Un campus pour transmettre une culture écologique

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éducation et formation

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Le campus Explore est une nouvelle composante du fonds de dotation Explore, créé en 2013 par le navigateur Roland Jourdain pour soutenir des initiatives maritimes et écologiques. Avec ce “campus”, Explore cherche depuis 2020 à s’implanter dans le domaine de l’enseignement supérieur afin de créer une culture écologique dans le secteur de l’ingénierie navale, notamment. D’abord à travers des cours en ligne, puis une multitude de partenariats avec des grandes écoles et des universités. Le projet de “Lincroyap”, un voilier autonome côtier pour l’océanographie, se développe ainsi grâce à une association entre Explore et l’École nationale d’ingénieur de Brest.

Par Maud Lénée-Corrèze

Aujourd’hui, le monde est à explorer et expérimenter”, tel est le mot d’ordre du fonds de dotation Explore, situé dans un grand bâtiment en arc de cercle dans la partie industrielle du port de Concarneau. Créé il y a dix ans par Roland Jourdain à côté de son écurie de course au large Kaïros, le fonds Explore se propose d’accompagner des projets répondant à des enjeux environnementaux, d’abord liés à l’océan, aux pollutions… Pour poursuivre cette mission, il se dote depuis 2020 d’une solide capacité de diffusion des connaissances avec la création d’une nouvelle composante tournée vers la transmission des savoirs rassemblant les différentes structures gravitant autour d’Explore et de Kaïros : le campus Explore.

Car, en sept ans d’existence, le fonds de dotation a soutenu l’émergence de plusieurs initiatives environnementales : l’odyssée autour du monde à bord du voilier Nomade de Corentin de Chatelperron, en quête de solutions low-tech, le projet Under the Pole qui part à l’exploration des zones extrêmes du globe, Arctique, grands fonds, et sensibilise à la protection des océans, ou encore, plus récemment, le navire de pêche et d’exploration scientifique à la voile Skravik. Sans oublier l’existence depuis 2009 du bureau d’études de Kaïros spécialisé dans les matériaux composites biosourcés pour la construction navale, créé par Roland Jourdain, conscient de l’impact néfaste de la course au large ou du nautisme plastique.

Nous voulions diffuser tous ces savoirs accumulés, explique Emmanuel Poisson-Quinton. On voyait certains étudiants dans les domaines de l’ingénierie bifurquer, ou se poser des questions sur l’impact de leurs futurs métiers, alors on s’est dit qu’on pourrait essayer de leur proposer un enseignement complémentaire pour aborder les questions de sobriété et leur montrer quelles pouvaient être les alternatives.

Le campus Explore propose des challenges aux étudiants pour s’emparer d’un sujet d’explorer des enjeux, en travaillant sur des licences open source, sur du prototypage rapide, accompagnés des explorateurs du fonds de dotation. Crédit : Explore

Objectif Plancton, un projet de science participative

L’équipe d’Explore, composée de six personnes, choisit alors le format du cours en ligne (mooc) pour lancer son “campus”. Quatre modules sont proposés, pour 16 heures de cours chacun, sur les thèmes de l’océan, des low-techs, de l’empreinte des matériaux et de la coopération territoriale. Dans le mooc Océan, experts, professeurs d’université, porteurs de projets, acteurs du secteur maritime présentent ainsi l’expérience d’Explore et ses partenaires sur les enjeux maritimes, transport, pêche, réglementations, présence des États, sur les liens entre la terre et la mer, le rôle du plancton, les menaces pesant sur les écosystèmes océaniques, pollutions plastique ou autres, ainsi que les solutions existantes.

Ainsi Pierre Mollo, enseignant-chercheur en biologie marine, explique ce qu’est Objectif Plancton, projet de science participative avec les plaisanciers et navigateurs, encouragés à faire des prélèvements de plancton lors de leurs sorties en mer. L’on découvre aussi le projet du navire Plastic Odyssey, qui part à la rencontre des personnes recyclant le plastique de diverses façons dans le monde. Et pour élargir l’horizon, la mission Under The Pole expose le bilan de ses nombreux voyages, à l’instar de ses rencontres avec les populations inuits du Groenland sur l’impact du changement climatique dans leur vie quotidienne.

