Anticiper l’évolution d’El Niño et ses effets sur les traits de côte mondiaux pour 2024

15/04/2024

8 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

El Niño, ce phénomène climatique global caractérisé par un réchauffement périodique des eaux de l’océan Pacifique, affecte les conditions météorologiques à l’échelle planétaire. En 2023, son caractère particulièrement intense a entrainé des conditions météorologiques extrêmes, avec un fort impact sur l’environnement et la société dans son ensemble. Alors que ce cycle a atteint un pic d’intensité, les experts tentent d’anticiper les transformations climatiques qu’il induira dans les mois à venir.

Par Laurie Henry

L’impact d’El Niño sur les côtes mondiales

Les avancées significatives dans le domaine de la modélisation statistique, combinées aux prédictions fournies par le North American Multi-Model Ensemble (NMME), ont révolutionné notre capacité à anticiper les modifications des traits de côte avec une précision inégalée. Le NMME, qui regroupe plusieurs modèles climatiques issus de centres opérationnels aux États-Unis et au Canada, offre une vision globale et intégrée des prévisions climatiques. Cet ensemble de modèles, en agrégeant diverses simulations, réduit les incertitudes et améliore la fiabilité des prédictions saisonnières.

Grâce à cette approche multicouche, les scientifiques du laboratoire toulousain du LEGOS (J. Boucharel et al., 2024) peuvent désormais évaluer avec une plus grande confiance l’impact potentiel d’événements climatiques majeurs, tels qu’El Niño, sur la dynamique des côtes à travers le monde. Cette avancée est particulièrement pertinente dans le contexte de l’événement El Niño attendu pour l’hiver 2023/24, où les prédictions indiquent des anomalies de températures de surface de la mer qui pourraient remodeler significativement les traits de côte. Effectivement, les dernières analyses prévoyaient avec une probabilité élevée (75 à 85 % selon le Service météorologique américain) de voir s’établir un El Niño fort dès le début de 2024.

Cet évènement se caractérise par des attributs mixtes, affectant simultanément l’est et le centre du Pacifique, similairement à ce qui avait été observé lors de l’épisode de 2015-2016. Toutefois, cette occurrence semble présenter une intensité réduite dans la partie orientale du bassin. Ce phénomène, où les eaux chaudes s’étendent sur une large portion du Pacifique, influence non seulement le climat et les précipitations dans les régions avoisinantes, mais affecte également les courants océaniques et les niveaux de la mer, entraînant des modifications substantielles des lignes de côte. Les prédictions de l’évolution des traits de côte basées sur les indices ENSO (El Niño Southern Oscillation) et d’autres indicateurs climatiques permettent d’anticiper les zones de potentielle érosion ou accrétion le long des littoraux.

Une évolution complexe des traits de côte

Ainsi, ces prévisions révèlent un scénario complexe, avec un recul significatif du littoral dans le Pacifique oriental. Cette régression des côtes peut être attribuée à l’augmentation des niveaux de la mer et à l’intensification de l’érosion côtière, phénomènes directement liés à l’accumulation d’eaux plus chaudes dans cette région. En effet, l’eau chaude a tendance à se dilater, ce qui élève le niveau de la mer et peut accélérer les processus d’érosion le long des côtes.

Cette dynamique côtière est fortement influencée par le déplacement des tempêtes du Pacifique Nord vers l’équateur, un phénomène caractéristique des années El Niño. Les tempêtes, en se rapprochant de l’équateur, modifient la direction et l’intensité des vents dominants, ainsi que les schémas d’activité des vagues. Dans le Pacifique oriental, cette situation entraîne à nouveau une hausse de l’activité érosive sur les côtes due à des vagues plus fortes et plus fréquentes.

Parallèlement, le bassin indo-pacifique, y compris l’Australie, devrait connaître une expansion de son trait de côte. Cette expansion est le résultat d’une accumulation de sédiments favorisée par des courants marins et des activités de vagues modifiées, lesquels sont également influencés par les températures élevées de l’eau et les changements dans les régimes de précipitations apportés par El Niño.

