L’influence insoupçonnée du zinc sur les écosystèmes marins et le climat dans l’Océan Austral

06/11/2024

10 minutes

océans et climat

Le zinc est un micronutriment essentiel pour la vie marine, notamment pour le phytoplancton dont il stimule la croissance en accélérant la photosynthèse. Cependant, les mécanismes qui régulent sa distribution et sa disponibilité dans l’océan restent largement méconnus. Dans l’océan Austral, une région cruciale pour les échanges biogéochimiques mondiaux, le zinc jouerait un rôle particulièrement important en lien avec le silicium et le phosphore, deux autres éléments clés pour la productivité marine.

Photo de couverture : L’équipage à bord de la SA Agulhas II se prépare à déployer des bouteilles de collecte d’eau de mer entre la surface et des profondeurs allant jusqu’à 4500 mètres dans l’océan Austral. © Ryan Cloete 

par Laurie Henry

Une étude récente publiée dans la revue Science par Duan et al., 2024 et des chercheurs des universités de Princeton,Stellenbosch et de l’Institut Max Planck, explore en détail la dynamique du zinc dans l’océan Austral. Les scientifiques mettent en lumière l’importance des transformations entre du zinc et révèlent des processus profonds qui influencent la capacité de l’océan Austral à capter le carbone et à soutenir les écosystèmes marins.

Le zinc, un micro-nutriment crucial pour la vie marine dans l’océan Austral

Avec le réchauffement climatique et la modification des écosystèmes océaniques, la compréhension du cycle des micronutriments comme le zinc devient essentielle pour évaluer les effets sur la productivité marine et le stockage du carbone.

Le zinc est un élément crucial pour le phytoplancton, et en particulier pour les diatomées qui en dépendent pour la photosynthèse et pour leur croissance. Ce phytoplancton est à la base de la chaîne alimentaire marine et contribue au captage du dioxyde de carbone atmosphérique, fixant ainsi du carbone dans l’océan. Cependant, le zinc est souvent limité et peu disponible dans les eaux de surface, car il est rapidement épuisé par le phytoplancton dans ces zones. Cette diminution du zinc biodisponible réduit la productivité primaire et compromet la capture du carbone par les océans, affectant son rôle de puits de carbone naturel.

L’océan Austral, en raison de ses vastes échanges de nutriments et de sa connectivité avec les courants océaniques mondiaux, joue un rôle clé dans cette dynamique biogéochimique. Le zinc y suit un cycle particulier, souvent associé au silicium car les diatomées ont également besoin de cet élément pour construire leurs frustules (squelettes de silice).

Mais contrairement au silicium, la distribution du zinc montre une certaine dissociation du phosphore dans cette région, ce qui suggère des processus distincts dans sa circulation. En effet, le phosphore est un élément-clé pour la croissance du phytoplancton, tout comme le zinc et le silicium. En milieu marin, on observe généralement une relation forte entre le zinc et le phosphore, car les deux sont nécessaires pour les processus biologiques des organismes marins. Les phytoplanctons utilisent le zinc pour leurs enzymes et le phosphore pour leurs processus énergétiques, comme la photosynthèse. Dans de nombreux océans, les concentrations de zinc et de phosphore sont donc souvent corrélées puisqu’ils sont simultanément absorbés et recyclés dans la colonne d’eau à travers les cycles biologiques.

Cependant, ce n’est pas le cas pour l’océan Austral…Pour mieux comprendre ces mécanismes, les chercheurs ont examiné les formes particulaires du zinc afin de décrypter leur influence sur la disponibilité du micro-nutriment dans les eaux profondes et les sédiments, impactant la productivité marine et le cycle global du carbone.

L’équipe se prépare à embarquer à bord du navire de recherche polaire sud-africain, le SA Agulhas II, pour l’expédition de 2019 en Antarctique. © Wiida Fourie-Basson

Le Dr Ryan Cloete, co-auteur principal de l’article et actuellement chercheur postdoctoral au Laboratoire des sciences environnementales marines (LEMAR) en France, explique : « L’étude de l’océan Austral est très importante, car il constitue un centre névralgique pour la circulation océanique mondiale. Les processus qui se déroulent dans l’océan Austral s’impriment sur les masses d’eau qui sont ensuite transportées vers les océans Atlantique, Indien et Pacifique ».

Une enquête scientifique poussée au cœur des cycles saisonniers du zinc

Pour analyser les processus de distribution chimique du zinc dans l’océan Austral, l’équipe de Duan a collecté des échantillons de particules de zinc dans plusieurs zones de l’Atlantique et de l’océan Indien, précisément au niveau du méridien zéro et aux alentours de 30°E. Les campagnes de prélèvement (3 expéditions depuis 2013) menées en été et en hiver ont permis de couvrir les différentes masses d’eaux du secteur étudié, et d’examiner les variations saisonnières.

Carte des échantillons. © J. Duan et al., 2024

Les échantillons ont été prélevés de la surface jusqu’à une profondeur de 500 mètres, avec quelques prélèvements dans les sédiments de surface. Une attention particulière a été apportée au protocole de collecte pour minimiser toute contamination, conformément aux standards GEOTRACES*. Les particules filtrées ont ensuite été conservées à -20°C jusqu’à leur analyse. La spécificité et la distribution du zinc dans ces particules ont été déterminées grâce à la spectroscopie XANES, une technique qui permet d’identifier les états chimiques et l’environnement moléculaire du zinc, notamment en fonction de la profondeur et de la géochimie locale des eaux.

