Blue Observer, du vent pour la recherche scientifique

A Brest ce mardi 27 juin, l’entreprise Blue Observer, fondée par le skipper Éric Defert, a présenté son documentaire sur le premier voyage scientifique à la voile à bord du voilier Iris. Cette campagne, effectuée de novembre 2021 à mars 2022, a permis l’un des plus importants déploiements de flotteurs Argo – pas moins de quatre-vingt-quinze sont mis à l’eau.

par Maud Lénée-Corrèze 

« C’est en 2016 en rencontrant Pierre Mollo, biologiste et enseignant-chercheur spécialiste des planctons, que j’ai découvert les planctons et les sciences marines en général. Ça m’a passionné, et j’ai cherché un moyen d’y associer mon métier de skipper » nous dit Éric Defert, navigateur et coureur au large. Notamment détenteur du record New York-Cap Lizard au large des Scilly, en 11 jours, 38 minutes et 58 secondes, il est le fondateur de l’entreprise Blue Observer depuis 2021, qui organise des missions scientifiques à la voile.

Ce 27 juin à Brest, c’est un soir un peu spécial pour l’équipe de Blue Observer. C’est la première projection publique du documentaire sur sa première campagne océanographique à la voile. Dans la salle des possibles de la PAM, ancienne imprimerie brestoise transformée en tiers-lieu, élus, journalistes, collaborateurs et proches se pressent pour visionner le film de 26 minutes réalisé par Chloé Zwiebel, chargée de communication chez Blue Observer.

Le bateau IRIS © Baptiste Langlois-Meurinne

Les images nous entraînent sur l’océan Atlantique à bord du monocoque à voile de course Iris, entre la côte Nord-Est des États-Unis et Sainte-Hélène. Le documentaire nous fait vivre les instants de beauté sur cet océan, à la rencontre de l’équipage constitué d’Éric Defert, capitaine, du second Nicolas Audigane, de Clotilde Montouroy, matelot, de Grigor Obolensky, ingénieur en instrumentation océanographique, d’Éloïse le Bras, biologiste et marin, enfin, du vidéaste et photographe, Baptiste Langlois-Meurinne, embarqué pour documenter la campagne.

On découvre un bref historique de l’entreprise : l’achat en mars 2021 de Tahia, le voilier de Maud Fontenoy à La Rochelle, qui deviendra Iris, le chantier sur les quais à Brest à partir d’avril, et le départ pour la première mission scientifique en novembre 2021.

Quatre mois de navigation et 95 flotteurs mis à l’eau

Le but principal de cette traversée de quatre mois : mettre à l’eau quatre-vingt-quinze flotteurs profileurs Argo fournis par des instituts océanographiques européens et américains, pour renouveler une partie des quelque 4000 instruments de mesure de ce type du réseau mondial Argo qui dérivent sur les océans, mesurant la salinité, la température et la pression de l’eau. Leurs données sont envoyées par satellite tous les dix jours, à la fin d’un cycle de mesures – constitué de neuf jours à 1000 mètres de profondeur avant une descente jusqu’à 2000 mètres puis une remontée le dixième jour pendant laquelle le flotteur prend des mesures tous les mètres.

Ainsi, pendant quatre mois, de novembre 2021 à mars 2022, l’équipage de Blue Observer essuie quelques belles dépressions avec du vent à 40-50 nœuds, mais profite aussi de belles journées de mer d’huile, accomplissant inlassablement sa mission de mise à l’eau des flotteurs aux points GPS indiqués par les scientifiques: dix entre Brest et Woods Hole, Massachussetts, leur première escale, où ils en chargeront quatre-vingt-cinq autres pour le reste du voyage, jusqu’à Sainte-Hélène, avant de remonter vers Brest en passant par le Cap Vert. L’un d’eux est un flotteur Deep Argo, qui plongera jusqu’à 4000 mètres de profondeur pour réaliser les mesures physiques de la colonne d’eau.

A Woods Hole, ils font aussi la rencontre de celle qui a soutenu le projet Blue Observer depuis sa naissance : Susan Wijffels, océanographe au WHOI américain (Woods Hole Oceanographic Institution), qu’Eric Defert a connue par l’entremise de Matthieu Belbéoc’h d’OceanOPS (le centre international d’excellence pour la coordination et la surveillance des systèmes d’observation météo-océanographiques).

