La pollution plastique atteint un niveau critique dans le Pacifique

25/02/2025

7 minutes

océans et société

Depuis sept ans, la concentration de fragments plastiques dans le vortex de déchets du Pacifique Nord a été multipliée par cinq. Cette pollution ne provient pas uniquement de la dégradation des déchets déjà présents, il résulte aussi d’un apport extérieur massif. Décryptage d’un phénomène aux conséquences écologiques majeures et des méthodes employées pour le mesurer.

Par Laurie HENRY

Le vortex de déchets du Pacifique Nord (GPGP) est la plus grande des cinq zones d’accumulation de déchets plastiques sur tous les océans du globe. Il se forme au cœur du gyre subtropical du Pacifique Nord, une gigantesque boucle océanique créée par la rotation de la Terre et les vents dominants. Ce phénomène de vortex, présent dans chaque océan, piège les déchets plastiques dans un mouvement circulaire, les empêchant de se disperser. Outre le GPGP, d’autres gyres similaires existent dans l’Atlantique Nord et Sud, le Pacifique Sud et l’océan Indien, chacun abritant un vortex de déchets. Ces zones retiennent les plastiques pendant des décennies, favorisant une pollution persistante et menaçant gravement la biodiversité marine.

Une pollution en forte augmentation

Une étude, publiée en novembre 2024 dans Environmental Research Letters et menée par Laurent Lebreton et ses collègues de The Ocean Cleanup, a permis de quantifier l’évolution de la pollution plastique dans le vortex de déchets du Pacifique Nord, entre 2015 et 2022.

L’analyse a révélé une augmentation drastique de la concentration de fragments plastiques flottants. En seulement sept ans, la masse totale de ces fragments est passée de 2,9 kg à 14,2 kg par km², soit une multiplication par près de cinq. La concentration de microplastiques (0,5 à 5 mm) a connu une hausse spectaculaire, passant de 960 000 à 1,5 million de particules par km², tandis que celle des mesoplastiques (5 à 50 mm) a bondi de 34 000 à 235 000 particules par km².

Carte montrant les efforts de surveillance dans le GPGP de 2015 à 2022. © L. Lebreton et al., 2024

Dans certaines zones les plus touchées, la situation est encore plus alarmante. En 2015, les chercheurs avaient identifié des concentrations de petites particules atteignant 1 million d’éléments par km² dans les pires zones d’accumulation. Sept ans plus tard, ces chiffres ont été multipliés par dix, dépassant 10 millions de particules par km². Une telle progression témoigne d’une dynamique d’accumulation rapide et incontrôlée, rendant la pollution plastique de plus en plus difficile à gérer.

Une combinaison d’observations et de modèles numériques

Pour parvenir à ces résultats, l’équipe de The Ocean Cleanup a combiné des observations directes en mer et des modélisations mathématiques. Entre 2015 et 2022, les scientifiques ont organisé cinquante expéditions à travers la zone d’accumulation du GPGP. Lors de ces campagnes, ils ont utilisé différents outils pour échantillonner les plastiques de toutes tailles : des filets Manta trawl pour capturer les microplastiques et mesoplastiques, des filets Mega trawl pour les déchets plus volumineux, ainsi que des survols aériens permettant de détecter les mégaplastiques à grande échelle. Les dispositifs de nettoyage de The Ocean Cleanup ont également été utilisés pour extraire et examiner les déchets récupérés dans certaines zones précises du gyre.

L’ensemble de ces données a ensuite été exploité à l’aide d’un modèle de bilan de masse visant à comprendre l’origine de cette pollution. Ce modèle a permis d’évaluer si la fragmentation des déchets déjà présents pouvait expliquer à elle seule la hausse observée, ou si d’autres sources de pollution étaient en cause. Les chercheurs ont ainsi intégré des paramètres tels que la vitesse de dégradation des plastiques en mer, estimée entre 1 % et 3 % par an sous l’effet des rayons UV et des courants marins, ainsi que la quantité de nouveaux déchets entrant dans la zone.

