En Antarctique, la plateforme de glace de Brunt se brise pour former un iceberg géant

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océans et climat

Par Laurie Henry

L’imagerie satellite confirme qu’un énorme iceberg, environ cinq fois la taille de Malte, a finalement vêlé de la plateforme de glace Brunt de l’Antarctique, près de la station de recherche britannique de Halley. La bonne nouvelle est que la scission est un processus naturel connu sous le nom de « vêlage » et ne serait pas lié au changement climatique, selon les experts. Mais reste à comprendre comment va évoluer cette masse de glace à la dérive.

Un géant sous surveillance depuis longtemps

Le moment du vêlage, bien qu’inattendu, était anticipé depuis longtemps. Les glaciologues surveillent depuis des années les nombreuses fissures et gouffres qui se sont formés dans l’épaisse plateforme de glace de Brunt, qui borde la côte de Coats Land dans le secteur de la mer de Weddell en Antarctique.

D’ailleurs la plateforme de glace de Brunt est probablement la plateforme de glace la plus étroitement surveillée sur Terre. Un réseau de 16 instruments GPS mesure la déformation de la glace et la rapporte toutes les heures.

Les images satellites de Sentinell-2 et TerraSAR-X de l’Agence spatiale européenne, les images satellite Worldview de la NASA, les images Landsat 8 des États-Unis, le radar pénétrant au sol et les images de drones sur place ont été essentielles pour donner l’alerte précoce des changements de la plateforme. Ces données ont fourni aux équipes scientifiques plusieurs moyens de mesurer les fissures avec une très grande précision.

En février 2019, une faille couvrant la majeure partie de la plateforme de glace de Brunt semblait prête à engendrer un iceberg d’environ deux fois la taille de New York. Ce n’était qu’une question de temps pour que « Chasm 1 », qui était en sommeil depuis des décennies, rencontre le « Halloween Crack », repéré pour la première fois à Halloween 2016, et détache l’iceberg géant.

Un iceberg aussi grand que Londres

Les scientifiques ont utilisé des modèles informatiques et des cartes bathymétriques pour prédire à quel point la banquise était proche du vêlage. Selon le British Antarctic Survey (BAS), la rupture a eu lieu tardivement, le 22 janvier 2023, produisant un nouvel iceberg d’une superficie de 1550 kilomètres carrés.

Le nouvel iceberg devrait être nommé « A-81 » par l’US National Ice Center. Les icebergs sont traditionnellement identifiés par une lettre majuscule indiquant la zone de l’Antarctique dans laquelle ils ont été initialement aperçus, suivi d’un numéro séquentiel : si c’est le 15e iceberg issu du quadrant A il portera le nom A-15. L’Antarctique est séparé en 4 zones ou quadrants (A, B, C, D) selon la longitude.

Donc A-81 signifie qu’il s’agit du 81ème iceberg qui se détache du quadrant A de l’Antarctique soit entre 0° et 90° de longitude ouest (mer de Bellingshausen et mer de Weddell). Puis, si l’iceberg se brise en plus petits morceaux, chaque fragment fille est affecté du code de l’iceberg mère, suivi d’une lettre.

La plateforme abrite depuis longtemps la station de recherche Halley du BAS, où les scientifiques étudient les processus météorologiques terrestres, atmosphériques et spatiaux. Le BAS a signalé que la station, qui a été déplacée plus à l’intérieur des terres en 2016 alors que le gouffre s’élargissait, n’a pas été affectée par la récente rupture, selon les scientifiques.

Depuis 2017, le personnel n’est déployé sur la station que pendant l’été antarctique (entre novembre et mars). Actuellement, 21 membres du personnel travaillent sur la station pour entretenir les alimentations électriques et les installations qui permettent aux expériences scientifiques de fonctionner à distance tout au long de l’hiver. Leur travail se poursuivra jusqu’à ce qu’ils soient récupérés par avion vers le 6 février.

De plus, des inquiétudes avaient été exprimées quant au fait que la colonie de manchots de Dawson-Lambton près de l’échappée aurait pu être affectée. L’imagerie Sentinel-2 de 2022 montre que le guano, ou excrément de pingouin, se trouve sur la plateforme de glace qui reste intacte.

Brunt_Ice_Shelf_and_the_Dawson-Lambton_penguin_colony

Avant et après de la plateforme de glace de Brunt. L’image de gauche montre les fissures et les gouffres de la banquise le 25 octobre 2022 et l’emplacement de la colonie de manchots. L’image de droite montre l’iceberg qui se détache de la banquise le 24 janvier 2023. © Copernicus Sentinel-2

Une surveillance pour prédire le comportement des plateformes de glace face à la crise climatique

Plusieurs facteurs peuvent avoir contribué à l’achèvement de la rupture, y compris un manque de glace de mer pour aider à résister, ou « repousser », les contraintes sur la banquise en 2023.

Dominic Hodgson, glaciologue au BAS, déclare dans un communiqué : « Cet événement de vêlage était attendu et fait partie du comportement naturel de la plateforme de glace Brunt. Il n’est pas lié au changement climatique. Nos équipes scientifiques et opérationnelles continuent de surveiller la banquise en temps réel pour s’assurer qu’elle est sûre et pour maintenir nos capacités de travail ».

La surveillance de routine par satellite offre des vues sans précédent des événements qui se produisent dans des régions éloignées et montre comment les plateformes de glace réagissent activement aux changements de la dynamique des glaces, des températures de l’air et des océans. En février 2021, un autre iceberg géant, d’environ 1270 km2, s’est détaché de la partie nord de Brunt. Repéré par les images du satellite Sentinel-1, il s’est déjà éloigné de Brunt vers la mer de Weddell.

Et maintenant ?

Il faut savoir que le vêlage des icebergs d’une plateforme de glace est suivi d’un ajustement du flux de glace dans la plateforme. Cela pourrait influencer le comportement d’autres fissures dans la région fragilisée de la plateforme de Brunt, avec un afflux plus important de glace à l’intérieur.

Effectivement, au fur et à mesure que la glace s’écoulant de la terre s’étend sur la mer, les zones de plateau les plus éloignées du rivage s’amincissent. Ces zones sont endommagées par les tempêtes et les marées, ce qui les rend finalement plus susceptibles de former des fissures et de se détacher.

Selon les experts, le vêlage de l’iceberg géant, ainsi que la précédente séparation, les obligent maintenant à se concentrer sur la fissure d’Halloween – dont l’extension pourrait contribuer à déstabiliser davantage la plateforme de glace de Brunt. Les capacités des sentinelles Copernicus vont être mise à contribution pour surveiller de près le comportement et la stabilité de la plateforme de glace de Brunt restante.

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