Les scientifiques estiment que seulement 10% de la vie océanique est actuellement connue et identifiée. Le besoin d’une connaissance plus large de la biodiversité marine est aujourd’hui une nécessité pour mettre en place des mesures de protection efficaces et ciblées. Une alliance mondiale se lance donc dans un nouveau recensement, une véritable course contre la montre au sein du plus grand programme de l’histoire pour découvrir la vie marine à grande échelle, et la protéger avant qu’il ne soit trop tard.
La taxonomie, une jeune discipline pour les sciences de la mer
La taxonomie est la branche des sciences naturelles qui vise à décrire, en termes d’espèces, les organismes vivants et à les organiser en catégories hiérarchisées appelées taxons. La reconnaissance par la communauté scientifique de ces catégories repose sur la pertinence de leur description, l’attribution d’un nom et leur classement au sein du Vivant.
En océanographie, la taxonomie est une activité qui demande beaucoup d’investissements en temps et en moyens. La première grande classification des espèces marines date de la toute première expédition océanographique d’envergure menée au 19ème siècle à bord du Challenger (1872-1876). Il faudra ensuite attendre le 21ème siècle et le programme The Census of Marine Life (2000-2010) pour voir apparaitre le second grand travail de classification, répertoriant environ 6000 nouvelles espèces océaniques.
Aujourd’hui, selon la dernière estimation, seulement 240000 des 2,2 millions d’espèces qui existeraient dans l’océan sont connues des scientifiques, soit à peine 10% de la communauté totale. Notre connaissance de l’océan profond est donc encore pleine de questionnements : quelle biodiversité renferme-t-il ? comment la vie s’organise-t-elle dans ces endroits sombres et éloignés ?
Un projet aux ambitions mondiales et des techniques ultra modernes, efficaces et connectées
C’est pour palier à ce manque de connaissance qu’un groupe de scientifiques du Royaume-Uni et du Japon se sont associés autour du projet Ocean Census, l’un des programmes scientifiques les plus ambitieux de l’Histoire de l’océanographie.
Il ambitionne en effet d’identifier pas moins de 100000 nouvelles espèces marines sur une période de 10 ans, ce qui n’a jamais été réalisé jusqu’ici et représenterait un progrès considérable dans la connaissance scientifique.
Yohei Sasakawa, président de la Nippon Foundation explique dans un article de Forbes : « Nous ne pouvons pas protéger ce dont nous ignorons l’existence. La vie océanique rend possible toute vie sur Terre et détient la sagesse de quatre milliards d’années de notre évolution sur Terre. Nous avons une course contre la montre pour découvrir la vie océanique avant qu’elle ne soit perdue pour les générations à venir ».
Ocean Census doit permettre de mener des recherches à l’échelle mondiale, en collaboration avec un réseau d’organisations scientifiques, commerciales, médiatiques et citoyennes, grâce à des dizaines d’expéditions dans des zones stratégiques de biodiversité.
Les résultats seront ensuite transmis à des organisations du monde entier, y compris à l’ONU, qui a approuvé en mars le traité des Nations Unies sur la biodiversité au-delà de la juridiction nationale qui vise à établir 30% de zones protégées en haute mer. La mise en œuvre de cette politique ambitieuse pour l’océan nécessite des informations mises à jour afin de s’assurer, par exemple, du bon positionnement des aires protégées.
Ce travail de recherche et de description scientifique des espèces est un processus très lent et fastidieux, et qui doit être très méthodique. Le professeur Alex Rogers, directeur scientifique du projet explique dans un communiqué : « il faut un à deux ans voire plusieurs décennies pour décrire une nouvelle espèce après sa collecte. La taxonomie traditionnelle est donc incapable de relever les défis des crises climatiques et de la biodiversité ».
Le recours à des techniques plus performantes et à haute résolution rendues possibles aujourd’hui change la donne en accélérant et facilitant le processus. Ces outils comprennent des technologies sous-marines avancées avec des plongeurs, des sous-marins et des robots de haute mer. Par exemple, un équipement de balayage laser sous-marin doit permettre d’analyser les animaux aux corps fluides comme les méduses, qui sont difficiles à étudier sur terre.
Jyotika Virmani, directeur exécutif du Schmidt Ocean Institute en Californie qui participe à l’initiative, indique : « il est désormais possible d’observer la colonne d’eau, de déterminer sa morphologie et de mener des recherches approfondies sur celle-ci directement, grâce à la collecte d’ADN in situ ». Il précise : « Ces techniques de pointe facilement accessibles permettront d’identifier et de suivre les espèces », sans avoir à tout ramener sur terre.
Une alliance mondiale numérique sous l’égide de la science et la connaissance
Les espèces découvertes lors des expéditions menées pour Ocean Census seront envoyées à un réseau de centres de recensement établi dans tous les pays du projet. Des réseaux de taxonomistes se connecteront virtuellement pour s’appuyer sur ce que le professeur Rogers et son équipe appellent des « formes de vie numériques » : l’objectif sera de compléter collectivement les descriptions d’espèces et d’établir une base de données titanesque, en libre accès pour les scientifiques, les décideurs et le public.
Mitsuyuki Unno, directeur exécutif de The Nippon Fondation conclut : « Cette nouvelle base de connaissances peut aider à faire progresser notre compréhension de la science fondamentale – la production d’oxygène, le cycle du carbone, la production alimentaire durable, l’évolution de la vie sur Terre et même les découvertes de nouveaux médicaments et biotechnologies ».