La fragilité de la Méditerranée face au changement climatique mise en évidence par les vagues de chaleurs

7 minutes

océans et climat

changement climatiquecanicules marinesméditerranée

Par Laurie Henry

En Méditerranée, les écosystèmes marins et l’économie basée sur la mer sont partagés entre de nombreux pays, la mettant au centre d’enjeux géopolitiques et économiques importants. Mais c’est aussi en Europe la mer le plus touchée par les vagues de chaleurs marines provoquant des événements de mortalité massive chez de nombreuses espèces marines et des pertes critiques pour les industries. Définir et comprendre les impacts de ces événement dramatiques est un enjeu crucial pour l’adaptation des régions et leur résilience face au changement climatique, mais aussi une base sur laquelle appuyer des plans d’actions afin d’en limiter les conséquences.

Une situation sensible face au changement climatique

Les vagues de chaleur marines (MHW) sont des augmentations extrêmes de la température de l’océan pendant une période prolongée, et pouvant se produire à différents endroits de l’océan. Leur ampleur et leur fréquence ont augmenté au cours des deux dernières décennies, avec des effets néfastes sur les écosystèmes, les industries marines et les activités humaines.

En Europe, la mer Méditerranée est la plus touchée par les vagues de chaleur marines car la région a connu un réchauffement important au cours des dernières décennies. Un réchauffement tel que ces vagues de chaleur devrait devenir plus intenses, plus longues et plus fréquentes d’après les prévisions du GIEC*.

Malgré sa taille relativement petite, la mer Méditerranée abrite plus de 17 000 espèces marines (entre 4 et 18% des espèces marines mondiales), dont 20 à 30% sont endémiques, faisant de la mer Méditerranée l’un des principaux réservoirs de biodiversité marine.

Cette mer régionale est aussi le siège d’importants enjeux géopolitiques et économiques, entourée de vingt et un pays souverains de trois continents qui partagent des écosystèmes marins et une économie basée sur les ressources naturelles.

En raison de sa situation géographique, de sa taille limitée et de sa nature semi-fermée, la mer Méditerranée est donc très sensible et réagit rapidement aux influences anthropiques comme la surexploitation, la pollution, l’urbanisation croissante, la croissance démographique et le changement climatique. Toutes exercent une pression exceptionnelle sur l’environnement, les écosystèmes, les services et les ressources.

Un bilan international nécessaire

C’est pourquoi une récente étude (H. Dayan et al., 2023) propose de mieux comprendre dans quelle mesure les eaux de la zone économique exclusive (ZEE) de chaque pays méditerranéen peuvent être affectées par les changements entrainés par ces MHW, afin de contribuer à l’aide à la décision pour la gestion et l’adaptation à l’échelle nationale.

La volonté de découper la Méditerranée selon les ZEEs est motivée par le fait qu’il est difficile de traiter de la complexité géographique, politique et biologique à l’échelle d’un grand bassin comme la Méditerranée. En effet, une grande variété d’utilisateurs sont impliqués, tels que les gestionnaires des écosystèmes marins, les organisations de pêche, les gestionnaires d’aires marines protégées (AMP) et les fermes aquacoles. Tenant compte de cet enjeu très complexe et pour aider à contextualiser les futures études d’impacts écologiques et économiques, les auteurs de l’étude propose de dépasser la limite fixée par la complexité d’une approche biologique, en explorant une approche à l’échelle nationale.

De plus, pour mieux comprendre à quel point cette mer territoriale et les eaux adjacentes de chaque pays méditerranéen peuvent être affectées par ces changements, l’étude évalue la variabilité des vagues de chaleurs en surface, mais aussi aux plus grandes profondeurs, et ce sur la période 1987-2019 dans l’ensemble des ZEEs de la mer Méditerranée. Car comme le rappelle les auteurs, « les espèces endémiques peuvent être plus touchées bien en-deçà de la surface ».

Des différences flagrantes entre la surface et les profondeurs

La variabilité des vagues de chaleurs est évaluée en combinant des observations satellitaires à haute résolution (SST_MED_SST_L4_REP_OBSERVATIONS_010_021, délivrée par le Copernicus Marine Service, notée REP) et une réanalyse régionale haute résolution, 4D, multi-décennale de la mer Méditerranée (MED_MULTIYEAR_PHYS_006_004, délivrée également par le Copernicus Marine Service, notée MEDREA) grâce aux températures de surface (SST) et des températures plus en profondeur (OHC – Ocean Heat Content). Ce dernier paramètre correspond à la quantité de chaleur absorbée et stockée par l’océan, évaluée en termes d’énergie thermique.

caracteristique-mwh

Tendances sur la période 1987-2019 des SST (en °C/an) de REP (A) et MEDREA (B), et des OHC pour les profondeurs de [0-20 m] (C), [0-40 m] (D) et [0-100 m] (E) de MEDREA (en GJ/m²/an). © H. Dayan et al., 2023

Dans l’ensemble, les résultats montrent de forts gradients nord-sud et est-ouest dans les caractéristiques des MHW à la surface et en profondeur. Les auteurs ont clairement pu déceler une signature des vagues de chaleur plus en profondeur, associée à une forte variabilité spatiale. En effet, il existe à la fois des différences à l’échelle du bassin et à l’échelle de la ZEE entre les caractéristiques des événements de surface et profonds.

Plus précisément, la durée des MHW est plus longue en profondeur qu’à la surface dans toutes les ZEE, mais leurs intensités diminuent avec la profondeur, tandis que leurs augmentations dans le temps sont plus disparates dans tout le bassin.

Pour le futur, des estimations sur-mesure

Comme l’écrivent les auteurs, dans l’ensemble, les résultats soulignent la nécessité de renforcer les systèmes d’observation de surface et de subsurface dans la plupart des eaux nationales afin de mieux établir des évaluations des risques à l’échelle locale, et de répondre aux divers besoins des parties prenantes.

La forte variabilité spatiale de la réponse de l’océan au réchauffement climatique et aux événements extrêmes en Méditerranée nécessite de subdiviser davantage les plus grandes ZEE pour la pertinence scientifique. La régionalisation des MHW méditerranéens au niveau de la ZEE fournit un outil aux pays pour établir des seuils d’alerte et des évaluations des risques, non seulement pour la ZEE mais aussi à des niveaux régionaux ou locaux plus petits, afin de les aider à s’adapter au changement climatique.

Source : Dayan H, McAdam R, Juza M, Masina S and Speich S (2023) Marine heat waves in the Mediterranean Sea: An assessment from the surface to the subsurface to meet national needs. Front. Mar. Sci. 10:1045138. doi: 10.3389/fmars.2023.1045138

 

* IPCC (2022). Climate change 2022 : Impacts, adaptation and vulnerability contribution of working group II to the sixth assessment report of the intergovernmental panel on climate change. Eds. Pörtner H.-O., Roberts D. C., Tignor M., Poloczanska E. S., Mintenbeck K., Alegría A., Craig M., Langsdorf S., Löschke S., Möller V., Okem A., Rama B. (Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA: Cambridge University Press), 3056. doi: 10.1017/9781009325844

ces articles pourraient vous intéresser... Tout voir