriments et de plancton près de la surface de l’océan. « Nous sommes encore aux débuts de ces recherches, c’est la première fois que les ondes de marées sont étudiées au large de la Nouvelle-Calédonie. Ces phénomènes restent très difficiles à observer et à modéliser».
« En mer, on est en vacances de la vraie vie »
Le 14 mars dernier, une première mission scientifique a permis d’installer trois lignes de mouillage dans la région des monts sous-marins au large de l’île des Pins, dans le parc naturel de la mer de corail. Ces appareils enregistrent toutes les 20 minutes les variations de courants et de densité sur toute la colonne d’eau pendant huit mois (de mars à novembre). Sophie Cravatte, cheffe de cette mission Swotalis, a à nouveau embarqué quelques semaines plus tard à bord de l’Antéa, l’un des navires océanographiques de la flotte française, pour effectuer les premières mesures des mélanges prélevés à différentes profondeurs. « Il est trop tôt pour avoir des résultats mais on sait que ce qui se passe à une fine échelle a un impact très important sur la circulation océanique et constitue une pièce essentielle de la dynamique de l’océan. »
Même si l’océanographe physicienne passe plus de temps sur terre qu’en mer, les expéditions sont, pour elle, « des moments magiques ». « Lorsqu’on part, il n’y a que la science qui compte. On est en vacances de la vraie vie, on est concentré h24 sur nos recherches, c’est extrêmement motivant. On a le sentiment d’être des explorateurs des temps modernes ! », décrit-elle. Après douze expéditions en mer, Sophie Cravatte ressent toujours autant d’enthousiasme lorsque le navire quitte le quai. « Nous sommes en huis clos, on crée des liens forts avec les chercheurs et marins embarqués. C’est comme une colo de vacances, le dernier jour, on est un peu triste que la campagne se termine. »
« En tant qu’océanographe, nous devons donner l’alerte »
Depuis plusieurs années, la scientifique dirige aussi des projets de recherche sur les vagues de chaleur océaniques, des périodes anormalement chaudes qui affectent les régions côtières et l’océan. Sophie Cravatte veut appréhender ces phénomènes de surchauffe : Qu’est-ce qui les déclenche ? Pourquoi se dissipent-ils ? « Nous essayons de comprendre ces processus car ces canicules sont de plus en plus longues dans le Pacifique et leurs conséquences sont inquiétantes. Elles influencent la migration d’espèces, comme le thon, elles induisent un blanchissement des coraux ou causent une mortalité massive d’espèces de poissons lagunaires ou de bénitiers… »
Ces canicules marines ne sont pas nouvelles même si les records de températures en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord cet été ont participé à une plus grande médiatisation du problème. « Les gens se posent des questions à propos de ces canicules ou des phénomènes comme El Niño. Ici, les Calédoniens voient les coraux blanchir, ça les inquiète », confie Sophie Cravatte. Dans cette île du Pacifique, l’océan occupe une place centrale dans le quotidien des Ultramarins. « Ils se demandent comment le changement climatique va les affecter et comment ils devront y faire face ». Mais l’océanographe regrette en même temps un manque de « prise de conscience », « les Calédoniens sont inquiets mais ils continuent de prendre l’avion ou de rouler en SUV, (imposants véhicules urbains considérés comme plus polluants, ndlr). Quand ils m’interrogent sur l’état de l’océan, je ne les rassure pas, je leur dis qu’il faut réagir, et vite ! Mon rôle, en tant qu’océanographe est de faire de la recherche, mais nous devons aussi donner l’alerte. »
Un accès difficile aux postes à responsabilités
Si Sophie Cravatte dit ne jamais avoir ressenti de discrimination en raison de son genre au cours de sa carrière, elle estime malgré tout que les femmes ont moins accès aux postes à responsabilités. « On a tendance à s’autocensurer car on pense être moins capables que les hommes ». Pour la chercheuse, les sciences de la mer sont à l’image de la société : « Les femmes doutent plus d’elles-mêmes ». Cette impression de ne pas être à la hauteur, ce fameux syndrome de l’imposteur, freine certaines océanographes, « pourtant aussi expertes que certains hommes », dans les demandes de promotions. « Mais les organismes font des efforts, les femmes grimpent à des postes haut placés, les choses vont changer », prédit-elle.
L’océanographie reste, pour Sophie Cravatte, un « métier passion ». Les jeunes, de plus en plus préoccupés par l’environnement et par les problématiques climatiques, se dirigeront, selon elle, vers les sciences de la mer. « Les jeunes cherchent un métier utile qui a du sens. Ils sont nombreux à se tourner vers la biologie marine ». Elle n’élude pas les difficultés qui entourent la recherche, « l’océanographie demande beaucoup d’acharnement et de travail, c’est vrai qu’il y a des abandons parmi les étudiants en thèse. Il faudrait ouvrir le recrutement plus tôt pour que les thésards n’aient pas à choisir entre vie professionnelle et vie personnelle ».
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