Les océans, garants de l’équilibre climatique mondial, sont gravement menacés par le réchauffement climatique. Le rapport 2024 de l’UNESCO dévoile des données préoccupantes : en vingt ans, la vitesse de réchauffement des océans a doublé. Les phénomènes associés affectent les écosystèmes marins, aggravant la perte de biodiversité et menaçant les populations côtières. Une action urgente et coordonnée doit se mettre en place pour protéger ces ressources vitales face à la crise climatique.
par Laurie Henry
Le rapport 2024 de l’UNESCO sur l’état des océans, fruit du travail de plus de 100 scientifiques issus de 28 pay, confirme donc une situation alarmante. La température des océans grimpe à un rythme jamais observé, menaçant non seulement les écosystèmes marins mais aussi l’équilibre climatique global. La montée des eaux, l’acidification croissante et la diminution de l’oxygène dissous affectent les espèces marines et les populations humaines et freinent les efforts de conservation. Des constats qui incitent à une mobilisation urgente.
Un réchauffement accéléré des océans
Au cours des deux dernières décennies, les océans ont vu leur température augmenter à un rythme accéléré, le double par rapport aux années précédentes. Ce doublement ne signifie pas que la température des océans a été multipliée par deux, mais bien que l’élévation de la température se produit deux fois plus vite. Concrètement, cela veut dire que l’océan absorbe et retient de plus en plus rapidement la chaleur excédentaire générée par les activités humaines.
Ainsi selon le rapport, les océans ont absorbé près de 90 % de la chaleur excédentaire. Ce chiffre est le résultat de l’accumulation progressive de chaleur à partir de la révolution industrielle, il y a 150 ans environ, lorsque les émissions de gaz à effet de serre ont commencé à augmenter de manière significative en raison de la combustion des énergies fossiles. L’océan continue d’absorber cette chaleur excédentaire année après année.
L’eau qui se réchauffe se dilate, entraînant une augmentation du volume océanique. Cette expansion thermique est responsable d’environ 40 % de la montée globale du niveau des mers, une valeur qui correspond à une augmentation de 9 cm en trente ans. Ce chiffre peut sembler modeste, mais cette hausse s’est également produite à une vitesse deux fois plus rapide que ce qui était constaté jusqu’ici , avec des risques accrus pour les régions côtières et leurs populations.
Certaines zones océaniques sont particulièrement touchées. Les eaux de l’Atlantique tropical, de la Méditerranée et de l’océan Austral connaissent des hausses de température dépassant les 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les écosystèmes marins, déjà fragilisés, peinent à s’adapter à ces changements rapides. La dilatation des eaux n’est pas la seule conséquence au réchauffement des eaux, puisque ces régions voient leur biodiversité menacée et subissent des phénomènes climatiques extrêmes plus fréquents. Pour Vidar Helgesen, secrétaire exécutif de la Commission océanographique de l’UNESCO, « la crise océanique progresse plus vite que nos connaissances », soulignant l’urgence d’accélérer la recherche pour mieux comprendre ces phénomènes et anticiper leurs impacts.
Acidification et perte d’oxygène, deux risques majeurs pour les espèces côtières
Un autre point mis en avant par le rapport est l’acidification des océans. Elle représente une menace croissante pour les écosystèmes marins, en particulier pour les espèces côtières. En absorbant entre 25 et 30 % des émissions de CO2 d’origine fossile, les océans voient leur acidité augmenter à un rythme alarmant. Depuis le début de l’ère industrielle, cette acidité a grimpé de 30 %, un phénomène qui pourrait atteindre une hausse de 170 % d’ici 2100 si les tendances actuelles se poursuivent, selon le rapport de l’UNESCO. Ces changements chimiques affectent particulièrement les jeunes espèces marines, dont les coquilles et squelettes fragiles sont incapables de se former correctement dans des environnements aux fluctuations acides, ce qui entraîne des taux de mortalité élevés. Les eaux côtières, où ces changements sont les plus prononcés, sont donc particulièrement touchées.
