Les secrets de la formation et de l’évolution de la banquise en Antarctique

10/01/2024

7 minutes

Pour tout le monde

océans et climat

Une nouvelle étude menée par des chercheurs français du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) révèle quelques secrets sur la formation et l’évolution de la banquise en Antarctique . La dynamique de la banquise à l’échelle régionale semble influencer le climat mondial et affecter en retour les courants océaniques et atmosphériques. Mieux la comprendre est un élément essentiel pour saisir les changements climatiques et nous permettre de relever les défis environnementaux présents et futurs.

Par Laurie Henry

L’impact mondial de la dynamique de la banquise au fil des saisons

Commençons par rappeler que la banquise est une couche de glace flottante formée par le gel de l’eau de mer dans les régions polaires, et décryptons son évolution à travers les saisons. Logiquement, en hiver, le climat glacial de la région favorise la formation et l’expansion de la glace. Cette période de froid intense permet à l’eau de mer de geler, augmentant ainsi la superficie de la banquise. Cette expansion hivernale n’est pas un simple phénomène localisé, puisqu’elle a un impact significatif sur l’albédo, c’est-à-dire la capacité de la surface terrestre à réfléchir la lumière solaire. En résumé, plus la surface de glace est étendue, plus la lumière du soleil est réfléchie dans l’espace, ce qui contribue globalement à maintenir au plus bas les températures globales.

En revanche, durant les mois d’été, la situation s’inverse. Les températures plus élevées entraînent la fonte de la glace, réduisant ainsi la superficie de la banquise. Ce processus de fonte diminue l’albédo, entrainant une plus grande quantité de chaleur solaire absorbé par l’océan.

Cette dynamique saisonnière influence donc non seulement la température de l’eau mais aussi celle de l’air ambiant, affectant les courants marins et atmosphériques. A l’échelle mondiale, les modèles numériques de prévision du climat doivent donc tenir compte précisément des cycles saisonniers de la banquise antarctique et retranscrire au mieux les conditions de sa formation et de son évolution à l’échelle régionale pour parvenir à une représentation précise des mécanismes du changement climatique et leurs implications à long terme.

Une banquise fragmentée

La nature même de la banquise est en partie responsable de son évolution au fil des saisons. De fait, souvent perçue comme une étendue uniforme de glace, elle est en réalité un assemblage complexe de fragments de glace flottants. Ces fragments, appelés « floes », varient en taille, allant de petits morceaux à de vastes plaques pouvant atteindre plusieurs kilomètres de diamètre.

La manière dont ces floes interagissent entre eux est fondamentale pour comprendre la structure et la dynamique de la banquise. En effet, ils sont en mouvement constant, poussés et tirés par les courants océaniques, le vent, et les interactions avec d’autres morceaux de glace. Lorsque les conditions sont favorables, notamment en hiver lorsque la température baisse, ils peuvent s’agglomérer et former une couche de glace plus uniforme et continue.

La structure fragmentée de la banquise a également un impact sur l’écosystème local. Les espaces entre les floes offrent un habitat essentiel pour la faune marine, comme les phoques et les manchots, qui utilisent ces ouvertures pour respirer et accéder à la nourriture.

Des manchots Adélie se tiennent sur la banquise près d’un chenal dans la glace de mer à Cape Royds. Crédit Photo : Peter Rejcek, NSF (2013)

Mais si la composition et la structure fragmentée de la banquise sont au cœur des processus climatiques, écologiques et océanographiques mondiaux, quels sont les mécanismes précis responsables de sa formation ?

Deux facteurs déterminants pour la formation de la banquise

Une récente étude menée sur la banquise antarctique par Kenza Himmich et al., 2023 et des chercheurs du Laboratoire d’Océanographie et du Climat du CNRS met en lumière deux facteurs déterminants pour la formation de la banquise : le gel de l’eau de mer et la dérive des glaces.

Le premier élément, le gel de l’eau de mer, joue un rôle crucial dans la structure de la banquise. En effet, la soudure entre les floes en hiver, mentionnée précédemment, est facilitée par la présence de cette eau gelée, connue sous le nom de « glace de mer », qui agit comme un ciment naturel.

Le second facteur, la dérive des glaces, se réfère au mouvement des plaques de glace sous l’influence des courants océaniques et des vents. Cette dérive transporte la glace d’une région à une autre, modifiant la distribution et l’épaisseur de la banquise.

Dans certaines zones, comme les mers de Weddell et de Ross, la convergence des courants océaniques et des conditions atmosphériques favorables entraîne une accumulation de glace, provoquant une avancée précoce de la banquise. À l’inverse, à l’ouest de la péninsule Antarctique et dans la mer d’Amundsen, des conditions différentes, telles que des courants plus chauds ou des vents défavorables, peuvent retarder la formation de la glace.

Les régions de l’Antarctique. © NOAA / National Snow and Ice Data Center

De plus, pendant l’été, la structure « uniforme » de la banquise peut se fragmenter sous l’effet de la hausse des températures, des vagues, et des courants. Cette fragmentation bouscule la fonte de la banquise, augmente la surface d’exposition de la glace à l’air plus chaud et à l’eau, et accélére ainsi le processus de fonte. Cette séparation des floes crée également des canaux d’eau ouverts, appelés « polynies », qui facilitent les échanges de chaleur entre l’océan et l’atmosphère.

 

Les cartes montrent les dates d’avancée (da) et de retrait (dr) de la banquise, dérivées des mesures satellites. Elles indiquent aussi les pics saisonniers de température de surface de la mer (SSTmax) et de contenu en chaleur de la couche de mélange (MLHmax), basés sur des données satellites et in situ. © K. Himmich et al., 2023

Les auteurs soulignent enfin que la couche océanique où l’eau est uniformément mélangée (appelée couche de mélange)  joue un rôle crucial dans la formation de la banquise antarctique. En effet, pour que la formation de la glace de mer se produise, il est essentiel que la température de cette couche se rapproche du point de congélation de l’eau salée qui est d’environ -1,8°C (légèrement inférieur à celui de l’eau douce en raison de la salinité de l’eau de mer). Ce processus est influencé par la température de l’air, le rayonnement solaire et les courants marins, affectant la régulation thermique entre l’océan et l’atmosphère.

Les variations régionales dans l’avancée de la banquise sont essentielles pour comprendre les changements climatiques à l’échelle du continent antarctique. Leur découverte aidera les scientifiques à modéliser avec précision les tendances futures de la banquise et à prédire les impacts potentiels sur le climat mondial.

Source : Himmich, K., Vancoppenolle, M., Madec, G. et al. Drivers of Antarctic sea ice advance. Nat Commun 14, 6219 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-41962-8

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