Claire Gourcuff, océanographe physicienne : « Quand on est sur l’eau, au milieu de rien, c’est fascinant ! »

06/07/2023

7 minutes

femmes océanographes

Pour le deuxième épisode de cette série, nous donnons la parole à l’océanographe bretonne Claire Gourcuff, coordinatrice scientifique du réseau européen Euro-Argo.

« Femmes océanographes » (2/12). Elles ont fait de l’océan leur objet d’étude, parfois même leur principale préoccupation. Physiciennes, chimistes, géologues ou biologistes, elles contribuent toutes à améliorer la connaissance du milieu marin. océans connectés part à leur rencontre à travers l’Hexagone.

Par Marion Durand.

Photo de couverture © Marion Durand

L’océan, Claire Gourcuff l’a toujours eu dans la peau. Petite, elle embarquait sur le voilier familial aux côtés de ses parents, amoureux du large et « écolos avant l’heure ». Dès l’adolescence et en âge de prendre les commandes, elle s’évade seule chaque été au départ du port de Douarnenez, dans le Finistère. Elle expérimente ensuite la glisse et dompte aisément les vagues de la presqu’île de Crozon. Depuis, l’amour de la mer ne l’a pas quitté.

À 42 ans, Claire Gourcuff est en charge de la coordination scientifique à Euro-Argo, le volet européen du programme international Argo, qui étudie l’état de locéan grâce à des flotteurs immergés disséminés à travers le monde.

L’océanographe a rejoint l’entité européenne, installée sur le site de lInstitut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), en 2016, deux ans après son lancement. C’est ici qu’elle nous reçoit, sous un ciel nuageux et dans le calme de la commune de Plouzané, près de Brest.

Dans cette cellule de sept personnes, Claire Gourcuff porte la casquette scientifique. Elle coordonne l’ensemble des activités de recherches des douze pays européens membres du programme.

Outre le suivi quotidien des 4 000 flotteurs actifs, l’océanographe participe au déploiement du nouveau programme OneArgo, dont l’ambition est de mettre en place un réseau constitué de sondes nouvelle génération. Deux types de flotteurs constituent ce réseau : les Deep-Argo, capables de plonger à 4 000 ou 6 000 mètres de profondeur, et les flotteurs BGC-Argo intégrant six paramètres supplémentaires de mesures biogéochimiques. « Les nouveaux flotteurs continuent de mesurer la salinité et la température de l’eau mais apporteront aussi des informations sur le pH ou la concentration en oxygène, détaille la spécialiste. Pour mener à bien ce projet, il faut adapter les centres de données,développer des procédures pour étudier ces nouvelles informations, former les experts ou trouver des financements. »

© Euro-Argo ERIC Office Team

« On va dans les classes avec un flotteur, c’est magique ! »

L’océan reste un milieu rempli de mystères pourtant, il joue un rôle primordial dans le climat de la terre. « Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. Le réchauffement climatique actuel nous prouve que nous devons en connaître davantage car la circulation générale des océans est étroitement reliée au climat terrestre, rappelle Claire Gourcuff. Contribuer à faire connaître cet élément qui fait partie de nos vies est passionnant ».

Depuis un an, elle intervient en milieux scolaires dans le cadre du programme éducatif Adopt a float de Culture océan, une initiative de l’Institut de la mer de Villefranche (IMEV) destinée à initier les jeunes aux océans. Chacune des classes adopte un flotteur Argo et lui donne un prénom. Les élèves le suivent dans ses déplacements à travers les mers et reçoivent en temps réel les observations collectées par l’engin. « Quand on va dans les classes avec ce robot, c’est magique !, glisse-t-elle avec émotion. Ils l’observent, peuvent le toucher, ils sont très intrigués. » L’échange est aussi l’occasion pour les intervenants d’aborder les recherches associées à ces sondes. « Pour les scientifiques que nous sommes, ces moments nous permettent d’avoir un lien avec la société. Lorsque l’on capte l’attention des enfants, on atteint aussi les parents ».

