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Les grondements des glaciers, des indices précieux pour estimer l’élévation du niveau de la mer

Par Laurie Henry

Le niveau mondial de la mer augmente en raison du réchauffement climatique d’origine humaine, les taux récents sont sans précédent depuis plus de 2 siècles. L’évolution des glaciers et la production d’icebergs par la fonte des glaces influencent directement ce paramètre. La surveillance de ces géants de glace est un véritable enjeu pour l’estimation future de l’élévation du niveau des océans, et la mise en place de mesures adaptatives et d’anticipation.

L’élévation du niveau de la mer est causée principalement par deux facteurs liés au réchauffement climatique : l’expansion de l’eau de mer à mesure qu’elle se réchauffe et la quantité d’eau ajoutée par la fonte des calottes glaciaires et des glaciers. Ce dernier point est responsable d’environ un tiers de l’élévation moyenne mondiale du niveau de la mer depuis 1993.

Il est donc primordial de surveiller l’état des glaciers et de pouvoir évaluer la fonte des calottes glaciaires, notamment du Groenland et de l’Antarctique. En effet, elles stockent à elles seules environ les deux tiers de toute l’eau douce de la Terre.

La fonte des glaciers

La fonte des glaces déstabilise les glaciers et notamment au niveau de leur extrémités, rongées par l’eau de mer. Le mouvement vers l’avant d’un glacier rend instable la partie fragilisée et la glace se brise. Ce débit de glace ajoute une quantité non négligeable d’eau douce dans les océans, élevant le niveau de la mer.

On parle, en glaciologie, de « vêlage d’icebergs ». Ce terme couvre le large éventail de processus par lesquels des morceaux de glace intacts sont rejetés dans les océans depuis les extrémités des glaciers ou les marges des plates-formes de glace.

Pourquoi une nouvelle méthode d’étude ?

Diverses méthodes ont été développées pour mesurer le débit de glace des glaciers marins. La sismologie glaciaire passive, également appelée cryo-sismologie, est probablement l’un des outils les plus répandus et utiles. L’imagerie satellitaire peut également permettre la comparaison des situations avant et après un épisode de vêlage.

Néanmoins elles sont soumises soit à l’alternance jour-nuit et aux conditions météorologiques, soit elles ne peuvent couvrir une longue période de mesures (un satellite ne passe qu’une fois par jour au-dessus d’un glacier). De plus, il est extrêmement dangereux de se trouver près des marges glaciaires pour les équipes, du fait des vagues engendrées par l’effondrement d’un bloc.

Des chercheurs de la Scripps Institution of Oceanography de l’Université de Californie à San Diego, Oskar Glowacki et Grant Deane, décrivent une nouvelle méthode pour mesurer la perte de masse des glaciers due au vêlage en analysant les enregistrements acoustiques sous-marins des icebergs lorsqu’ils tombent dans l’océan.

Cette océanographie acoustique peut offrir certains avantages par rapport à d’autres méthodes. Les hydrophones à faible coût sont facilement déployés devant les glaciers marins, sans risque pour les équipes, et les données acoustiques peuvent être recueillies en continu pendant plusieurs mois, sans être influencées par le manque de lumière ou la présence de brouillard par exemple.

Deux processus et deux sons

Dans un article de CNN, Grant Deane, qui a travaillé dans le domaine du son sous-marin pendant plus de deux décennies, explique qu’il existe deux processus principaux par lesquels les glaciers reculent, et qui produisent tous deux un bruit distinct.

Il y a le « bruit vif et énergique des bulles qui explosent dans l’eau lorsque la glace fond ». Il le compare aux feux d’artifice ou au « bacon grésillant ». Et il y a le « grondement profond et inquiétant » d’un événement de vêlage, lorsqu’un bloc de glace se détache de l’extrémité d’un glacier, ce qui, selon lui, ressemble à un tonnerre prolongé. Une analyse mathématique complexe permet de déterminer le volume de chaque décharge glacée, en fonction du son produit.

Les scientifiques ont testé l’approche en comparant des calculs théoriques à des enregistrements provenant de deux sources : des blocs de glace de tailles connues largués dans une piscine du laboratoire à Scripps à San Diego, et des vêlages réels (plus de 650).

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Une section de glace de glacier montre l’inclusion de nombreuses petites bulles d’air. © G. Deane et al., 2022

Les chercheurs s’attachent aux bulles d’air emprisonnées dans la glace. Elles permettraient l’estimation et la surveillance sur le long terme, et de manière continue, de la fonte des glaciers, en dehors des évènements brutaux de vêlage. G. Deane déclare : « Si nous pouvons compter le nombre de bulles qui sortent de la glace dans une unité de temps spécifiée, nous pouvons déterminer la quantité de glace qui a fondu ». Cela pourrait être essentiel pour estimer la quantité de glace qui fondra à l’avenir.

Des facteurs négligés dans les modèles informatiques

Les projections de l’élévation du niveau de la mer à partir des calottes glaciaires sont déduites de modèles informatiques qui simulent l’écoulement des glaces. Mais sans une paramétrisation précise du vêlage des icebergs, des taux de vêlage et donc de l’élévation du niveau de la mer associée, les projections de ces modèles restent encore imprécises.

De plus, le vêlage des icebergs, outre le fait de produire une élévation de la mer et des vagues à la surface, produit également des vagues de tsunami sous-marines « internes », aussi hautes qu’une maison, selon une étude (M. Meredith et al. 2022) du British Antarctic Survey, relayée par l’Agence spatiale européenne (ESA). Ce phénomène est passé inaperçu dans la compréhension du brassage des eaux océaniques et dans les modèles informatiques.

Les vagues de tsunami internes sont un facteur important dans le brassage des eaux, affectant la vie marine avec la localisation des nutriments dans l’eau et la modification des températures à différentes profondeurs. C’est donc tout l’écosystème marin qui est bouleversé à plus ou moins longue échéance par ces événements.

Les données issues de cette nouvelle technique acoustique sous-marine, même si elle requière des recherches complémentaires pour être déployée à grande échelle, sont cruciales. Les glaciers sont appelés à reculer et à vêler davantage à mesure que le changement climatique se poursuit, impactant directement la santé des océans et notre vie sur terre.