Les résultats sont sans appel : la majorité des fragments retrouvés en 2022 ne provient pas de la dégradation des plastiques déjà présents, mais bien d’apports extérieurs. Selon les estimations des chercheurs, entre 74 % et 96 % de ces microplastiques proviennent de déchets transportés par les courants océaniques, après avoir été rejetés dans l’environnement depuis des rivières et des côtes situées parfois à des milliers de kilomètres du GPGP.

Des conséquences écologiques préoccupantes

Cette explosion du nombre de fragments plastiques entraîne des impacts considérables sur les écosystèmes marins. La faune océanique est la première touchée. Plus de 900 espèces sont désormais affectées par la pollution plastique, dont une centaine classée en danger d’extinction. Les oiseaux marins, les poissons et les tortues ingèrent ces microplastiques en les confondant avec du plancton, ce qui perturbe leur digestion et leur métabolisme. À long terme, cette ingestion peut provoquer des effets toxiques graves et affaiblir certaines populations animales déjà fragilisées.

Évolution des concentrations de microplastiques flottants (0,5–5 mm) dans les zones les plus polluées du GPGP entre 2015 et 2022. Le symbole ∗ marque une variation significative par rapport à 2015. © L. Lebreton et al., 2024

Au-delà des impacts directs sur la faune, cette pollution modifie en profondeur les écosystèmes océaniques. Des espèces opportunistes, transportées par les déchets flottants, colonisent de nouvelles zones et entrent en compétition avec les espèces endémiques du Pacifique. Cette redistribution forcée de la biodiversité pourrait déséquilibrer certaines chaînes alimentaires et altérer la structure des écosystèmes locaux.

Cette pollution pourrait également perturber le cycle du carbone. Le zooplancton, qui joue un rôle clé dans l’absorption du dioxyde de carbone atmosphérique, voit son activité de broutage entravée par la présence massive de plastiques en suspension. Cette interaction pourrait avoir des répercussions sur la capacité des océans à réguler le climat, rendant encore plus pressante la nécessité d’une intervention rapide.

Laurent Lebreton, auteur principal de l’étude, alerte : « L’augmentation exponentielle des fragments plastiques est une conséquence directe de décennies de mauvaise gestion des déchets. Ce phénomène cause des dommages dont nous commençons à peine à saisir l’ampleur ».

Un problème mondial nécessitant une action d’urgence

Face à cette crise écologique grandissante, les chercheurs appellent à une action coordonnée à l’échelle internationale. La priorité reste de limiter la production et l’usage des plastiques à usage unique, tout en améliorant les infrastructures de gestion des déchets pour éviter leur fuite dans l’environnement. En parallèle, l’interception des déchets plastiques dans les rivières représente une stratégie efficace pour empêcher leur arrivée dans les océans, comme le démontrent les initiatives de The Ocean Cleanup.

Mais les efforts ne doivent pas se limiter à la prévention. Le nettoyage des zones d’accumulation reste essentiel pour limiter la fragmentation des déchets déjà présents et réduire leurs effets sur les écosystèmes marins. À ce titre, les opérations de collecte en mer doivent être intensifiées et soutenues sur le long terme.

L’étude souligne que sans intervention rapide, la concentration de fragments plastiques dans le GPGP continuera d’augmenter, rendant leur élimination de plus en plus complexe. Laurent Lebreton conclut : « Nos résultats doivent être un signal d’alarme pour accélérer la mise en place d’un traité mondial contre la pollution plastique ». Ce traité contraignant, actuellement en discussion aux Nations Unies, pourrait marquer un tournant décisif dans cette lutte. L’urgence est réelle : les décisions prises aujourd’hui détermineront l’état des océans pour les décennies à venir.


Source : L. Lebreton et al., “Seven years into the North Pacific Garbage Patch: legacy plastic fragments rising disproportionally faster than larger floating objects”, Environmental Research Letters (2024). 

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