Depuis la rentrée dernière, Claire Gourcuff a rencontré les élèves de quatre classes de Guern, dans le Morbihan. En tant que porte-parole scientifique européenne du programme Argo auprès des instances mondiales, elle espère développer ces initiatives à l’échelle de l’Union. « L’océan est à la fois passionnant et fascinant pour beaucoup de monde. Ce programme permet de mettre en lumière notre travail mais c’est surtout un prétexte pour parler des océans et des problématiques climatiques comme les courants ou les marées », décrit cette passionnée de vulgarisation scientifique.

Claire Gourcuff © M .Durand

Ces rencontres sont aussi un moyen d’attirer les jeunes vers l’océanographie, « une filière souvent perçue comme trop compliquée ». Lors de ces études à Grenoble, Claire Gourcuff comptait parmi les rares jeunes filles suivant le cursus en mécanique des fluides. « On était cinq sur trente dans ma promo, se souvient-elle. Je pense que la mixité dépend aussi des nombreuses disciplines des sciences de la mer, les femmes se dirigent moins vers des spécialités liées aux maths et à la physique, elles sont plus présentes en océanographie expérimentale ».

La quadragénaire se dit aujourd’hui « chanceuse » d’avoir étudié et travaillé dans des milieux favorisant la mixité. « Je suis entrée dans ce métier avec de nombreuses figures de femmes fortes. » Mais en pratique, cette maman de deux petites filles reconnaît avoir des difficultés à trouver des océanographes féminines dans tous les domaines :« Quand j’organise des conférences, je fais très attention à proposer une certaine égalité dans les intervenants. Ce n’est pas toujours facile, il manque des femmes à des postes à hautes responsabilités. »

Diplomate et organisée

 L’océanographie n’était pas, pour Claire Gourcuff, une vocation. Voileuse dans l’âme et habituée à scruter l’horizon, elle s’est d’abord intéressée à la météo. Très tôt, elle apprend à distinguer les marées, à reconnaître un vent favorable ou les houles dangereuses. « Quand on part en mer, on se rend compte de l’immensité de l’océan. On est sur l’eau, au milieu de rien, c’est fascinant ».

Celle qui a passé « des heures dans le bureau de la conseillère d’orientation » se tourne vers un DEUG en mathématiques, option physique, à Brest avant de rejoindre l’Isère pour suivre une maîtrise en mécanique des fluides. « L’océanographie avait alors tout son sens », se souvient-elle.

Après deux années à Grenoble, elle retrouve sa région natale pour passer un DEA (l’équivalent du master). Pour sa thèse, elle choisit d’étudier la variabilité de la circulation du gyre (tourbillons marins) subpolaire de l’Atlantique Nord à partir des mesures satellitaires et des données collectées en mer.

Elle débute sa carrière au sein d’un projet qui donnera par la suite naissance au programme Euro-Argo. À l’époque, l’ingénieure de 24 ans décrypte les données livrées par les flotteurs. Près de 20 ans plus tard, Claire Gourcuff scrute toujours ces précieuses informations, mais plus en tant qu’exécutante. Elle co-dirige à présent l’équipe internationale de gestion des données Argo. Depuis un an, cette mission s’est ajoutée aux nombreuses tâches que l’océanographe réalise au quotidien : « Ce qui est passionnant dans ce métier, c’est qu’on est multitâches. Certaines missions sont interchangeables avec mes collègues ».

Peu habituée à parler de son parcours, Claire Gourcuff se prête au jeu pour « attirer les jeunes » vers un métier essentiel pour l’avenir. « En tant que coordinatrice scientifique d’un programme européen d’observation des océans, je dirais qu’il faut être assez diplomate, très organisée et parler anglais ». À bon entendeur !


À lire dans la même série : Carole Saout-Grit, l’océanographe indépendante en première ligne d’une révolution scientifique

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