Interfaces fragiles entre terre et mer, les estrans rocheux subissent des pressions croissantes dues aux changements globaux. Suivre leur état écologique fait partie des nombreux défis de la décennie pour atteindre un environnement durable. Cam Ly RINTZ, doctorante au Muséum National d’Histoire Naturelle, consacre sa thèse à l’élaboration de bioindicateurs pour surveiller l’état écologique de ces estrans rocheux grâce aux sciences participatives. Dans une approche transdisciplinaire mêlant écologie et sociologie, son projet ESPOIRS implique activement les citoyens.
Par Carole Saout-Grit et Laurie Henry
Photo de couverture : Fucus et Littorine © Cam Ly RINTZ
Les estrans rocheux, des trésors de biodiversité
Les estrans rocheux sont des écosystèmes clés pour la biodiversité côtière avec des habitats stratifiés où interagissent algues, invertébrés et microorganismes. S’ils jouent un rôle fondamental dans la productivité primaire, la régulation biogéochimique et les réseaux trophiques côtiers, ils sont aussi particulièrement sensibles aux perturbations anthropiques. Pollution, réchauffement climatique et expansion d’espèces invasives sont autant de pressions qui altèrent leur équilibre.
Le suivi de leur état de santé reste pourtant limité du fait d’un manque de données continues et de bioindicateurs adaptés. Pour pallier ce manque, certains programmes scientifiques font appel aux sciences participatives qui offrent souvent une forte capacité d’échantillonnage accrue (notamment pour l’observation des écosystèmes côtiers) tout en impliquant les citoyens en les impliquant dans la démarche scientifique.
Néanmoins, les sciences participatives nécessitent une évaluation rigoureuse de la qualité des données récoltées ainsi qu’une adaptation des protocoles pour garantir à une exploitation rigoureuse des mesures. C’est pour répondre à cet enjeu que Cam Ly Rintz, doctorante au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), mène un travail de thèse consacré au renforcement des protocoles afin de développer des bioindicateurs capables de traduire l’état des estrans rocheux en réponse aux changements globaux.
En parallèle d’un volet écologique, un volet sociologique permettra d’étudier en profondeur la démarche de co-construction entre scientifiques et société civile, pour mieux comprendre le processus d’inclusion des participants et la prise en compte de leurs savoirs et perceptions.
Une thèse innovante dans le prolongement d’observatoires dédiés
En France, depuis 2011, le programme de sciences participatives intitulé BioLit est porté par l’association Planète Mer et soutenu par le MNHN, contribue à l’observation des estrans rocheux. Plus spécifiquement, son observatoire Algues Brunes et Bigorneaux (ABB) dédié à l’observation des algues brunes a déjà permis de recueillir des données sur la biodiversité de ces milieux.
Cependant, plusieurs limites entravent l’exploitation de ces données : absence de séries temporelles robustes, difficulté d’une analyse différenciée des impacts des polluants et nécessité d’intégrer une approche plus fine des changements climatiques.
Face à ces constats, la thèse ESPOIRS menée par Cam Ly vise à développer des bioindicateurs fiables en co-construction avec les citoyens. Ces outils permettront d’évaluer l’état écologique des estrans rocheux et leur réponse aux pressions environnementales, tout en renforçant l’implication du grand public dans la démarche scientifique. Portée par une passion née de son enfance sur une île du Pacifique que Cam Ly ambitionne de créer des ponts entre la science et la société pour mieux préserver ces milieux essentiels et vulnérables.

Cam Ly Rintz © C. Mebarki
Des bioindicateurs pour anticiper l’avenir des estrans
L’objectif principal du projet ESPOIRS est de structurer un cadre méthodologique permettant d’évaluer la santé des estrans rocheux face aux pollutions et aux changements climatiques pour certaines zones marines et côtières métropolitaines identifiées comme vulnérables. La thèse se décline donc en trois volets :
- Analyse de la pollution
En évaluant la sensibilité des algues brunes et des gastéropodes aux nutriments (azote, phosphore), ce volet vise à identifier des indicateurs biologiques pertinents pour suivre l’eutrophisation des estrans. Une adaptation du protocole d’Algues Brunes et Bigorneaux est développée pour mieux caractériser les communautés de l’estran face à cette pression.