En parallèle, cette situation est aggravée par une perte d’oxygène dans les océans, en baisse d’environ 2 % depuis les années 1960. Cette diminution est principalement causée par la hausse des températures et les pollutions provenant des activités humaines (comme les rejets agricoles et les eaux usées). Ces phénomènes créent des « zones mortes » correspondant à des régions océaniques où l’oxygène est insuffisant pour maintenir la vie marine. Selon le professeur Steve Widdicombe, expert en acidification des océans, de l’Université de Plymouth, « ces phénomènes sont d’autant plus préoccupants que c’est dans ces zones côtières que l’on trouve la majorité de la biodiversité océanique ». Il souligne également que ces régions restent cruciales pour l’interaction entre l’homme et l’océan, rendant cette crise encore plus urgente à résoudre.
La résilience des écosystèmes marins en question
Les écosystèmes marins, malgré les défis auxquels ils sont confrontés, jouent un rôle essentiel dans l’atténuation du réchauffement climatique. Les forêts marines, telles que les mangroves, les herbiers marins et les marais salants, se révèlent être des puits de carbone très efficaces. Elles peuvent stocker jusqu’à cinq fois plus de carbone que les forêts terrestres, en le piégeant dans leurs racines et les sédiments environnants. Ce rôle est d’autant plus vital que ces écosystèmes protègent aussi les côtes contre l’érosion et les inondations.
Cependant, malgré leur importance, près de 60 % des pays ne prennent pas en compte la restauration et la conservation de ces forêts marines dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN), pourtant primordiales pour respecter les engagements climatiques pris lors de l’Accord de Paris.
Les aires marines protégées (AMP) sont également essentielles à la résilience des écosystèmes marins. Selon l’UNESCO, 72 % des espèces marines en danger, telles qu’identifiées par la Liste rouge de l’UICN, se trouvent dans ces zones protégées. Plus le niveau de protection au sein de ces AMP est strict, plus elles sont efficaces pour restaurer et préserver la biodiversité locale. Cependant, la gestion de ces zones reste inégale à l’échelle mondiale. Bien que certaines AMP soient bien gérées, d’autres manquent de moyens ou de régulations suffisantes pour protéger pleinement les écosystèmes. Le rapport souligne ainsi la nécessité d’améliorer les connaissances scientifiques et les capacités de gestion pour garantir la pérennité de ces écosystèmes face aux pressions grandissantes du changement climatique et des activités humaines.
Agir sans attendre
Le rapport souligne enfin le rôle critique du projet Seabed 2030 de GEBCO, visant à cartographier l’intégralité des fonds marins d’ici 2030. Depuis le lancement du projet, environ 90 millions de km² de données bathymétriques ont été collectées, mais 75 % des océans restent encore à cartographier. Le rapport précise que les progrès technologiques, tels que l’utilisation de véhicules de surface non habités (USV), aideront à combler ces lacunes.
La cartographie du fond des océans permettra de comprendre les interactions entre les courants océaniques et les calottes glaciaires, qui influencent la montée des niveaux de la mer. Cela améliorera les capacités à prévoir les impacts du réchauffement climatique sur les écosystèmes marins et aidera à la gestion des ressources océaniques. Mais malgré certaines avancées, le rapport insiste sur la nécessité d’accélérer les efforts de collecte de données, en particulier dans les régions polaires, encore sous-cartographiées.
La publication du rapport de l’UNESCO 2024 appelle donc à une mobilisation immédiate des gouvernements, des industries et des chercheurs pour freiner la dégradation rapide des océans. « Nous savons suffisamment pour agir », martèle Vidar Helgesen, soulignant l’urgence de déployer des solutions scientifiques et politiques.
Les actions prises aujourd’hui seront décisives pour la survie des écosystèmes marins et pour assurer l’avenir des générations à venir. L’océan, en tant que régulateur climatique, est au cœur de la lutte contre le changement climatique. Une protection plus active, basée sur des données fiables et continues, est essentielle pour garantir la résilience de ce précieux écosystème.