DELMOGES : comprendre et limiter les captures accidentelles de dauphins communs pour une pêche durable

01/04/2025

6 minutes

Ifremer

Depuis 2016, les échouages de dauphins communs porteurs de traces d’engins de pêche sont massifs sur les plages de l’Atlantique. Face à l’urgence de trouver des solutions pour limiter ces captures accidentelles, le projet DELMOGES (DELphinus MOuvements et GEStion) a été initié en 2022 sous l’égide de l’Ifremer, de l’Université de La Rochelle et du CNRS. Alors que le projet touche à sa fin en mars 2025, les données récoltées permettent une meilleure compréhension de cette problématique complexe et ouvrent la voie à de nouvelles recherches. L’objectif est de co-construire à moyen terme des solutions conciliant pêche durable et conservation du dauphin commun.

par Carole Saout-Grit et Laurie Henry

Photo de couverture : Dauphins communs nageant devant l’étrave d’un navire de pêche : les interactions ne se traduisent pas toujours par des captures accidentelles. © JJ Boubert – Pelagis (La Rochelle Université / CNRS)

Réduire les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne

Depuis 2016, les échouages massifs de dauphins communs porteurs de traces d’engins de pêche sur les plages de l’Atlantique ont alerté sur l’urgence de trouver des solutions adaptées pour réduire les captures accidentelles de ces animaux par la pêche. Les dauphins communs sont capturés accidentellement, lors d’opérations de pêche avec des engins listés comme « à risque » : chaluts pélagiques (en pleine eau), seine et filets calés sur le fond (trémails ou filets maillants).

La problématique est particulièrement exacerbée dans le golfe de Gascogne, une zone riche en biodiversité et en ressources halieutiques, mais aussi un carrefour de multiples activités de pêche. L’hiver est la période où les captures accidentelles sont les plus importantes.

Nombre d’échouages par département et par jour entre le 1er décembre 2022 et le 15 février 2023. © DELMOGES

À une époque où la conservation des cétacés devient une priorité mondiale, cette problématique est une source de préoccupation croissante pour les gestionnaires, les scientifiques et les pêcheurs. La Commission européenne a exigé que la France prenne des mesures pour respecter les obligations européennes en matière de conservation des espèces protégées, conformément à la directive Habitats et au règlement de l’UE sur la pêche. Les taux de capture actuels, estimés entre 4 000 et 9 000 individus par an, dépassent le seuil biologique soutenable pour cette population protégée, selon les avis scientifiques du CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer).

Des observations scientifiques en mer innovantes

Pour répondre à ces enjeux, le projet DELMOGES a été initié dans l’optique de faire progresser les connaissances sur les interactions complexes entre les dauphins, leurs proies et les engins de pêche.

Des campagnes d’observation en mer innovantes ont été menées, notamment durant l’hiver 2023. Cette mission a mobilisé un drone de surface de type DriX, muni de capteurs acoustiques pour localiser les dauphins et les bancs de leurs proies, les petits poissons pélagiques, dans le golfe de Gascogne. Ces données ont été complétées par des survols aériens permettant une cartographie précise des dauphins. L’échantillonnage a concerné la zone centrale du golfe de Gascogne entre Loire et Gironde.

Drone de surface de type DriX (société EXAIL) en action. © S. Lesbadts, Ifremer

Les chercheurs ont ainsi localisé des petits poissons pélagiques (anchois, sardines, sprats, chinchards) dans des zones proches des côtes, à moins de 100 mètres de profondeur. Ils y formaient par endroit, des tapis denses près du fond encore jamais observés. Les scientifiques supposent que les dauphins communs pourraient être attirés près du fond par cette abondance de proies, ce qui augmenterait leur vulnérabilité aux filets déployés même très près du fond.

Les données de survols aériens ont également révélé une distribution des dauphins communs plus diffuse et plus proche des côtes qu’il y a 10 à 15 ans. Cette nouvelle répartition pourrait indiquer que les dauphins communs se nourrissent davantage de petits poissons pélagiques, plus nombreux près des côtes depuis 10 ans. Cependant, il est encore trop tôt pour donner une réponse définitive à cette question.

(à gauche) : carte haute résolution de l’abondance des dauphins communs (cercles bleus, survols CAPECET) et de leurs proies (zones colorées, campagne DriX) dans la zone centrale du golfe de Gascogne. (à droite) : Tapis de poissons très dense proche du fond, observé devant les Sables d’Olonne. © DELMOGES

De nouvelles connaissances sur l’écologie des dauphins communs

Le projet DELMOGES a permis de collecter des données nouvelles sur les dauphins communs, apportant une connaissance nouvelle sur leur écologie dans le golfe de Gascogne.

Deux campagnes de biopsies (DELGOST) ont été réalisées en 2022 et 2023, permettant de capturer des échantillons de tissus (peau et lard) sur des animaux vivants dans leur milieu, sur un gradient depuis la côte jusqu’au large, en dehors du golfe. Les analyses isotopiques de peau et de contaminants dans le lard ont montré des différences entre les dauphins des zones océanique et néritique (région de l’océan proches des côtes, ndlr) alors que les carcasses échouées montrent une signature similaire aux dauphins échantillonnés sur le plateau continental. Ces différences entre zones ont pu être reliées aux régimes alimentaires et attesteraient d’un taux de résidence de plusieurs mois dans la zone néritique.

Scientifiques et pêcheurs pour une pêche durable

Les avancées dans la compréhension des captures accidentelles nourrissent la co-construction de solutions alternatives aux mesures d’urgence actuelles. Les pêcheurs démontrent une volonté forte de trouver des solutions concrètes. Le projet ne propose pas de solutions techniques définitives, mais des scénarios combinant différentes options basées sur les nouvelles connaissances issues du projet sur les interactions entre dauphins, proies et pêcheurs.

À travers des analyses et des cartes de risques, les résultats du projet DELMOGES permettent d’identifier avec précision les zones et les périodes critiques où les captures accidentelles sont les plus probables. Cette approche ciblée vise à limiter l’impact sur les dauphins tout en minimisant les restrictions imposées aux pêcheurs.

En offrant une base scientifique solide et des scénarios modulables, le projet DELMOGES pose les fondations d’une gestion plus fine et collaborative des écosystèmes marins, où la conservation et la pêche pourraient coexister de manière durable. Ce projet représente une avancée significative dans la compréhension des interactions entre les dauphins, leurs proies et les activités de pêche. Grâce à des campagnes de recherche innovantes et à une collaboration étroite entre scientifiques et professionnels, le projet DELMOGES ouvre la voie à des solutions durables pour concilier conservation des cétacés et une pêche responsable.

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