Comprendre l’influence du climat sur les écosystèmes marins à l’horizon 2100 est aujourd’hui une urgence pour permettre l’élaboration de politiques adaptées. Dans ce contexte, Laureline Dalaut, doctorante en sciences marines à l’Université de Montpellier depuis 2023, va tenter de modéliser les écosystèmes marins soumis à certains phénomènes climatiques afin d’analyser leur influence sur la biomasse marine et la chaîne alimentaire océanique dans son ensemble.
par Laurie Henry et Carole Saout-Grit
Agir pour protéger les écosystèmes marins
L’urgence écologique est là : les écosystèmes marins subissent de fortes pressions anthropiques et climatiques qui les menacent. Les variabilités climatiques, tel que le changement climatique mais aussi des phénomènes naturels de variabilité comme ENSO*, ont un impact direct sur la biodiversité marine, avec des conséquences importantes sur le secteur de la pêche, essentiel pour la subsistance de nombreuses populations.
Les constats sont alarmants et une diminution significative de la biomasse marine est observée dans les projections, en particulier chez les espèces dites pélagiques (animaux ou végétaux qui nagent et flottent en pleine mer). Mais des questions subsistent : quels sont les impacts des variabilités climatiques interannuelles sur les écosystèmes marins ? Comment évolueront la biomasse et la répartition spatiale des poissons avec le changement climatique ? Quels sont les mécanismes sous-jacents de l’effet du changement climatique sur les communautés ? Quels sont les effets indirects du changement climatique, en particulier sur la chaîne alimentaire dans son ensemble ?
Il est aujourd’hui crucial de développer de nouveaux modèles numériques capables de projeter les effets à long terme du changement climatique sur l’évolution des écosystèmes marins.
Comprendre les processus de réponse des écosystèmes marins face au climat
Certains modèles numériques existants, comme ceux utilisés dans le cadre du projet Fish-MIP**, ont permis d’importantes avancées mais soulèvent aussi de nouvelles questions sur les mécanismes écologiques en jeu. Laureline Dalaut travaillera au cours de sa thèse sur l’un de ces modèles, le modèle APECOSM***, et tentera de l’enrichir et d’améliorer sa configuration pour combler ces lacunes.
À travers des simulations couvrant la période de 1958 à 2100, ses travaux se concentreront sur deux grands phénomènes : la variabilité climatique interannuelle (notamment ENSO) et le réchauffement global. La modélisation de six communautés d’organismes pélagiques, allant des petits pélagiques côtiers aux organismes mésopélagiques (situés dans la zone de la colonne d’eau entre 200 m et 1000 m de profondeur), doit permettre d’explorer plusieurs scénarios climatiques extrêmes pour mieux appréhender la façon dont la température, l’accès à la nourriture ou la dynamique océanique influencent la biomasse des communautés pélagiques.
Ces analyses numériques obtenues à l’aide du modèle APECOSM***, seront capables d’analyser les interactions entre chaque communauté et de voir leurs évolutions sur le moyen et le long terme.
Elles permettront de prédire les fluctuations des populations marines à l’horizon 2100, et d’identifier les principaux mécanismes responsables de ces évolutions contraintes par des changements à long terme du milieu.
Financée pour 3 ans par le Programme Prioritaire de Recherche (PPR) Océan & Climat, dans le cadre du défi 1 visant à « comprendre, prévenir et atténuer les impacts des changements climatiques sur les océans », cette thèse de Laureline Dalaut sera placée sous la codirection d’Olivier Maury et Matthieu Lengaigne (UMR MARBEC, IRD).
Les résultats attendus de ces travaux incluent une amélioration des projections sur l’évolution des stocks de poissons. L’objectif est de comprendre la façon dont la variabilité climatique impacte et impactera la structure des écosystèmes, mais aussi comment cette structure est amenée à évoluer pour guider des politiques de gestion des pêcheries et de conservation des écosystèmes marins dans un contexte de changement climatique.
* ENSO – El Niño Southern Oscillation est un phénomène climatique comprenant trois phases : deux phases opposées, « El Niño » correspondant au réchauffement anormal de la surface des océans et « La Niña » correspondant au refroidissement anormal de la surface des océans ; une phase « neutre » se situant au milieu du continuum.
** Fish-MIP (Fisheries and Marine Ecosystem Model Intercomparison Project) est un programme international visant à comparer et évaluer les modèles d’écosystèmes marins pour mieux comprendre les impacts du changement climatique sur les pêcheries et la biodiversité marine. Il utilise des scénarios climatiques pour projeter l’évolution des ressources marines à l’échelle globale et régionale, en intégrant divers modèles écosystémiques et alimentaires. Les résultats de Fish-MIP contribuent aux rapports du GIEC et à l’élaboration de politiques de gestion durable des océans.
*** APECOSM (APex Predator ECOSystem Model) a été développé par Olivier Maury, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), dans le cadre de l’UMR MARBEC (Marine Biodiversity, Exploitation, and Conservation). Ce modèle est porté par l’équipe de chercheurs de MARBEC, qui collabore avec des institutions internationales pour étudier les impacts du changement climatique sur les écosystèmes marins.
3 Questions à Laureline Dalaut
Pourquoi avoir voulu faire une thèse en sciences marines ?
L’océan est si vaste, et pourtant on le connaît si peu. Moi la première. Très engagée sur l’écologie, j’ai vite compris que l’océan jouait un rôle clé dans l’atténuation des effets du changement climatique alors même qu’on le malmène à coup de surpêche, pollution et trafic important. Sans parler de ce qu’il subit déjà du fait des conséquences des dérèglements du climat. Faire une thèse en sciences marines est donc pour moi l’occasion d’apprendre à connaître l’océan et ses habitants et de contribuer à sa protection.
Qu’est-ce qui t’a donné envie quand tu as postulé à ce sujet de thèse ? Quelles étaient tes motivations ?
Le sentiment de participer à quelque chose d’utile, à quelque chose de grand qui bénéficiera à tous, l’humain tout comme le reste du vivant. Cette thèse est là aussi pour me permettre d’acquérir de nouvelles compétences, de comprendre les enjeux qu’implique le réchauffement climatique sur les écosystèmes marins et ceux qui en dépendent. Mais c’est aussi pour moi une façon de m’impliquer professionnellement dans ce qui était, avant, surtout une implication personnelle.
Comment imagines-tu ton futur après cette thèse ?
Il y a plein de possibilités et je ne veux pour l’instant pas me fermer de portes. J’aime la recherche et la thématique de ma thèse. Mais j’aime aussi beaucoup la médiation, l’idée de créer un pont entre le monde de la recherche et la société civile pour former une génération qui maîtrise les notions du changement climatique et saura s’approprier des concepts qui peuvent paraître complexes au premier abord. Il existe aussi d’autres métiers qui visent à protéger les écosystèmes, pas forcément marins d’ailleurs. Pour mes projets, j’ai donc surtout besoin de me sentir utile et de prendre plaisir dans ce que je fais.