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La santé des coraux pourrait dépendre des excréments des poissons

Par Laurie Henry

Comme le fumier dans les champs, les excréments des poissons pourraient aider à améliorer la santé des récifs coralliens, mais tout dépendrait des poissons en question. Une découverte étonnante éclaire sur les relations complexes et particulièrement fragiles qu’entretiennent les coraux avec leurs prédateurs et les autres habitants des récifs. Entre bénéfices et toxicité, les bactéries contenues dans les fèces des poissons modèlent cet écosystème essentiel à la vie humaine.

Des prédateurs amis et des amis toxiques !

Un subtil jeu d’équilibre s’est instauré au sein des récifs coralliens, où les poissons se nourrissant de coraux aident ces derniers à se prémunir ou se guérir de maladies, d’après une étude portée par l’Université de Rice.

Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que les poissons mangeurs de corail, les corallivores, affaiblissaient les structures des récifs en les mordant, les blessant au risque de les faire mourir. Mais les coraux côtoient également des poissons nommés brouteurs, se nourrissant d’algues et de détritus, et que l’on pensait pouvoir maintenir les récifs en bonne santé.

Des rôles de bons et méchants poissons facilement identifiables ? Carsten Grupstra, auteur principal de l’étude publiée dans Frontiers in Marine Science met en garde dans un communiqué : « Il s’avère que cela ne raconte pas toute l’histoire ».

En effet, il est reconnu que les excréments des animaux sont une composante importante des cycles des nutriments et des chaines alimentaires, que ce soit en mer ou sur terre. Alors pour mieux comprendre comment les coraux peuvent être impactés par les déjections de ces poissons corallivores et brouteurs, les auteurs se sont appuyés sur deux années de données issues du terrain et d’expériences en laboratoire à l’Université de Rice et à la station de recherche de Moorea, en Polynésie française.  Ils ont placé des morceaux de corail dans des bocaux contenant de l’eau de mer exempte de microbes. Dans certains, ils ont ajouté des excréments frais de corallivores, dans d’autres ils ont ajouté les excréments frais de brouteurs. À la fin de l’expérience, les fragments de corail de tous les bocaux ont été examinés et classés selon leur état.

Ces expériences ont montré que les matières fécales des brouteurs pouvaient tuer ou étouffer les coraux dans tous les bocaux. Les excréments des corallivores produisaient, eux, des lésions moins nombreuses et plus petites et n’entraînaient que rarement la mort.

Des excréments bénéfiques

Pour comprendre ces résultats, les microbes présents dans les excréments ont été analysés. Ceux des corallivores contenaient de nombreuses bactéries présentes dans les coraux sains, pouvant être de fait considérés comme un apport de « probiotiques » au récif, à l’instar de ceux bénéfiques à notre santé qui peuplent nos intestins.

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Un poisson-papillon mangeur de corail sur un récif de Moorea en juillet 2019. © Carsten Grupstra

Et c’est tout le récif qui peut profiter de cette source importante de microbes bénéfiques ! En effet, comme ces prédateurs ne sont pas tout en haut de la chaine alimentaire, ils sont également les proies potentielles de plus grands animaux. Ainsi toujours inquiets d’être mangés eux-mêmes, ils passent leurs journées à répéter un processus simple en deux étapes : prendre une bouchée et nager vers un nouvel endroit.

Parce qu’ils se soulagent au fur et à mesure, ils dispersent naturellement leurs déjections – et tous les organismes bénéfiques qu’elles contiennent – sur une vaste zone. Carsten Grupstra résume : « C’est analogue à la thérapie de transplantation de microbiote fécal chez l’Homme ».

Une découverte importante pour les enjeux de conservation

Les auteurs nuancent néanmoins leurs propos car les effets nocifs ou bénéfiques pourraient être limités si les excréments se désintègrent, ou sont éliminés par un autre organisme. Une meilleure compréhension des relations au sein de l’écosystème permettra aux gestionnaires de récifs de mettre en œuvre les traitements qui favoriseraient les effets bénéfiques et minimiseraient les impacts négatifs.

Carsten Grupstra déclare : « Ensemble, ces découvertes aboutissent à une compréhension plus nuancée des rôles des poissons sur les récifs coralliens et peuvent nous aider à mieux comprendre les interactions qui se produisent sur les récifs du monde entier ».

En effet, rappelons que pour assurer leur survie, les coraux sont obligés de vivre en symbiose avec des algues, comme les dinoflagellés. Ces dernières nourrissent leurs hôtes en partageant la nourriture obtenue par photosynthèse et bénéficient simultanément de la protection des coraux.

Sous l’effet du réchauffement climatique, les coraux blanchissent, expulsant ces algues considérées comme des ennemis et finissent par en mourir. L’association des algues et des coraux est la clé de la sauvegarde de ces derniers et donc des récifs coralliens. Et c’est au niveau de cette symbiose qu’interviendraient les excréments de prédateurs.

Les auteurs ont en effet découvert qu’une grande quantité de dinoflagellés sont présents dans leurs fèces et sont donc dispersés tout le long du récif. Carsten Grupstra et Adrienne Correa, co-auteures de l’étude et biologistes marines de l’Université Rice, mènent des recherches supplémentaires pour savoir si le contact avec les excréments des prédateurs coralliens pourrait améliorer les taux de récupération du blanchiment et la santé à long terme des coraux.

Adrienne Correa conclut : « Cela nous indique que nous ne connaissons pas vraiment toutes les interactions qui se produisent sur les récifs coralliens, et certaines espèces peuvent être importantes pour la conservation des récifs coralliens d’une manière que nous n’avions pas imaginée ».

Source : Carsten G. Grupstra, et al., Consumer feces impact coral health in guild-specific ways.  Frontiers in Marine Science. https://doi.org/10.3389/fmars.2023.1110346