Ces interactions complexes entre température de l’eau, activité des vagues, et mouvements des tempêtes sous l’influence d’El Niño illustrent bien l’impact profond que peuvent avoir ces phénomènes climatiques globaux sur la géographie physique des côtes autour du monde.

Comprendre et anticiper

L’amélioration des prévisions sur l’évolution des traits de côte grâce aux modèles comme le North American Multi-Model Ensemble (NMME) marque une révolution dans notre capacité à anticiper et à nous adapter aux changements côtiers induits par des phénomènes tels qu’El Niño.

Prévisions moyennes d’ensemble des anomalies (en m) dans les positions du littoral (moyenne novembre 2023 – janvier 2004) pour un ensemble de prévisions construites avec les valeurs mensuelles des indices ENSO provenant des prévisions de l’ensemble multimodèle NMME et 1000 valeurs mensuelles différentes de chaque indice climatique (dipôle de l’océan Indien, mode annulaire austral et oscillation de l’Atlantique Nord) couvrant leurs variations historiques. Les points verts indiquent les prévisions qui sont significatives par rapport à l’amplitude saisonnière (prévisions supérieures ou inférieures à la moitié de la variation saisonnière). © J. Boucharel et al., 2024

Cette avancée offre non seulement une base solide pour la planification et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation côtière, mais enrichit également notre compréhension des dynamiques océan-atmosphère et leur impact sur les zones littorales. En identifiant à l’avance les zones à risque d’érosion ou d’accrétion, les décideurs peuvent désormais élaborer des politiques plus efficaces pour protéger les écosystèmes côtiers et les communautés qui en dépendent, contribuant ainsi à une gestion plus résiliente et durable des littoraux face aux défis climatiques actuels et futurs.

Anticipation de l’affaiblissement d’El Niño

Le phénomène El Niño, après avoir marqué l’année 2023 par une série d’événements climatiques intenses, montre contre toute attente des signes d’affaiblissement progressif. Paul Roundy, expert en sciences atmosphériques, rapporte dans The Conversation en février que ce puissant El Niño de 2023 devrait s’estomper et potentiellement disparaître d’ici la fin du printemps 2024. Cette transition vers des conditions climatiques neutres, avant un possible basculement vers La Niña à l’automne, suscite des interrogations sur les impacts climatiques à venir pour le reste de l’année, notamment en ce qui concerne la saison des ouragans.

L’évènement El Niño provoque l’apparition d’eaux anormalement chaudes dans le Pacifique équatorial. En 2024, elles étaient bien plus chaudes (en rouge et en jaune) qu’en 2022 . Des événements El Niño faibles se produisent toutes les quelques années, avec des événements forts comme celui-ci se produisant en moyenne tous les 10 à 20 ans. © NOAA

Bien que l’affaiblissement d’El Niño soit en cours, ses effets demeurent significatifs, avec des prévisions qui continuent de favoriser un temps plus chaud que la moyenne au Canada et dans le nord des États-Unis, ainsi que des conditions orageuses sporadiques dans les régions sud pendant l’hiver. La fin de ce phénomène climatique et le passage à La Niña pourraient avoir des conséquences notables sur les tendances météorologiques mondiales, y compris sur l’intensification de l’activité des ouragans dans l’Atlantique. L’auteur note que début février 2024, de forts vents d’ouest poussaient les eaux chaudes d’ouest en est à travers le Pacifique équatorial. Ces vents ont tendance à faire durer El Niño un peu plus longtemps. Cependant, ils sont également susceptibles de chasser le peu d’eau chaude qui reste le long de l’équateur hors des tropiques, le long des côtes des Amériques. Plus l’eau expulsée est chaude, plus grandes sont les chances d’un renversement complet des conditions La Niña à l’automne. Cela souligne l’importance d’une surveillance continue et d’une préparation adéquate face à ces changements climatiques.

 

Source : Boucharel, J., Almar, R. & Dewitte, B. “Seasonal forecasts of the world’s coastal waterline: what to expect from the coming El Niño?”. npj Clim Atmos Sci 7, 37 (2024).

Lire la publication

ces événements pourraient vous intéresser... tout voir