Vers une coexistence durable entre pêcheries et mégafaune marine

15/11/2024

8 minutes

PPR océan & climat

Les conflits entre les pêcheurs et la mégafaune marine, exacerbés par l’intensification de la pêche industrielle et le déclin des ressources marines, soulèvent des enjeux complexes pour les socio-écosystèmes marins. La thèse menée par Margaux Mollier dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat explore ces interactions entre activités humaines et faune marine. En visant une meilleure compréhension des conflits et des leviers de gouvernance, cette recherche multidisciplinaire combinant sciences sociales et écologiques vise à offrir des solutions durables et équilibrées pour une coexistence viable entre les pêcheries et les espèces menacées.

Par Carole Saout-Grit et Laurie Henry

Un contexte de pression croissante sur les écosystèmes marins

L’expansion de la pêche industrielle au cours des six dernières décennies, associée à une baisse importante des stocks halieutiques, a contribué à l’augmentation des interactions entre les pêcheurs et la mégafaune marine – requins, mammifères marins, oiseaux de mer et tortues.

Ces interactions prennent souvent la forme de captures accidentelles (prises d’espèces marines non ciblées par les pêcheurs) et de déprédation, lorsque les animaux consomment une partie des captures directement sur les engins de pêche. La déprédation est un comportement souvent perçu par les pêcheurs comme une concurrence directe qui entraîne des pertes économiques pour les pêcheurs, des dommages matériels et une augmentation de la charge de travail nécessaire pour compenser ces pertes.

Captures accidentelles ou dépradation entrainent des dommages pour les pêcheurs et une menace sur la survie d’espèces marines déjà vulnérables © M.Mollier

Les impacts des conflits entre pêcheries et mégafaune ne se limitent pas à des aspects économiques. Ils touchent également la survie des espèces animales et la santé des écosystèmes marins. Ces conflits contribuent ainsi au déclin de nombreuses espèces déjà vulnérables, rendant la résolution de cette problématique cruciale pour la préservation des écosystèmes.

Les solutions proposées jusqu’à présent ont souvent été unilatérales et mono-sectorielles, axées sur la protection des ressources halieutiques ou la conservation de la biodiversité, sans prise en compte de l’ensemble du système social et écologique. Une approche partielle qui conduit à de nombreux conflits non résolus continuant de s’intensifier.

Une approche de recherche intégrée et interdisciplinaire

Depuis longtemps fascinée par l’océan, Margaux Mollier a orienté son parcours académique vers l’écologie marine, avec une passion pour la préservation des écosystèmes marins.

Aujourd’hui doctorante à l’École Doctorale EUCLIDE au sein de l’unité mixte de recherche MARBEC (Université de Montpellier/CNRS/Ifremer/IRD) de Sète, elle s’engage dans un travail de thèse innovant, alliant sciences sociales et écologie pour analyser les conflits entre pêcheries et grands prédateurs marins.

© M.Mollier

Son projet est financé par le PPR Océan & Climat qui vise notamment à promouvoir une exploitation durable des ressources océaniques tout en préservant la biodiversité marine. La thèse est placée sous la codirection de Camille Mazé (CNRS) et Paul Tixier (IRD) pour la période 2023-2026.

Par une collaboration entre experts en anthropologie, sociologie et écologie marine, et en exploitant des outils de modélisation complexes, Margaux espère trouver des solutions viables pour atténuer les conflits à long terme entre activités humaines et écosystèmes marins.

Une étude de cas sur deux zones et trois axes de recherche pour comprendre et réduire les conflits

La thèse de Margaux Mollier examine un cas de conflit pêcherie – mégafaune marine (la déprédation) dans deux zones très spécifiques : les Terres Australes Françaises (Îles Crozet et Kerguelen) et la Nouvelle-Calédonie, deux zones ultra-marines avec des configurations socio-écologiques contrastées.

