D’étranges virus proches de l’herpès prolifèrent dans nos océans

12/05/2023

6 minutes

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océans et climat

Les scientifiques de l’expédition TARA continuent d’analyser les échantillons collectés pendant leurs expéditions, avec l’objectif de répertorier plus largement la biodiversité planctonique. Des virus inédits viennent d’être découverts, infectant le plancton dans le monde entier. Leurs liens étranges avec des virus géants ou celui, plus connu, responsable de l’herpès pourraient permettre de mieux comprendre l’origine de cette infection virale.

par Laurie Henry

 

Des virus océaniques inédits

Les données obtenues sur près de 35000 échantillons d’eau collectés dans le monde entier pendant leurs expéditions menées entre les années 2009 et 2013, ont été analysées par les membres de l’équipe de recherche de TARA OCEAN.

Ce travail a révélé un nouveau groupe de virus à ADN, ayant la forme du virus de l’herpès. Ces virus infectent les eucaryotes (organismes avec des cellules pourvues d’un noyau contenant le matériel génétique) mais ils partagent une enzyme clé avec des virus géants (virus de très grande taille, jusqu’à 2 µm de longueur). Les scientifiques ont nommé ce groupe mirusvirus, du mot latin mirus qui signifie surprenant ou étrange.

Les virus sont définis comme des agents infectieux. Ils ne peuvent se multiplier que lorsqu’ils infectent un hôte. Ils sont trouvés dans un large éventail d’environnements, mais ceux du milieu océanique restent particulièrement peu étudiés.

Tom Delmont, expert en écologie microbienne au CNRS et co-auteur de ces récents travaux publiés dans la revue Nature, explique dans un communiqué :

 « En 2018, notre équipe de recherche a observé un signal évolutif inhabituel dans le tsunami de données de séquençage de Tara Océans. Le suivi de ce signal nous a permis de découvrir, puis de caractériser un groupe majeur de virus à ADN : les mirusvirus. La publication de cette découverte dans le journal Nature est le début d’une nouvelle aventure car elle donne les clés à la communauté scientifique pour détecter et étudier les mirusvirus dans de nombreux écosystèmes ».

Une répartition mondiale au sein du plancton océanique

Les mirusvirus océaniques semblent parmi les virus eucaryotes les plus abondants présents dans les 200 premiers mètres de l’océan. Ils abondent partout dans le monde, de l’équateur jusqu’aux pôles. Les scientifiques de TARA OCEAN ont identifié sept familles différentes de mirusvirus, répartis sur la planète. Trois d’entre eux ont été trouvés exclusivement dans l’océan Arctique, tandis qu’un seul était spécifique aux eaux tempérées.

Complexes et aux génomes (ensemble de tout le matériel génétique d’un être vivant) étonnants, ces mirusvirus semblent affecter un grand nombre de cellules planctoniques et jouer un rôle clé dans l’écosystème marin. Les écosystèmes planctoniques contiennent en effet un réservoir de vie phénoménal : on estime que plus de 10 milliards d’organismes habitent chaque litre d’eau. C’est pour cela que les scientifiques considèrent l’importance du plancton océanique pour le climat terrestre au moins équivalente à celle de la forêt tropicale, même si seulement une toute petite fraction des organismes qui composent ce plancton océanique est pour le moment classée de façon certaine.

Des virus essentiels à la santé des océans et à la santé humaine

Pour les auteurs de l’étude, ces virus seraient une partie vitale du plancton et de l’environnement de surface océanique, à l’image de notre flore intestinale. En envahissant les cellules du plancton, les mirusvirus aident à réguler l’activité des micro-organismes, et donc le flux de carbone et de nutriments à travers l’océan. Concrètement, les virus détruisent les cellules en restituant des nutriments à l’écosystème, ce qui favorise le renouvellement de l’activité du plancton. Ce dernier aide à absorber et fixer le carbone dissous dans l’eau de surface, via notamment la photosynthèse (fabrication de matière organique à partir de matière minérale,dont le carbone, et d’énergie lumineuse).

 

Les Mirusvirus régulent l’activité du plancton et contribuent à la santé des écosystèmes marins. ©Shutterstock

Tom Delmont explique : « Les virus sont un composant très naturel du plancton à la surface de l’océan. Ils vont détruire de très nombreuses cellules chaque jour et cela va libérer des nutriments, des particules à l’intérieur des cellules qui vont être utilisées par d’autres cellules pour être actives et en bonne santé ».

Ces recherches ont montré que tous les gènes clés des virus, formant leur particule virale (c’est-à-dire la particule infectieuse du virus formée de son matériel génétique et de protéines) et définissant la carte d’identité des virus à ADN, ont un lien évolutif direct avec les virus de l’herpès. Ils peuvent donc être la clé pour résoudre l’origine énigmatique de ces virus chez l’Homme en particulier.

Vers une origine planctonique de l’herpès ?

Le virus de l’herpès est responsable d’infections graves, pouvant provoquer des cloques ou des ulcères douloureux. Traitable mais non guérissable, il se propage principalement par contact de peau à peau et touche plus de 3,7 milliards de personnes à travers le monde.

La découverte des mirusvirus suggère que les ancêtres des virus de l’herpès infectaient autrefois des organismes unicellulaires marins. Tom Delmont ajoute : « Cela signifie qu’il existe une histoire évolutive partagée entre l’herpès qui n’infecte que les animaux, et les mirusvirus qui sont partout dans l’océan où ils infectent les organismes unicellulaires. Tout cela indique une origine planctonique de l’herpès ».

Malgré le lien évident avec les virus de l’herpès, la majorité des gènes des mirusvirus, y compris ceux impliqués dans la réplication du génome viral, sont semblables à ceux des virus géants. Ce « chimérisme » évolutif des mirusvirus, c’est-à-dire la cohabitation de différents matériel génétique au sein du même organisme, comme expliqué par les auteurs, est unique et pourrait nous renseigner sur l’évolution des virus à ADN, comme la variole ou l’hépatite B.

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