Une approche globalisée pour une gestion durable des lagunes méditerranéennes françaises

28/10/2024

7 minutes

PPR océan & climat

La Méditerranée est en proie à de nouvelles espèces invasives dans ses eaux côtières, du fait des modifications des conditions environnementales. Un suivi opérationnel des espèces aquatiques est devenu un impératif pour une gestion environnementale durable sur la globalité du bassin. Un travail sur lequel se penche Margot Dentan au sein de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Au cours de sa thèse financée par le Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat, elle analyse une grande variété d’outils de gestion existants pour répondre aux exigences des différents acteurs de la région.

par Laurie Henry et Carole Saout-Grit

En Méditerranée, les conditions environnementales de certaines zones côtières sont fortement modifiées sous l’effet de pressions anthropiques toujours croissantes. Les impacts sont particulièrement importants pour les écosystèmes aquatiques, et de nouvelles espèces invasives sont observées depuis quelques années. Mais le suivi des espèces aquatiques est souvent rendu difficile par le manque d’adéquation entre les indicateurs de « bon état » définis à l’échelle européenne et leur application aux échelles locales et régionales.

Aligner les niveaux de gouvernance et les échelles de suivi

Dans les lagunes méditerranéennes d’Occitanie, de Corse et de la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), deux espèces sont particulièrement suivies depuis quelques années : l’anguille européenne (Anguilla anguilla), espèce indigène en déclin, et le crabe bleu américain (Callinectes sapidus), espèce non indigène et proliférante. La prolifération de ce dernier menace les activités de pêche en Occitanie et en Corse depuis 2016. Pourtant, les pêcheurs, bien que directement impactés, sont peu impliqués dans la gestion institutionnelle des espèces, alors qu’ils pourraient jouer un rôle crucial de sentinelles locales​​.

crabes bleus pêchés dans l’Étang de Canet-Saint-Nazaire (Pyrénées-Orientales, avril 2023)

Depuis les années 1990, l’Union européenne a progressivement instauré un ensemble de directives environnementales, pour faire face aux multiples perturbations écologiques liées aux pressions anthropiques qui pèsent sur les espèces et les habitats des milieux aquatiques. Les directives européennes sur les habitats, la faune et la flore (DHFF*), sur l’eau (DCE**) et sur le milieu marin (DCSMM***) ont institué le concept de « bon état écologique » pour les eaux douces et marines comme un objectif à atteindre, alors que cette notion est sujette à des interprétations variées selon les acteurs locaux.

Au sein de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Margot Dentan interroge précisément ces disparités à travers une approche géographique et socio-politique. Elle cherche à comprendre comment les connaissances scientifiques, les savoirs locaux des pêcheurs et les exigences des politiques publiques peuvent converger pour produire des données pertinentes, tant pour la gestion des espèces que pour la résilience des milieux naturels.

Géographie politique du suivi des espèces aquatiques

Margot est diplômée du master « Sciences sociales, territoires et développement » de l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) et du master « Gestion des littoraux et des mers » de l’Université de Montpellier.

Depuis 2022, elle est doctorante en géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rattachée à la fois au laboratoire de géographie PRODIG (Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique) et au laboratoire d’écologie marine MARBEC (MARine Biodiversity Exploitation and Conservation) de l’Université de Montpellier.

Son travail de thèse porte sur la construction et la spatialisation des suivis d’espèces aquatiques à l’interface terre-mer. À partir des cas de l’anguille européenne et du crabe bleu américain dans les lagunes méditerranéennes françaises, Margot tente notamment de comprendre comment et en quelle mesure les indicateurs de « bon état » définis à l’échelle européenne permettent de répondre aux enjeux locaux de résilience socio-écologique des milieux aquatiques.