Dans les Terres Australes Françaises, où le nombre de navires et d’acteurs est limité et l’activité de pêche fortement contrôlée, les conflits se concentrent autour de la pêche à la légine australe, une espèce très prisée. Ici, les orques et les cachalots prélèvent environ 30% des captures sur les palangres. Ces interactions, qui ont débuté dans les années 1990, représentent aujourd’hui une contrainte économique majeure pour les pêcheurs et peuvent avoir des impacts écologiques sur les prédateurs et les écosystèmes associés.

En Nouvelle-Calédonie, les conflits prennent une autre dimension, notamment autour de la pêche au thon. Ce type de pêche engage une flotte plus importante, sans contrôleurs de pêche systématiques. Les interactions impliquent certaines espèces de requins et de cétacés, aggravées par le déclin global des stocks de thon et l’enjeu de conservation important de plusieurs espèces de mégafaune. Contrairement aux Terres Australes, la Nouvelle-Calédonie représente un système socio-écologique complexe, où la concurrence pour les ressources est accentuée par des considérations socio-économiques locales plus diversifiées.

Une collaboration étroite entre pêcheurs, décideurs et scientifiques est nécessaire pour résoudre les conflits entre pêcheries et mégafaune marine. © M.Mollier

Le projet de recherche s’articule autour de trois axes principaux pour évaluer, comprendre et atténuer les conflits entre pêcheurs et mégafaune marine :

  • Évaluer l’intensité des conflits et leurs impacts socio-économiques et écologiques, en quantifiant l’ampleur des conflits et leurs répercussions économiques et écologiques
  • Analyser les facteurs anthropiques et écologiques des conflits, en cherchant à identifier les causes des conflits par l’examen des pratiques humaines (techniques de pêche, zones d’activité) et des facteurs écologiques
  • Explorer les leviers de gestion et d’adaptations comportementales, en identifiant les solutions de gestion et des ajustements dans les pratiques de pêche pour minimiser les conflits.

Margaux Mollier s’appuie sur une collaboration étroite entre les pêcheurs, les gestionnaires et les scientifiques pour concevoir des solutions adaptées au contexte local, en prenant en compte les besoins socio-économiques et la conservation des espèces. Par cette approche innovante et interdisciplinaire en trois axes et sur deux cas d’étude spécifiques, elle porte ainsi l’ambition de faire progresser la coexistence entre pêcheurs et faune marine en identifiant des voies de résilience pour les écosystèmes marins tout en préservant les activités humaines.


3 Questions à Margaux Mollier 

Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?

Fascinée depuis toujours par l’océan, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers un master en écologie marine, au cours duquel j’ai pu acquérir des connaissances sur ce système complexe mais également sur les enjeux liés à sa préservation. Faire une thèse en sciences marines est donc l’occasion d’appliquer mes compétences et d’en apprendre davantage sur les différents composants de ce système et leurs interactions afin de concilier les activités humaines et la préservation de la biodiversité marine.

Qu’est-ce qui t’a donné envie quand tu as postulé à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?

Ce sujet de thèse, co-construit avec Paul Tixier et Camille Mazé mêle écologie marine et sciences sociales dans le but d’identifier les facteurs écologiques et sociologiques à l’origine du conflit de déprédation par les grands prédateurs sur les engins de pêche, qui peut mener à des conséquences écologiques et socio-économiques importantes. J’ai donc le sentiment de pouvoir fournir des connaissances essentielles à la mise en place de solutions d’atténuation de ce conflit, en me confrontant à plusieurs disciplines et en faisant le lien entre la recherche et les acteurs impliqués dans l’activité de pêche.

Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?

J’aimerais continuer dans la recherche et dans la thématique de ma thèse à travers un post-doctorat, à l’étranger de préférence. À plus long terme, mon parcours n’est pas encore défini mais j’aime cette idée de faire de la recherche plus appliquée, d’être en contact direct avec d’autres professionnels non scientifiques. J’ai ce besoin de me sentir utile et passionnée par mon travail.


Référence : Mollier, Margaux, « Du conflit à la coexistence : comprendre les mécanismes sociologiques et écologiques d’usage entre pêcheries et mégafaune marine pour en identifier les solutions », thèse 2023-2026

Contact : margaux.mollier@ird.fr

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