La modélisation numérique au service des océans et de leur préservation

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océans et technologies

Par Laurie Henry

Aujourd’hui, les prévisions météorologiques font partie de notre quotidien. Elles sont issues de simulations numériques réalisées avec des modèles d’atmosphère. Qu’en est-il de l’océan, composante essentielle du système climatique ? Existe-t-il des modèles d’océan, des prévisions océaniques, et si oui pour quelle utilisation ?

Des modèles océaniques de plus en plus précis

C’est en 1967 que Kirk Bryan et Michael Cox développèrent au GFDL (Geophysical Fluid Dynamics Laboratory, laboratoire de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, NOAA) le premier modèle tri-dimensionnel de l’océan, dénommé « Bryan-Cox code », et depuis largement diffusé dans les instituts impliqués dans la modélisation de l’océan et du climat.

Un modèle d’océan ou modèle océanique est un programme informatique complexe simulant l’état physique et les propriétés dynamiques des océans. Concrètement, ce programme informatique résout numériquement des équations qui décrivent les mouvements du fluide géophysique qu’est l’océan mondial, collé à une sphère tournante, la Terre, et bordé par des frontières continentales. Partant des principes fondamentaux, comme la conservation de l’énergie ou de la quantité de mouvement, les équations issues de la dynamique des fluides caractérisent l’évolution dans le temps des grandeurs physiques , comme la température, la salinité, la vitesse des courants.

Un maillage est défini sur le globe, sur lequel sont résolues ces équations, avec une précision d’autant plus grande que le maillage est fin. La résolution du modèle peut varier de 100 km pour les modèles climatiques à quelques km pour une étude locale. Il est également nécessaire de définir l’état initial de l’océan et les conditions à la frontière des océans avec l’atmosphère, et au fond des océans. En effet, l’interaction air-mer se concentre sur l’échange de quantités, telles que la chaleur ou l’humidité, à travers la surface de l’océan.

Une fois tous ces ingrédients réunis, les océanographes lancent l’exécution du programme qui calcule l’évolution dans le temps des différentes grandeurs physiques. Le programme est exécuté sur des super calculateurs et nécessite des milliers d’heures de calcul. Chaque modèle connait de nombreuses mises à jour et des innovations issues des études poursuivies dans les différents instituts de recherche afin de représenter au mieux l’état des océans.

courant surface 8km

Courants de surface modélisés à 8 km de résolution. © CMEMS

salinite surface 8km

Salinité de surface modélisée à 8 km de résolution. © CMEMS

La modélisation pour dresser une image plurielle de l’océan

Comme les modèles météorologiques, les modèles d’océan sont utilisés pour établir des prévisions océaniques dans le cadre de l’océanographie opérationnelle et sont intégrés dans les modèles climatiques pour réaliser les projections climatiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

L’océanographie opérationnelle est définie, dans un article établissant l’état des connaissances, comme « l’ensemble des activités de génération de produits et de services fournissant des informations exploitables sur l’environnement marin et côtier, conçues pour répondre aux besoins sociétaux et scientifiques ».

Le service européen de surveillance des océans (CMEMS), implémenté par Mercartor Oceans à Toulouse, met en œuvre l’océanographie opérationnelle et fournit des prévisions océaniques, devenues essentielles à un large éventail d’activités maritimes. Les prévisions peuvent porter sur le court terme, pour assurer la sécurité et appuyer les décisions tactiques, ou sur un plus long terme, pour soutenir les activités de planification et relatives à la résilience, comme la pêche durable.

De plus, CMEMS édite des avertissements sur les inondations côtières, les dommages causés par la glace et les tempêtes, la prolifération d’algues nuisibles et les contaminants, etc. Il établit des cartes visualisables en ligne, les routes optimales pour les navires, la prévision de la productivité primaire saisonnière ou annuelle, les courants océaniques, la variabilité du climat océanique, etc. Les produits finaux et les prévisions doivent être distribués rapidement aux utilisateurs industriels, aux agences gouvernementales et aux autorités réglementaires.

Notons d’ailleurs qu’une grande variété de modèles opérationnels sont actuellement utilisés dans les mers européennes, basés sur différents modèles d’océan, avec une gamme disparate d’échelles spatiales et temporelles et diverses sources de données. Une étude récente dresse la liste de ces modèles en identifiant leur forces et faiblesses, ainsi que leurs utilisations.

Dernier point, la modalisation numérique océanique est l’un des outils clés permettant de mieux comprendre la distribution des déchets marins, en particulier les microplastiques. Au cours de la dernière décennie, une série de simulations numériques, comme le résume une étude de 2017, ont été construites, ciblant spécifiquement les déchets marins flottants, basées sur des modèles océaniques de complexité variable. Certains de ces modèles incluent les effets des courants, des vagues et du vent ainsi qu’une série de processus qui ont un impact sur la façon dont les particules interagissent avec les courants océaniques, y compris la fragmentation et la dégradation. D’ailleurs, une étude de 2021, de Maes et al., analyse le devenir de la pollution plastique flottante rejetée le long des côtes grâce à ces modèles.

Des modèles pour une coopération internationale

Les projections climatiques du GIEC sont réalisées avec des modèles climatiques, composés d’une combinaison de modèles : atmosphère, océan, surface continentale, glace de mer, etc. Elles portent sur le long terme et fournissent différents scénarios d’augmentation de gaz à effet de serre de la période pré-industrielle à la fin du XXIe siècle.

L’augmentation rapide des gaz à effet de serre dans l’atmosphère provoque une accumulation de chaleur au sein du système climatique. C’est l’océan qui absorbe plus de 90 % de l’excès de chaleur accumulé dans le système climatique. Il a un rôle régulateur car il se réchauffe moins vite que l’atmosphère, mais cette quantité de chaleur accumulée aujourd’hui a des conséquences sur l’évolution du niveau de la mer, l’augmentation des températures de l’air, la fonte des glaces…

Les modèles d’océan jouent donc un rôle essentiel dans les modèles climatiques pour prévoir au mieux les impacts du changement climatique.

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