Des traces de dix produits pharmaceutiques courants détectées dans les coraux de la mer Rouge

11/12/2024

8 minutes

océans et société

Certaines substances médicamenteuses que nous utilisons quotidiennement menacent désormais des écosystèmes marins pourtant isolés. Une étude scientifique menée dans le Golfe d’Eilat, en mer Rouge, dévoile la présence inattendue de résidus chimiques dans les coraux et  révèle une pollution insidieuse. Ces découvertes soulèvent de nombreuses questions sur l’impact environnemental des activités humaines et la vulnérabilité des récifs coralliens face à ces contaminations.

par Laurie Henry

Photo de couverture : Des coraux de type Coraux Acropora sp. poussent sur des substrats artificiels en Mer Rouge. © Noa Shenkar

Souvent invisible, la pollution marine constitue une menace majeure pour les écosystèmes océaniques et leur biodiversité. Parmi eux, les récifs coralliens abritent un quart des espèces marines et soutiennent des millions de personnes vivant de la pêche et du tourisme. Ces habitats subissent des pressions croissantes provenant du changement climatique et des pollutions chimiques. Une étude menée par l’Université de Tel-Aviv et le Musée Steinhardt d’Histoire Naturelle, publiée dans Environmental Pollution, révèle une nouvelle forme de contamination aux résidus médicamenteux  dans les récifs du Golfe d’Eilat. Cette pollution, provenant des activités humaines, menace non seulement les coraux mais aussi l’équilibre écologique qu’ils maintiennent. Un enjeu critique pour la préservation des océans.

Une contamination inédite dans les fonds marins

Dans les eaux du Golfe d’Eilat, les chercheurs ont découvert la présence de pas moins de dix substances pharmaceutiques dans les tissus de coraux de récifs. Ces échantillons, prélevés sur 96 coraux des genres Acropora et Favites, ont montré une contamination généralisée, avec des médicaments appartenant à des catégories variées : antibiotiques, antihypertenseurs, statines, laxatifs, inhibiteurs de la pompe à protons, antidépresseurs et agents antiplaquettaires. Le sulfaméthoxazole, un antibiotique utilisé pour traiter les infections respiratoires et urinaires, était omniprésent, détecté dans 93 % des coraux. Cette contamination n’est pas limitée aux eaux peu profondes, elle s’étend également aux zones plus profondes, entre 30 et 40 mètres, là où les coraux sont supposés être protégés de telles influences.

Coraux Favites sp. poussant sur des substrats artificiels en Mer Rouge. © Noa Shenkar

La méthode de détection a impliqué des analyses hydro-chimiques avancées réalisées en collaboration avec le laboratoire de chimie de l’eau de l’université. Les chercheurs ont testé les coraux pour 18 composés pharmaceutiques identifiés comme couramment utilisés en Israël, révélant que plus de la moitié de ces substances étaient présentes dans les échantillons.

 Ces résultats mettent en lumière l’étendue de la diffusion de résidus médicamenteux dans les environnements marins, provenant principalement d’eaux usées insuffisamment traitées, de ruissellements agricoles, et d’excrétions humaines dans certaines zones touristiques. Les récifs coralliens d’Eilat, souvent cités pour leur résilience exceptionnelle aux perturbations climatiques, se trouvent ici face à une nouvelle menace insidieuse. « Que signifie réellement la présence de produits pharmaceutiques dans les coraux ? De toute évidence, les coraux n’ont pas reçu de prescription d’antibiotiques de leur médecin », ironise le professeur Shenkar, dans un communiqué.

Les effets méconnus des médicaments sur la vie marine

En effet, les médicaments élaborés pour cibler des mécanismes biologiques précis chez les humains n’épargnent pas la vie marine lorsqu’ils pénètrent dans les océans. Selon l’étude de G. Navon et al., 2024, les dix substances actives retrouvées modifient certains processus biologiques complexes. Elles peuvent interagir avec les organismes marins de manière imprévisible. « Les œstrogènes présents dans les contraceptifs féminisent les poissons mâle et affectent leur capacité à se reproduire, tandis que le Prozac modifie le comportement des crabes en les rendant plus agressifs », explique Prof. Shenkar. Ce parallèle alerte sur des risques similaires pour les coraux, même si ces impacts restent encore insuffisamment étudiés.