L’expérience fonctionne plutôt bien, mais Explore cherche à aller plus loin : s’associant à des écoles, des universités et d’autres partenaires, il crée des camps en immersion, à Concarneau mais pas que, pour développer des projets de cursus et faire se rencontrer réellement les différents acteurs. Des ateliers, des discussions, des rencontres, du réseautage, bref, ces stages de quelques jours à une semaine permettent d’initier étudiants, personnes en reconversion et tous les curieux à la mission d’Explore et de ses multiples satellites.

Ainsi Explore a développé un partenariat avec l’École nationale d’ingénieur de Brest (ENIB), basée à Plouzané, autour du projet du voilier autonome Lincroyap, mené par Erwan Contal, professeur en mécanique. “J’étais en congé pour développer un projet pédagogique lié à la conception écoresponsable. Intéressé par les biomatériaux, je suis allé à Explore et Kaïros”, explique-t-il. Il découvre le Kairlin, matériau fait à partir de lin (produit traditionnellement en Bretagne et Normandie) et d’amidon de maïs pour la résine, 100 % compostable, développé par le bureau d’études de Kaïros pour la construction des emménagements des bateaux. Une solution pour limiter l’usage de la fibre de verre et de la résine époxy, ou du carbone, matériaux composites non biodégradables et issus de l’industrie pétrochimique, dans la construction navale.

Un coque et une voile en lin pour un navire autonome scientifique

Erwan Contal, revenu de son immersion, crée au sein du cursus ENIB le module de cinquième année Projet écoresponsable : à partir d’une problématique émanant d’un client réel, les étudiants doivent rédiger un cahier des charges, concevoir et réaliser un prototype en évaluant l’impact environnemental et sociétal de leur solution. L’une des premières commandes provient de deux scientifiques de l’Ifremer et de l’Institut universitaire européen de la mer : il s’agit d’un bateau autonome côtier écoconçu capable d’embarquer une série d’instruments de mesures océanographiques. Sur les dix projets menés par les étudiants, trois concernent la mer.

Le bateau sera Lincroyap, un voilier de 2 mètres : quoi de mieux que la force du vent pour réduire l’impact de la propulsion d’un navire ? Le bateau est gréé d’une voile en Kairlin, un panneau rigide végétal, avec une ossature en carbone, “pas très propre, mais pour l’instant, nous n’avons pas encore de solution.” Pour le côté autonomie, les étudiants imaginent un système basé sur l’intelligence artificielle et un régulateur d’allure mécanique, limitant ainsi la consommation. Les capteurs low-tech de surface, fournis par d’autres écoles d’ingénieur, seront intégrés dans un espace dans la coque, juste derrière le mât.

Le catamaran de course-croisière conçu et construit à Kaïros pour Roland Jourdain, lancé en juin 2022, afin de tester et démontrer l’utilisation du Kairlin (matériau composite fait de fibre de lin et d’amidon de maïs) sur un bateau. Pour l’instant, seuls les emménagements sont dans ce matériau. Crédit : Robin Christol

La coque à bouchains vifs sera fabriquée à partir de plaques thermoformées de Kairlin : “Il n’est pas prévu pour ça normalement, précise Erwan Contal, et c’est justement ce qui intéresse aussi Kaïros dans notre projet. Eux me fournissent le matériau et nous le testons pour la coque des bateaux.” En plus de l’approvisionnement, un ingénieur matériaux de la société Kaïros fait une conférence de trois heures une fois par semestre à l’ENIB sur la thématique des matériaux composites biosourcés. Les étudiants vont aussi une journée à Concarneau pour découvrir l’écosystème autour de Kaïros et Explore. “Nous essayons de créer une culture écologique pour les étudiants, dont ils pourront ensuite se servir au cours de leurs carrières d’ingénieurs, même s’ils ne travaillent plus forcément dans le secteur maritime”, ajoute Erwan Contal.

Des essais en mer de Lincroyap ont été réalisés l’an dernier avec l’association brestoise Céladon faisant le lien entre universités, recherche et secteur des mesures océanographiques : “C’est un travail de longue haleine. À la fin nous fournissons un prototype et tout sera en open-source”, conclut Erwan Contal. En s’associant ainsi avec les structures de l’enseignement supérieur, Explore s’empare de l’éducation pour transmettre une certaine culture écologique dans le monde de l’ingénierie et de l’université.

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