Les analyses ont révélé que le zinc se divise en deux grands groupes : les particules biogéniques, provenant principalement de la dégradation du phytoplancton, et les particules lithogéniques, d’origine minérale. Grâce à la précision de la spectroscopie XANES, l’équipe a pu identifier des formes spécifiques de zinc, comme le zinc lié à des phosphoryles dans les particules biogéniques, un indicateur de son association avec le phytoplancton. D’autres formes, comme le zinc associé aux oxydes de fer et de manganèse, ont été observées dans les particules lithogéniques, soulignant leur caractère réfractaire et signe que les particules résistent à la dégradation, permettant ainsi une accumulation profonde et durable du zinc dans les sédiments.

Le rôle essentiel du zinc en profondeur

Cette approche méthodologique a permis de cartographier précisément la répartition des différentes spéciations de zinc dans la colonne d’eau et d’identifier les mécanismes de transport du zinc dans les profondeurs océaniques.

Les résultats de l’étude de Duan et ses collègues révèlent des différences marquées dans la composition des particules de zinc selon la saison et la profondeur de la colonne d’eau. En été, la production biologique augmente dans les eaux de surface. Le phytoplancton se multiplie, entraînant une concentration de zinc principalement dans des particules biogéniques. Dans cette région, les chercheurs ont observé que le zinc se lie plutôt au silicium (Si) en raison de l’abondance de diatomées, ce qui crée une association entre Zn et Si plutôt qu’avec le phosphore. Lorsque le phytoplancton meurt ou se dégrade, ses cellules libèrent des éléments nutritifs, dont le zinc lié aux phosphoryles, molécules organiques dans les cellules de phytoplancton. Ce zinc retourne alors sous une forme dissoute dans la colonne d’eau, rendant cet élément disponible pour d’autres organismes marins.

En hiver, avec la baisse de la productivité biologique et la raréfaction du phytoplancton en surface, le zinc associé à des particules biogéniques diminue, tandis que les particules lithogéniques, comme les oxydes de fer, prennent le relais pour capturer le zinc dans les eaux profondes. Le Dr Cloete explique : « En raison des mauvaises conditions de croissance en hiver, les particules de Zn sont littéralement « récupérées » par des solides inorganiques tels que la silice, abondamment disponible sous forme de diatomées, ainsi que par des oxydes de fer et d’aluminium. Les diatomées sont des microalgues, des organismes unicellulaires dont le squelette est fait de silice, ce qui explique la forte association entre le Zn et la silice dans les océans ».

Dynamique du Zinc particulaire (pZn) dans l’océan austral. Le panneau de gauche montre les profils de concentration de pZn et dZn (dissous) dans la colonne d’eau. Le panneau central illustre le flux et la composition de pZn, avec un zoom sur les processus internes de cycle du zinc à droite. Les lignes pointillées séparent les océans de surface et profonds. Les flèches colorées indiquent les sources (dépôts atmosphériques, panaches hydrothermaux) et puits (sédimentation) de pZn, ainsi que les processus internes (absorption biologique, reminéralisation, etc.) qui modifient le flux de zinc entre les réservoirs dissous et particulaires. © J. Duan et al., 2024

Ce zinc lithogénique est moins accessible pour les organismes de surface, notamment pour le phytoplancton, essentiel pour la chaîne alimentaire et la séquestration du carbone océanique. De plus cela accentue la dissociation avec le cycle du phosphore. En sédimentant, les phases lithogéniques de zinc forment un réservoir qui échappe au cycle biologique de surface. Cela entraine un mécanisme de séquestration à long terme dans les sédiments, qui impacte potentiellement les futurs cycles océaniques et climatiques. Cette dynamique particulière influence l’équilibre des nutriments et explique la forte corrélation entre le zinc et le silicium dans l’océan Austral, tandis que la décorrélation avec le phosphore persiste, un phénomène peu observé ailleurs.

Conséquences sur le dérèglement climatique

La compréhension approfondie du cycle global du zinc dans les océans apporte des perspectives cruciales face au dérèglement climatique, souligne Alakendra Roychoudhury, spécialiste en biogéochimie environnementale et marine à l’université de Stellenbosch. « Un climat plus chaud intensifie l’érosion des sols, augmentant ainsi la quantité de poussière atmosphérique qui se dépose dans les océans. Cette augmentation favorise l’apport de particules de zinc sous forme de poussière, mais réduit la disponibilité du zinc biodisponible pour le phytoplancton et d’autres organismes marins essentiels ».

De plus, cette nouvelle méthodologie d’étude du cycle océanique du zinc permet désormais de cibler d’autres micronutriments clés. Les répartitions du cuivre, du cadmium et du cobalt, pourraient aussi être modifiées par les effets du changement climatique.

Ces découvertes réaffirment l’impact global de l’océan Austral dans la régulation du climat et le maintien de la chaîne alimentaire marine. « Le système terrestre est structuré autour de processus physiques, chimiques et biologiques interconnectés, qui créent des boucles de rétroaction autorégulatrices. Nos résultats montrent bien ce couplage, où des processus biochimiques au niveau moléculaire influencent des phénomènes globaux, comme le réchauffement climatique », conclut Roychoudhury.

*G. Cutter et al., Sampling and sample-handling protocols for GEOTRACES cruises. OceanBestPractices (2017); https:// doi.org/10.25607/OBP-2


Source : J. Duan et al., “Biogenic-to-lithogenic handoff of particulate Zn affects the Zn cycle in the Southern Ocean”, Science Adviser, 2024

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