Déploiement d’un flotteur Argo à bord d’IRIS © Baptiste Langlois-Meurinne

« Elle nous a fait confiance, ce qui n’est pas forcément évident, assure Éric Defert. Les instruments sont coûteux et précieux. Je crois que ses collègues ne comprenaient pas trop ce changement d’habitude, au départ. » Mais le soutien de cet institut renommé leur permet aussi de se rapprocher de l’Institut français pour l’exploration de la mer (Ifremer) qui leur fournit un thermosalinographe, appareil permettant de mesurer la température et la salinité à la surface. MétéoFrance, aussi, se joint à l’aventure en installant sur le mât une petite station météo. Ces deux instruments envoient leurs données en temps réel tout le long du voyage.

Ils prennent aussi contact avec l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand, avec qui Éric Defert a déjà collaboré pour un projet antérieur. Cette structure leur confie un capteur pouvant prélever des échantillons d’aérosols marins, qui contiennent des bactéries pouvant être intéressantes. Éloise Le Bras, chargée de cette mission, fera une quinzaine de prélèvements, conservés à bord dans le laboratoire de micro-biologie embarqué. Ces échantillons seront ensuite envoyés à Pierre Amato, chercheur en micro-biologie à l’Institut de Chimie. « Nous travaillons notamment sur la présence de micro-organismes dans l’atmosphère et leur rôle dans la formation des nuages et les précipitations, précise Pierre Amato. Le travail de l’institut, en lien avec l’Université Laval (Québec), traite aussi de la dispersion des gènes de résistance aux antibiotiques et leur diffusion chez les bactéries dans l’environnement naturel. » La biologiste effectuera aussi des prélèvements de planctons marins grâce à un filet.

La logistique scientifique à la voile : un choix plus écologique et économique

Iris retrouve les côtes bretonnes en mars 2022. Le bilan : une mission réussie, car tous les flotteurs ont été mis à l’eau avec une marge d’erreur d’environ 5 milles nautiques en moyenne par rapport au point GPS fourni par les scientifiques. « Le bateau s’est montré fiable, solide, nous avons fait du 7,5 nœuds de moyenne et consommé 700 litres de gasoil pour 96 jours en mer et 17 500 milles nautiques » résume Éric Defert avec un sourire. Le choix du bateau s’est avéré judicieux : il faut dire qu’il a été conçu par Gilles Vaton, architecte naval de bateaux de compétition et de croisière, pour Jean-Luc van den Heede. Ce navigateur détient encore, avec ce voilier, le record du monde à la voile à l’envers.

Blue Observer prouve ainsi sa capacité à être un opérateur maritime à la voile pour les sciences océanographiques « efficace et fiable », selon les termes d’Éric Defert, permettant de participer à la décarbonation de la recherche. Sans oublier qu’affréter Iris est moins coûteux qu’un navire océanographique. Avec ces arguments, les deux associés, Éric Defert et Thomas Meunier, chercheur au WHOI, espèrent que les scientifiques intègreront Blue Observer dès l’écriture de leurs projets de recherche, et lors leurs réflexions sur la logistique.

Thomas Meunier & Éric Defert © Maud Lénée-Corrèze

Forts de leur première expérience, ils sont déjà en train d’améliorer leur navire, notamment sur la production d’électricité pour le bord grâce aux énergies renouvelables : deux éoliennes, un hydrogénérateur et 500 watts de panneaux solaires ont été installés lors du premier chantier d’Iris, après son acquisition par Éric Defert. Mais l’équipe de Blue Observer veut augmenter encore cette autonomie en ajoutant un second hydrogénérateur et en doublant la puissance des panneaux. Sur le volet scientifique, « nous réfléchissons encore à la possibilité d’ajouter un portique pour la mise à l’eau de petits engins ou de capteurs qu’on traînerait et qu’on immergerait à différentes profondeurs, précise Thomas Meunier. » Iris pourrait également être doté d’un échosondeur fourni par l’Institut de recherche et développement (IRD), destiné à faire des mesures bathymétriques et évaluer la biomasse sur le parcours du voilier.

Tout cela en préparant la prochaine campagne, dans l’océan Indien. Il s’agira cette fois, pour le compte du WHOI, de vérifier une hypothèse sur les courants marins profonds dans cette région, qui participent de la régulation du climat global. Des flotteurs d’un autre type, appelés RAFOS, qui dérivent en eaux profondes pour suivre la vitesse et l’orientation des courants, seront déployés. Iris partira à l’automne prochain et descendra vers le Sud par la côte africaine, le Cap de Bonne Espérance, avant d’entrer dans l’océan Indien.