Résumé graphique de la méthode et des résultats de l’étude. Détection de 10 produits pharmaceutiques dans les récifs de coraux. © Gal Navon et al., 2024

Les coraux, éléments fondamentaux des récifs, dépendent de cycles biologiques précis, notamment la synchronisation de leur ponte qui assure leur reproduction. Cette fragilité pourrait être exacerbée par l’exposition prolongée aux substances chimiques. L’étude souligne que ces perturbations, souvent invisibles à court terme, risquent de compromettre à long terme la survie des populations coralliennes.

Prof. Shenkar met en garde : « Si ces produits altèrent la synchronisation des pontes, nous risquons de ne découvrir les dégâts que lorsqu’il sera trop tard pour intervenir ». Ces observations révèlent une menace silencieuse, qui nécessite une attention urgente pour mieux comprendre l’ampleur des effets cumulés de cette pollution invisible sur les écosystèmes marins.

Des implications pour la biodiversité et les activités humaines

Les récifs coralliens, véritables poumons des océans, sont au cœur de la biodiversité marine. Ils abritent près de 25 % des espèces marines allant des poissons aux crustacés, tout en servant de nurserie et de site de reproduction pour une grande variété d’organismes. Ces habitats sont également cruciaux pour des millions de personnes, fournissant des moyens de subsistance grâce à la pêche et attirant un tourisme essentiel à l’économie de nombreuses régions côtières.

Dorénavant, le rôle écologique et économique de ces coraux est menacé par une combinaison de stress environnementaux, exacerbés par la présence de résidus médicamenteux. « Ces écosystèmes déjà fragiles, soumis à une pression croissante de la surpêche, du réchauffement climatique et de la pollution, doivent désormais faire face à une menace chimique insidieuse », souligne Gal Navon, doctorant impliqué dans l’étude.

Les antibiotiques, comme le sulfaméthoxazole, peuvent altérer les communautés bactériennes symbiotiques essentielles à la santé des coraux, fragilisant ainsi leur immunité face aux maladies. La bioaccumulation de ces produits dans la chaîne alimentaire pourrait également affecter les prédateurs marins de niveau supérieur, y compris les humains, s’ils consomment des poissons contaminés.

L’origine de cette contamination médicamenteuse reflète l’impact cumulé des activités humaines. Les eaux usées insuffisamment traitées restent le principal moyen de transport de ces résidus de médicaments vers les océans. « Il est clair que ces médicaments sauvent des vies et nous n’avons pas l’intention de demander aux gens de réduire leur consommation », déclare le professeur Shenkar. « Cependant, nous devons développer de nouvelles méthodes de traitement des eaux usées qui permettent de traiter efficacement les composés pharmaceutiques. En outre, chacun d’entre nous doit se débarrasser des médicaments périmés de manière à ne pas nuire à l’environnement ».

Une urgence environnementale et sociétale

Les recherches sur les coraux contaminés du Golfe d’Eilat révèlent une pollution invisible et alarmante. Elles trouvent un parallèle saisissant avec une découverte récente au Brési, lorsque des requins Rhizoprionodon lalandii vivant au large de Rio de Janeiro et vulnérables selon l’UICN, ont été exposés à de fortes concentrations de cocaïne et de ses métabolites issues des eaux côtières contaminées par les effluents de laboratoires clandestins et les rejets urbains. Ce puissant stimulant perturbe leur comportement, augmente leur agressivité et déséquilibre les interactions prédateur-proie, avec des impacts comparables aux perturbations de la reproduction et de la santé des coraux causées par des substances comme les antibiotiques. Ces polluants chimiques, qu’ils proviennent de médicaments ou de drogues illicites, affectent de manière similaire les bases biologiques des écosystèmes marins.

Face à cette menace croissante, une action immédiate est cruciale. Les coraux et les requins sont des sentinelles de la santé des océans. Leur contamination reflète l’ampleur de l’empreinte humaine sur les environnements marins. Améliorer les infrastructures de traitement des eaux usées, limiter les rejets de substances toxiques dans l’environnement et renforcer les régulations internationales deviennent impératifs pour préserver ces espèces clés et l’équilibre des écosystèmes océaniques.


Source : Gal Navon et al., “Detection of 10 commonly used pharmaceuticals in reef-building stony corals from shallow (5–12 m) and deep (30–40 m) sites in theRed Sea”, Environmental Pollution (2024)

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