L’acoustique sous-marine, outil essentiel de surveillance de la santé des océans

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Pour les initiés

océans et technologies

Par Laurie Henry

Il y a environ 3,5 milliards d’années, dans un océan dépourvu d’oxygène, apparaissait le plancton. On reconnait alors volontiers que celui-ci est à l’origine de toute vie sur Terre et un moteur important de la pompe à carbone. Ces organismes utilisent les courants locaux pour effectuer leur migration quotidienne de la surface vers les profondeurs, et vice-versa. Comprendre le déplacement de l’eau dans cette colonne verticale fournit des informations cruciales sur le vie sous-marine et l’état de cet écosystème fragile.

Chaque jour, des milliards et des milliards d’animaux, principalement du zooplancton ainsi que des poissons, crevettes et méduses, migrent de haut en bas, et inversement, dans l’océan partout sur la planète. C’est la migration verticale quotidienne.

Cette migration soutient tout l’écosystème océanique et assure le bon fonctionnement de la pompe à carbone organique. Elle limite la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère et participe à la régulation du climat. En effet, à la surface de l’océan vit le phytoplancton. Ce sont des algues microscopiques qui utilisent l’énergie du soleil pour effectuer la photosynthèse, transformant le CO2 en oxygène. Elles produisent plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons !

Le carbone fixé par ces organismes permet de nourrir les animaux marins de la chaîne alimentaire associée. Les particules (pelotes fécales, cellules mortes, détritus) migrent ensuite vers le fond, au gré des courants. Une petite partie sera stockée dans les sédiments pour des millénaires, une autre retournera enrichir les eaux de surface sous forme de nutriments.

Comprendre la dynamique de l’eau de manière verticale est donc essentielle dans le contexte de la crise climatique afin d’estimer l’état de santé de nos océans. Car si ces migrations sont perturbées, toute la chaîne alimentaire, sur laquelle nous comptons notamment pour nous nourrir, sera brisée.

Comment étudier les courants marins locaux de manière verticale ?

Pour mesurer les courants verticaux et mettre en évidence la migration quotidienne, des profileurs de courant Doppler acoustique basse fréquence (ADCP pour Acoustic Doppler Current Profiler) sont nécessaires. Comme leur nom l’indique, ils sont basés sur l’effet Doppler, comme les radars pour les voitures.

Ils transmettent des impulsions sonores dans différentes directions, qui ricochent sur les particules en suspension dans l’eau en mouvement et sont renvoyées vers l’instrument. Les particules se déplaçant vers l’instrument renvoient des ondes avec une fréquence (ou hauteur) plus élevée, tandis que les particules qui s’éloignent produisent un retour de fréquence plus basse.

Étant donné que les particules se déplacent à la même vitesse que l’eau qui les transporte, la différence de fréquence entre les ondes sonores que le profileur envoie et les ondes sonores qu’il reçoit est utilisée pour calculer la vitesse à laquelle la particule et l’eau qui l’entoure se déplacent.

Le profileur peut être fixé sur une bouée d’amarrage, directement sur le fond marin, ou tracté par des navires ou des véhicules sous-marins et de surface sans pilote. Sur les grands navires de recherche, l’ADCP est monté en permanence sur le fond de la coque extérieure.

Les ADCP comportent généralement 4 faisceaux orientés à 30° par rapport à la verticale, deux vers l’avant (un sur bâbord et un sur tribord) et deux vers l’arrière (un sur bâbord et un sur tribord).

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Schéma des quatre faisceaux d’un ADCP installé sur la coque d’un navire. © Flotte océanographique française /  source : Ifremer

Et après, comment interpréter les données ?

Le profileur inclut un compas mesurant son orientation par rapport au champs magnétique afin de convertir le signal de retour reçu par l’ADCP en coordonnées « ordinaires », soit nord-sud, est-ouest et haut-bas. Étant donné que le son émis s’étend à travers la colonne d’eau, l’ADCP mesure simultanément le courant à plusieurs profondeurs différentes.

Il est nécessaire de connaître la vitesse, les mouvements de roulis et tangage ainsi que le cap du navire ou du véhicule transportant l’appareil, via le GPS. De cette façon, il est possible de déterminer la vitesse et la direction des différents courants qui existent de la surface de l’océan vers le fond. Le traçage de la vitesse et de la direction calculées en fonction de la profondeur donne un profil de courant d’eau.

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Exemple d’un profil de courant. Panneau supérieur : vitesses horizontales dans la direction est-ouest. Panneau du milieu : vitesses horizontales dans la direction nord-sud. Panneau inférieur : vitesses verticales dans la direction nord-ouest. L’axe vertical est la profondeur en mètres. © Office of Ocean Exploration and Research de la NOAA, Discovering the Deep: Exploring Remote Pacific MPAs.

Par exemple à partir du profil de courant ci-dessus, les chercheurs déduisent trois informations principales. (1) Dans les 12 premières heures des données, le flux de surface (100 mètres) va dans la direction opposée à l’eau située en dessous. (2) Une transition nette d’un écoulement vers le sud-ouest à un écoulement vers le nord-est à environ 02:00 dans l’eau en dessous de 200 mètres n’est pas du tout visible à la surface. (3) Le troisième panneau montre le reflet rouge vif du fond de l’océan, mais montre également des couches de diffusion persistantes à environ 400 mètres et 600 mètres et la migration diurne du zooplancton.

Dans un article récent de l’Université Aix-Marseille (C. Comby et al., 2022), Caroline Comby et ses collègues présentent une méthode améliorée simple et directe de mesure in situ de ces vitesses verticales, en comparant différents modèles de profileurs (4 ou 5 faisceaux) et de mode d’utilisation (chute libre ou tracté par un navire, ou sur une bouée d’amarrage). Les chercheurs estiment alors que le profileur à 5 faisceaux possède une meilleure précision que les ADCP conventionnels, tout comme la technique de chute libre.

Ainsi, la mesure des courants est une pratique fondamentale en océanographie car elle nous révèle comment les organismes, les nutriments et d’autres constituants biologiques et chimiques sont transportés dans l’océan et sont impactés par la crise climatique.

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