- Impacts des changements climatiques
La répartition des espèces marines est bousculée par les variations climatiques. Grâce à une approche de modélisation numérique, ce travail de recherche vise à comprendre comment les communautés de l’estran évoluent sous l’effet du réchauffement et à prévoir les transformations à venir.
- Intégration des sciences participatives et de la sociologie
Enfin, ce projet met un point d’honneur à associer citoyens, scientifiques et décideurs dans la conception des bioindicateurs. À travers des ateliers de co-construction, il s’agit d’impliquer les acteurs locaux dans la surveillance des littoraux et de valoriser leur contribution au savoir scientifique.

Test du protocole avec les participants d’ESPOIRS © C. Mebarki
La thèse est encadrée par Éric Feunteun (MNHN), Florian Charvolin (CNRS) et Boris Leroy (MNHN) et se déroule à la station marine du MNHN à Dinard. Financé pour trois ans dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat, le projet répond aux défis liés à la résilience des socio-écosystèmes côtiers et à l’amélioration des outils de suivi des changements globaux.
À terme, le projet ESPOIRS ambitionne d’apporter une preuve de concept démontrant que les sciences participatives peuvent être un levier puissant pour produire des indicateurs robustes et accessibles ; un enjeu clé pour anticiper les mutations des littoraux et favoriser une gestion adaptative de ces milieux fragiles. Avec ESPOIRS, la science s’ouvre aux citoyens et aux territoires, illustrant comment la recherche peut devenir un moteur de mobilisation collective face aux défis environnementaux du XXIe siècle.
3 Questions à Cam Ly Rintz
Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?
J’ai grandi sur une île du Pacifique où l’on côtoie quotidiennement l’océan, où sa place est importante dans la culture. J’ai appris à l’aimer et à m’émerveiller, et cette passion n’a fait que se confirmer au fur et à mesure de mes études. De plus, ma sensibilité aux problématiques écologiques m’a menée à m’orienter vers les sciences de la conservation. Par la recherche, j’espère ainsi apporter ma contribution à la protection de ces milieux fascinants et vulnérables, indispensables et pourtant menacés, pour préserver cette vie foisonnante et pour que les générations futures puissent continuer à s’émerveiller.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de postuler à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?
Les premiers mots-clés qui m’ont attirée étaient les sciences participatives. J’avais particulièrement envie de travailler sur ce sujet, pour les apports et les défis scientifiques que cela représente, pour réfléchir à une autre façon de faire de la science en interrogeant et en changeant les rapports science-société et nature-société. Ensuite, l’approche transdisciplinaire m’a beaucoup plu avec une ouverture à la sociologie, une discipline selon moi inextricablement liée à l’écologie. Enfin, je me suis engagée dans cette thèse car je savais que je rejoignais des encadrants et une équipe stimulante et de confiance.
Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?
J’envisage de poursuivre dans la recherche publique, peut-être en tant qu’enseignante-chercheuse, car je pense que l’enseignement est quelque chose qui me plairait aussi. Pour autant, je reste ouverte à d’autres voies ; je découvre au fur et à mesure qu’il existe de multiples possibilités de faire de la recherche appliquée à la conservation, par exemple en milieu associatif.
J’aimerais aussi avoir des expériences à l’étranger afin d’élargir ma vision du monde et de l’approche scientifique.
Surtout, je souhaite approfondir cette transdisciplinarité entre écologie marine et sociologie dans mes travaux, pour aborder les enjeux environnementaux qui sont toujours plus importants et préoccupants.
Référence : Cam Ly RINTZ, « ESPOIRS : Élaboration de bioindicateurs des estrans rocheux – Les Sciences Participatives, un dispositif d’interactions entre sciences et sociétés », thèse 2023-2026
Contact : camly.rintz@mnhn.fr