Margot Dentan lors d’une observation participante dans le cadre d’un suivi du crabe bleu : caractérisation des abondance spécifiques (benthos) de l’Étang de Canet-Saint-Nazaire (Pyrénées-Orientales, avril 2023)

Sa thèse s’appuie sur l’analyse critique de différentes méthodes de suivi, notamment innovantes comme l’ADN environnemental****, utilisé pour détecter précocement des espèces telles que le crabe bleu, tout en intégrant les méthodes traditionnelles de suivi impliquant les acteurs locaux​​. La recherche mobilise les méthodes classiques de l’enquête qualitative en sciences sociales : entretiens semi-directifs et observation (y compris participante). Les personnes sondées se répartissent en trois catégories d’acteurs : les scientifiques, les acteurs des politiques publiques, les pêcheurs et leurs représentants. Une première enquête de terrain (4 mois) a été menée entre avril et juillet 2023 en Occitanie, puis une seconde (3 mois) entre mars et juin 2024 en PACA et en Corse.

Pêche à la capéchade dans l’Étang du Vaccarès (Bouches-du-Rhône, mars 2024)

La thèse de Margot Dentan est placée sous la co-direction de Pierre Gautreau (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) et Rutger De Wit (Université de Montpellier). Elle est financée par le Programme Prioritaire de Recherche PPR Océan & Climat co-piloté par le CNRS et l’Ifremer. Elle répond au défi d’améliorer la protection et la résilience des milieux marins et le développement de nouvelles approches intégratives de gestion, mais se place également en écho aux défis transversaux de développement des programmes d’observation et de modélisation innovants, et de partage avec les publics la découverte de l’Océan et les enjeux sociétaux associés.

En travaillant à l’interface entre plusieurs disciplines – géographie politique, écologie marine, sociologie de l’environnement– Margot espère mettre en lumière les rouages des collaborations multi-acteurs et les stratégies qu’ils développent pour faire face aux défis environnementaux contemporains. Les premières conclusions de son travail mettent en lumière l’enjeu de l’équilibre entre une gouvernance locale participative et les impératifs européens de conservation et de restauration écologique​​.

* Directive européenne Habitats, Faune et Flore (DHFF)

Adoptée le 21 mai 1992, la DHFF établit un cadre pour la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. Elle vise à assurer le maintien ou le rétablissement des espèces et des types d’habitats significatifs pour la biodiversité européenne. Des sites de protection d’importance pour les espèces et habitats sont listés dans cette directive, et des mesures de gestion doivent ensuite être mises en œuvre dans ces zones pour maintenir ou rétablir les espèces et les habitats dans un bon état de conservation.

** Directive Cadre sur l’Eau (DCE)

Adoptée en 2000, la DCE vise à protéger les ressources en eau dans l’Union européenne. Elle impose aux États membres d’atteindre un « bon état écologique » des eaux douces, côtières et souterraines d’ici 2027. Elle encourage une gestion intégrée par bassin versant, prenant en compte les pressions anthropiques.

***Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM)

Adoptée en 2008, la DCSMM vise à atteindre un « bon état écologique » des eaux marines européennes d’ici 2020. Elle impose aux États membres de surveiller et gérer les impacts humains sur les milieux marins, notamment la pollution, les espèces non indigènes et la biodiversité, pour préserver les écosystèmes marins.

**** L’ADN environnemental (ADNe) est une méthode innovante permettant d’identifier les espèces présentes dans un milieu naturel à partir de traces d’ADN (écailles, poils, fèces) collectées dans l’eau ou le sol. Cette technique, non invasive, facilite les inventaires de biodiversité et le suivi des espèces, notamment invasives ou menacées.


Référence : Dentan, Margot, « Suivre des espèces aquatiques à l’interface terre-mer : échelles et enjeux d’une production d’information multi-niveaux sur l’anguille européenne et le crabe bleu américain dans les lagunes méditerranéennes françaises», thèse 2023-2026

Contact : margot.dentan@cnrs.fr

ces événements pourraient vous intéresser... tout voir