[Vendée Globe 2024 – #5] – Ils y sont, les skippers du Vendée Globe, dans ces fameuses mers du sud ! Même en contournant habilement certaines dépressions, ils rencontrent des conditions de mer souvent dantesques et leurs nerfs sont mis à rude épreuve. Cet océan Austral qui encercle le continent antarctique est le plus redouté des marins, et pour cause. Il règne en maître de la circulation océanique mondiale et de la machine climatique.
Partenaire scientifique du Vendée Globe, océans connectés accompagne le parcours de cette édition 2024 d’éclairages scientifiques liés aux océans. Chaque semaine, nous mettrons ainsi en lumière les particularités océaniques traversées par les skippers et les faits marquants de l’engagement de certains d’entre eux pour la science.
Par Carole Saout-Grit
Photo de couverture : Antarctique vu depuis l’espace © NASA.
L’unique point de connexion entre les bassins océaniques majeurs du globe
Si l’hémisphère nord est majoritairement continental, l’hémisphère sud est principalement océanique avec 80% de sa surface maritime. Un seul continent, l’Antarctique couvre les régions du pôle Sud, et l’océan Austral l’entoure sans discontinuer.
Majestueux, immensément vaste, riche d’une biodiversité unique au monde, cet océan Austral concentre près d’un tiers de la surface océanique de la planète. Il s’étend latéralement d’ouest en est sur plus de 2000 kms tout autour du continent antarctique et ouvre sur les 3 plus grands bassins que sont l’Atlantique, l’Indien et le Pacifique. Il est l’unique point de connexion entre eux, ce qui en fait un élément clé dans la régulation du climat terrestre.
Il est soumis aux vents les plus violents que sont les 40e rugissants ou les 50e hurlants, activant le courant marin le plus puissant de la planète : le courant circumpolaire antarctique (ACC). Sous l’effet de ces vents intenses et des conditions climatiques très froides du pôle Sud, les propriétés en température et masse volumique de l’ACC sont relativement homogènes sur la verticale, ce qui fait qu’il s’étend jusqu’à 3000 mètres de profondeur. C’est un courant annulaire qui a la capacité de déplacer un volume de plus de 140 millions de m3 d’eau par seconde, ce qui représente l’équivalent de 140 fois tous les fleuves de la Terre réunis.
L’océan le plus important pour le climat
Les scientifiques connaissent bien l’Atlantique Nord comme le véritable moteur de la machine climatique. Les eaux chaudes de la dérive nord-atlantique, prolongation du Gulf Stream, disparaissent dans les grands fonds de l’Atlantique nord au niveau du gyre subpolaire, permettant la redistribution de la chaleur des tropiques vers les pôles et l’équilibre du climat.
Ce que les océanographes ne soupçonnaient pas, jusqu’il y a encore quelques décennies, c’est qu’un second moteur du climat existe… au pôle Sud ! Isolé et lointain, l’océan Austral a en effet été longtemps méconnu car peu exploré. Mais les millions de données récoltées ces deux dernières décennies sont venues peu à peu le documenter et le mettre à découvert dans toutes ses dimensions.
Tourbillons de l’Océan austral – carte produite par AVISO © CNES/CLS 2014
Cet océan aux eaux en partie glacées et soumis aux vents les plus violents s’avère être le carrefour des eaux de l’océan mondial, grâce notamment à sa géométrie annulaire. Autour de l’Antarctique, les eaux provenant de l’océan Indien, Pacifique mais surtout de l’Atlantique Nord sont littéralement brassées par l’ACC. C’est ce grand courant qui modifie et redistribue les masses d’eaux des trois bassins océaniques majeures du globe par les plus grandes profondeurs. C’est dans les mers de Ross, de Weddell et au large de la Terre-Adélie que se forme l’essentiel des eaux profondes les plus froides de la planète. Les eaux y sont englouties et tapissent peu à peu le fond des bassins Atlantique, Pacifique et Indien.
Circulation océanique globale. Source : Kuhlbrodt et al, 2007
Un océan sous haute surveillance
Trop loin des côtes, trop violent, trop vaste, l’océan Austral est longtemps resté absent des expéditions scientifiques jusqu’aux années 1990, quand climatologues et océanographes perçoivent l’importance de cet océan et décident de compléter leur connaissance des liens entre atmosphère et climat.
De très grandes avancées scientifiques deviennent possibles à la naissance du navire océanographique le Marion Dufresne, il y a 29 ans. C’est ensuite les programmes internationaux WOCE (1990-1997) puis SURVOSTRAL (depuis 1992) que les scientifiques obtiennent la première vision en 3D d’une circulation océanique mondiale articulée autour de l’océan Austral. C’est enfin le réseau Argo et les programmes dédiés à l’océan Austral – notamment BONUS-GOODHOPE en 2008- que les données révèlent une très forte variabilité spatiale et temporelle de cet océan immense.
Les résultats confirment aujourd’hui que près de trois-quarts de l’augmentation de la chaleur planétaire due au réchauffement climatique est absorbée dans l’océan Austral et injectée dans ses abysses. Ils montrent aussi que si le quart du carbone émis dans l’atmosphère par les activités humaines est absorbé par les océans mondiaux, la majorité l’est dans l’océan Austral.
Iceberg dans l’océan Austral @ Sabrina Speich – ENS Paris
L’océan Austral règne donc comme le maitre des courants marins et agit comme un moteur de la machine climatique, modérant en même temps le dérèglement climatique provoqué par les activités humaines. S’il nous rend service, il pâtit déjà beaucoup de cet excès de chaleur : sur le pourtour antarctique, les profondeurs océaniques se réchauffent plus rapidement qu’ailleurs ; les eaux s’acidifient, mettant en péril une partie de la biodiversité ; les étendues de banquise se dérèglent au fur et à mesure des saisons ; et la calotte polaire antarctique fond sous l’effet de ces eaux chaude, devenant instable et menaçant les régions côtières d’une montée des eaux inquiétante.
Il est aujourd’hui urgent de donner aux scientifiques les moyens de poursuivre les efforts de recherche et mieux comprendre cet océan si vaste et encore peu connu. Il est aussi essentiel de protéger cet océan austral pour préserver sa biodiversité et lui permettre de conserver ce rôle majeur dans l’équilibre du climat.